Jean Corcos et Isabelle Kersimon |
Isabelle Kersimon était mon invitée le 21 mai dernier. Je l'avais déjà reçue pour parler d'un livre qu'elle avait co-écrit, «Islamophobie, la contre-enquête». C'est une journaliste indépendante qu'on peut retrouver en particulier sur le Huffington Post, et elle publie sur son site (islamophobie.org). Notre sujet est hyper médiatisé pour diverses raisons : la question de l'islam s'est introduite ces dernières années en France comme un élément clivant dans le discours politique ; Marine Le Pen a attaqué Emmanuel Macron sur ces sujets-là ; aujourd'hui et alors que le nouveau Président vient de prendre ses fonctions, il est déjà attaqué pour ses complaisances supposées avec l'islam politique.
J'ai d'abord interrogé Isabelle
Kersimon sur les attaques dont elle faisait l'objet. Son analyse critique du
CCIF (Collectif contre l'islamophobie en France) l'avait
transformée en cible. Or aujourd'hui, d'autres parlent à leur tour de CCIF,
mais surtout ils tiennent des discours très alarmistes ; l'ensemble des
musulmans étant présentés comme une menace. Elle ne les suit pas, et on l'attaque
sur les réseaux sociaux. En réponse, elle a évoqué à la fois ses récentes
poursuites en justice de la part du CCIF, et les nouvelles accusations en
traîtrise, qui se succèdent avec des menaces de la «tondre à la
Libération» de la part d’internautes d'extrême-droite qui lui
reprochent de ne pas suivre «la petite musique» qui consiste
à systématiquement accuser les musulmans. Et cela, alors que personne ne
voulait parler du CCIF en 2014, quand elle publiait sur ses chiffres et sa
stratégie.
Tout le monde se souvient du grand
tapage médiatique que l'on a vécu cet été avec l'affaire du burkini ; certains
avaient soutenu l'interdiction de ces tenues sur les plages, d'autres non. Le
CCIF est monté au créneau en dénonçant une campagne islamophobe ; le CFCM a
considéré que ce n'était pas une violation de la laïcité. Le Conseil d'État a
invalidé les arrêtés municipaux qui l'interdisait ; au final, qui a
manipulé qui ? Isabelle Kersimon a été invitée à s’exprimer sur ce sujet par
plusieurs télévisions et radios, françaises et étrangères. Elle savait que le
Conseil d’État allait retoquer et qu’il était d’une part inutile, d’autre part
contre-productif et enfin assez spécieux de revendiquer cette interdiction. Une
association militante comme le CCIF n’attendait que cela pour recruter, et ça a
très bien marché : ils sont même passés pour des humanistes ! Pour elle, le
CFCM a raison en cela que la question du voilement des femmes ne relève pas à
proprement parler de la laïcité. Qui manipule qui ? Ceux qui donnent du
grain à moudre aux militants de l’islamophobie, avec des arguments et sur des
terrains biaisés, se font manipuler par eux : ils tombent dans le piège
tendu.
Sur ce sujet de la soi-disant mode
islamique, Isabelle Kersimon avait révélé l'existence d'un «salon
de la femme musulmane» à Pontoise. Dans un entretien dans le Figarovox
du 25 mars 2016, elle dénonçait le développement fulgurant de ce marché - avec
le soutien intéressé de la Haute couture et des grandes enseignes commerciales
-, en disant que «c'était à la fois le signe d'une dérive
multiculturaliste des sociétés occidentales et une insulte à la liberté des
femmes». Où placer le curseur de la Loi ? Pour elle, les tenues n'ont pas
la même signification, foulard, burkini, burka, etc. Elle avait alerté dès le
mois de mars 2016 de la vague de la «mode pudique» qui
s’abattrait sur les plages, parce qu’elle représente un marché évalué à des
centaines de millions de dollars. Elle ne parlerait plus de «dérive
multi culturaliste», mais de pression intégriste à laquelle nos démocraties
ne savent pas vraiment comment répondre. Il faut que la société, dans son
ensemble, prenne la mesure de cette coercition (directe ou indirecte) exercée
sur les femmes, en particulier par ce regain d’islamisation des esprits de
Français de confession musulmane. En gros, il faudrait défendre nos valeurs
sans empiler nos lois.
Est-ce qu'il n'y pas des
manipulations de la notion de laïcité, cette fois-ci sur un plan vraiment
idéologique, avec deux discours extrémistes mais de bords opposés ? D'un côté,
il y a la récupération de cette notion par l'extrême-droite qui veut brimer les
religions minoritaires mais, de l'autre côté, il y a à la fois un refus de
dénoncer l'islam politique, et un dénigrement de toutes les religions présentées
comme également dangereuses. Pour mon invitée il y a bien deux aveuglements : en
fonction de la famille idéologique à laquelle ils appartiennent, certains vont
se persuader que «le plus grand danger c’est le totalitarisme
islamiste» et d’autres que «le fascisme à nos portes est le
seul danger». Considérer une seule face du problème ne résout
rien : plus de République, moins de populisme, plus de démocratie signifie
aussi moins d’emprise de l’islam politique.
Les prétentions de l’extrême droite
à légiférer, dissoudre, éradiquer ne sont que démagogie. Côté gauche et extrême-gauche, c’est une
tendance ethno-coloniale qui prévaut, au nom de laquelle l’exclusion du corps
féminin serait un folklore religieux : on y aime cette «pieuse jeunesse»
sans se questionner sur le retour du voilement, ce qu’il représente en soi, à
quelle place il relègue les femmes – quelles que soient, d’ailleurs, les
raisons pour lesquelles elles se voilent, ou parfois se dévoilent aussi.
Isabelle Kersimon a présenté le 18
mai une conférence à Paris, à l'Espace culturel et universitaire juif d'Europe,
intitulée «
Autre affaire, celle de Mohamed
Saou, qui était le référent du mouvement «En marche» dans le
Val d'Oise. Certains de ses propos postés sur Facebook ont été largement
diffusés, notamment «Je n'ai jamais été et je ne serai jamais Charlie»
après les attentats, et le fait d'avoir défendu Recep Tayyip Erdogan après le
coup d'État en Turquie. Emmanuel Macron l'a écarté de ce poste après que la
polémique ait pris de l'ampleur ; qu'a donné l'enquête d'Isabelle Kersimon
? Elle a conduit deux enquêtes, en particulier sur le site du Lanceur,
et le site JewPop a délivré la sienne dans l’intervalle. Il a
parfaitement le droit de dire je ne suis pas Charlie, mais ce n'était
pas après les attentats. Il n'est pas vraiment pro Erdogan. Mais surtout, elle a
appris par des tiers qu'il est référent sur le négationnisme depuis des années.
Il était à la manif du 11 janvier, et il commémore les victimes de Merah …
Isabelle Kersimon n'est pas juive,
mais elle a témoigné à notre communauté un soutien sans failles depuis
longtemps, et elle a dénoncé de façon très documentée les campagnes de victimisation
menées par le CCIF. Notre nouveau Président a évoqué, sans les assimiler à la
Shoah, les crimes commis à l'époque coloniale : pourra-t-on un jour «réconcilier
les mémoires» ? Pour notre invitée, il serait bon que l’Algérie à son
tour ouvre ses archives. Elle aimerait aussi qu’on bouscule le monde sur le
sort des Yézidis, des Chrétiens d’Orient, des esclaves vivant encore
aujourd’hui sous le joug de maîtres musulmans. La réconciliation des mémoires
est plus que souhaitable, elle est indispensable, mais elle ne s’improvise pas
en un tournemain déclaratif. Reconnaitre les torts passés de la France n’accorde pas un blanc-seing aux «Indigènes
de la République», qui s’estiment colonisés dans la France
contemporaine.
3 commentaires:
Merci pour cet article éclairant. On peut s'inquiéter, se faire entendre, sans se tromper de cibles.
On parle souvent de la haine de la laïcité qui porterait le terrorisme à frapper sur notre sol. L'Angleterre n'est pas laïque et a toujours favorisé le communautarisme, pourtant cela n'a pas empêché l'attentat de l'Areina. Aucune structure sociétale n'est donc épargnée.
Pour faire taire les deux camps opposés, d'un côté les islamophobes et de l'autre les islamo-gauchistes, les musulmans les plus éclairés doivent prendre les rênes du débat. Eux seuls seraient écoutés et compris au sein de la communauté musulmane pour la mener vers une profonde réforme de l'islam compatible avec nos valeurs.
Merci Monsieur Corcos pour votre article très intéressant qui fait réfléchir sur le devenir de nos sociétés occidentales.
Bien cordialement
Merci, Madame Allouche et Monsieur Jabeau, pour vos compliments !
Je suis très heureux, à la fois que vous l'ayez apprécié et qu'il ait été particulièrement lu comme me l'a signalé notre ami Jacques Benillouche : preuve que l'on peut dire les choses, telles qu'elles sont et sans reprendre des discours extrémistes ; et qu'un lectorat exigeant le comprend.
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