Décryptage
dE L’accord MILITAIRE américano-israélien
Par Jacques BENILLOUCHE
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Yaacov Nagel signe pour Israël |
L’accord signé le 14 septembre
2016 entre Barack Obama et Benjamin Netanyahou n’a pas fait l’unanimité dans la
classe politique israélienne. Certains considèrent qu’il s’agit d’un accord en
trompe-l’œil ou de l’expression d’une vengeance à froid du président américain
qui a voulu sanctionner les manœuvres du premier ministre face au Congrès
américain pour contester l’accord nucléaire avec l’Iran. D’autres, en revanche,
qualifient cet accord d’historique pour Israël. Qu’en est-il réellement sur le
fond ?
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Ne t'inquiète pas je te tiens le dos |
Les termes et les
clauses font foi sans qu’il soit besoin d’une quelconque interprétation, mais
la nouvelle réalité des engagements bilatéraux laisse peu de latitude de
manœuvre. Barack Obama a voulu cependant donner
dans l’emphase mais c'est une illusion : «Le nouveau protocole d'entente constitue le plus grand
gage de l'assistance militaire de l'histoire des États-Unis, pour un total de
38 milliards de dollars sur 10 ans, dont 33 milliards en FMF (Foreign military
financing : Financement militaire à l'étranger] et 5 milliards
supplémentaires pour le financement de la défense antimissile. Le Premier
ministre Netanyahou et moi sommes convaincus que le nouveau protocole d'entente
apportera une contribution significative à la sécurité d'Israël dans ce qui
reste une zone dangereuse».
Il faut savoir cependant
que cette aide est une aubaine pour les entreprises américaines. Elle permet
par ailleurs au président de masquer l’augmentation de son budget défense comme
il l’avait promis dans sa campagne électorale, en finançant sa défense de manière indirecte. En effet Obama doit contrecarrer le nouveau gel des dépenses budgétaires. Israël est obligé de dépenser en
matériel américain tout l’argent qui lui est confié afin de «sauvegarder
l’emploi des ouvriers des entreprises d’armement américaines».
Jusqu’à ce
nouvel accord, le Congrès avait autorisé Israël à utiliser un quart de l’aide
pour «subventionner sa propre industrie militaire». Selon des hauts
fonctionnaires américains : «Il est important de se rappeler que
l’assistance à l’étranger n’est ni un acte de charité, ni une faveur que nous
faisons aux autres nations. C’est un impératif stratégique pour l’Amérique». Les
conditions de l’aide sont favorables pour Israël puisqu’elles lui permettent de
recevoir la totalité de l’aide dans les 30 premiers jours de l’année fiscale,
obligeant souvent le gouvernement américain à emprunter.
J'aurais pu recevoir plus |
Par comparaison,
en 2007 les États-Unis sous la présidence de George W. Bush, avaient augmenté
de 2,4 milliards à 3 milliards de dollars la subvention annuelle pour la
décennie, soit une augmentation de 25%. Bien que n'étant pas membre de l'OTAN,
Israël est le pays qui, chaque année, bénéficie le plus de l'assistance
militaire américaine. Il est non seulement un acheteur majeur d'armes
américaines mais il développe également, grâce à cette aide, de nombreux
programmes de recherche-développement militaire en coopération avec les
États-Unis.
Mais l’ancien
ministre de la défense, Ehud Barak, conteste cet accord en justifiant
que l’assistance allouée pour les années 2019 à 2028 n’a augmenté que de 15%,
ce qui ne couvre même pas l’inflation sur dix ans. En effet, selon les chiffres
officiels, l’inflation de 2007 à 2016 s’est élevée à 17,09%. Il s’agit donc
pour lui d’une régression sur le montant de l’aide. Il est fort probable qu’Ehud Barak utilisera
ces arguments au cours d’une éventuelle campagne
électorale puisque les rumeurs donnent à penser qu’il prépare son retour en
politique.
Il en a profité pour lancer
une charge virulente : «Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a permis à
une minorité nationaliste militante de mener à bien une OPA hostile contre son
parti le Likoud pour former une majorité gouvernementale et donc de mettre
notre programme national au service d'un entraînement messianique vers un État
juif unique, du Jourdain à la mer Méditerranée».
Amos Yadlin |
Il est certain que la volonté de Netanyahou de manifester son indépendance vis-à-vis d'Obama n'a pas été payante. Les relations avec les Etats-Unis ont été très tendues tout au long de la mandature. L'accord nucléaire a été signé malgré les gesticulations du premier ministre. Le lobby israélien AIPAC a été mis dans l'embarras pour s'être engagé à fond du côté d'Israël et il a été le plus pénalisé dans cette affaire. Enfin Israël a perdu au change sur le plan de l'aide militaire.
Le général Amos Yadlin, ancien chef des renseignements militaires, estime que les États-Unis n’ont fait aucun effort et que si Netanyahou n’avait pas fait son discours face au Congrès pour démonter l’accord nucléaire, Israël aurait obtenu plus d’argent et n’aurait pas été contraint d’accepter deux restrictions fondamentales qui le pénalisent durement.
Le général Amos Yadlin, ancien chef des renseignements militaires, estime que les États-Unis n’ont fait aucun effort et que si Netanyahou n’avait pas fait son discours face au Congrès pour démonter l’accord nucléaire, Israël aurait obtenu plus d’argent et n’aurait pas été contraint d’accepter deux restrictions fondamentales qui le pénalisent durement.
La première
clause restrictive concerne l’aide allouée qui devait, jusqu’alors, être utilisée
à 75% pour des dépenses auprès des entreprises américaines ; Israël gardant la
liberté d’utilisation des 25% restants, en particulier pour acheter du matériel
auprès des entreprises israéliennes d’armement. Le nouvel accord impose que la
totalité soit dépensée aux États-Unis et il ne permet plus à Israël de financer
les entreprises industrielles du pays. Mais ce n’est pas tout ; Israël
n’avait pas à justifier la façon dont il dépensait les 25% de l’aide tandis que
les Américains n’avaient aucun moyen de s’opposer à l’utilisation de cet argent
à des fins auxquelles ils s’opposent en théorie, à savoir la construction dans
les implantations de Cisjordanie. Il est fort probable que les implantations disposeront d'un budget écorné.
Par ailleurs
Israël s’est engagé à ne plus réclamer d’aide supplémentaire du Congrès. Pire,
toute aide nouvelle votée par le Congrès est bloquée et Israël s’est engagé par
écrit à la restituer. Cette deuxième clause semble être un missile lancé contre
l’AIPAC dont le rôle principal est de faire agir ses lobbies pour débloquer
des crédits supplémentaires. Il est «puni» pour avoir bataillé avec
Netanyahou contre l’accord nucléaire et contre Obama. Par cette clause, le rôle
de l’AIPAC devient totalement minimisé et sa fonction principale d’obtenir des
fonds du Congrès n’a plus de raison d’être. Le Congrès lui-même voit ses
prérogatives totalement réduites dans ce domaine puisqu’il ne peut plus
intervenir face à un accord verrouillé.
Benjamin Netanyahou, nationaliste
et fin politique, ne peut pas être accusé de brader les intérêts économiques et
sécuritaires d’Israël en signant un mauvais accord. Mais il est légitime de
comprendre les raisons de cette hâte à parapher un texte qui pénalise Israël
alors que, dans quelques mois, un nouveau président sera à la Maison Blanche
avec qui il pourrait avoir des relations plus apaisées. En fait le premier
ministre a joué la sécurité avant les élections américaines qui pourraient ne
pas donner forcément un nouveau président, ami d’Israël.
Les sondages qui évoluent en
faveur de Trump inquiètent les milieux israéliens car rien n’est dit sur la
politique internationale à laquelle il comprend peu de choses. Trump a souvent annoncé qu’il privilégierait
son pays plutôt que l’étranger ; Israël pourrait donc en pâtir. Bref pour
certains, il n’est pas bon pour Israël. De nombreux dirigeants israéliens
pensent que, avec Trump, la politique internationale évoluerait dans un sens
peu favorable à Israël.
Trump et Adelson |
Le seul repère en Israël sur l'éventuelle politique de Trump vis-à-vis d’Israël est puisé dans le journal Israël Hayom,
du magnat Sheldon Adelson, financier et soutien de Trump. Il affirme, sans
référence concrète, que Trump serait un «véritable ami d'Israël». Mais
Obama a désengagé les États-Unis du Moyen-Orient et il n’est pas impossible que
Trump accélère ce recul. Les experts israéliens sont incapables de prédire ce
que sera sa politique. De ce point de vue, Netanyahou a voulu certainement
verrouiller pour dix ans l’aide américaine, quelle que soit l’évolution de la
politique américaine et quels que soient les trois prochains présidents qui siègeront à la
Maison Blanche durant la période de l'accord.
Attention à la marche |
Netanyahou a donc voulu bloquer
les décisions sur l’aide militaire. L’avenir dira s'il a pris la bonne
décision. Il sait que, de toutes façons en cas d’urgence ou de guerre imposée,
les États-Unis ne laisseront pas tomber Israël. On se souvient en effet qu’en
2009, lors de la guerre de Gaza, ils avaient affrété en urgence un navire à partir de la Grèce
pour livrer plusieurs centaines de tonnes d'armes. Le navire avait fait deux
trajets entre le port grec d’Astakos et le port d’Ashdod en transportant 325
conteneurs contenant des «munitions». Aucun autre
bénéficiaire de l’aide militaire américaine n’a vu cet avantage lui être
accordé. Israël reste et restera un allié privilégié des États-Unis.
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