LA RANCUNE TENACE
ENTRE OBAMA ET L’ARABIE
Par Jacques
BENILLOUCHE
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Il est loin le temps où, par déférence, Barack Obama se courbait face au roi d’Arabie. L’image avait fait le tour des salles de rédaction et avait choqué certains milieux occidentaux. Le président américain s’était défendu de s’être prosterné devant un musulman ; pour lui il s’était penché non pas par acte d’obéissance, mais par respect pour un roi. Les Républicains avaient critiqué alors un «affichage choquant de fidélité à un potentat étranger».
Sept
années plus tard, l’ambiance n’était plus la même car le roi Salman n’a pas
apprécié d’avoir été mis à l’écart au profit de l’Iran. Le 20 avril, Barack
Obama avait entamé son dernier périple en Arabie en tant que président. Le 21 avril il a participé au sommet du CCG (Conseil
de coopération du Golfe), alliance qui réunit six pays du Golfe. Le cœur n’y était plus ; le président
Obama n’était pas attendu en invité de marque. En effet, le roi Salman n’a pas accueilli
Barack Obama sur le tarmac à l’aéroport et a chargé le gouverneur local de rendre les honneurs au visiteur. Insulte suprême, son arrivée n’a pas été retransmise
en direct à la télévision comme à l’ordinaire. On ne pouvait pas marquer plus
de mauvaise humeur alors que les autres invités du CCG ont eu droit en revanche à un
accueil monarchique.
Les relations
entre la plus grande puissance du monde et le plus grand pays musulman
autocratique se sont refroidies. Pourtant les Américains avaient longtemps fermé
les yeux sur les atteintes aux droits de l’homme en Arabie, sur le statut des
femmes saoudiennes et surtout sur les décapitations. Mais, rancuniers, ils
n’ont jamais pardonné que les pirates de l’air du 11 septembre 2001 aient été
saoudiens.
L’entretien
entre les deux chefs d’État, qui aura duré deux heures, a été l’occasion
d’aborder les conflits régionaux et la lutte contre Daesh mais, aussi et
surtout, le sujet brûlant de l’Iran cause du refroidissement des relations
bilatérales. Il est clair que les Saoudiens misent à présent sur le successeur
d’Obama pour réviser leur position. Tant que les Américains avaient besoin de pétrole
et qu’ils pouvaient vendre leurs armes au Royaume, ils ont privilégié les intérêts de ce pays. Mais l’abondance de gaz de schiste et la baisse des cours du pétrole ont changé la donne. Par ailleurs la
stratégie sécuritaire a subi une inflexion car les missiles balistiques ont réduit
la région à une importance mineure. Barack Obama a donc adopté une approche
différente, à la limite d’un renversement d’alliance, en se tournant vers l’Iran pensant ainsi limiter l'influence politique chiite grâce à l'accord sur
le nucléaire.
Mais les
Saoudiens, grands connaisseurs de la mentalité de la région, ne croient pas
dans la parole des Iraniens et ont mis en garde les Américains contre leur
capacité de nuisance dans la région. Or Barack Obama est convaincu des bonnes
dispositions de l’Iran : «La concurrence entre les Saoudiens et les
Iraniens, qui a contribué à alimenter les guerres et le chaos en Syrie en Irak
et au Yémen, nous oblige à dire à nos amis ainsi qu’aux Iraniens qu'ils ont
besoin de trouver un moyen efficace de partager le voisinage et d’instituer une
sorte de paix froide».
- Nous sommes toujours des amis - On dirait qu'ils n'ont pas écouté mon portable récemment |
Obama
n’a jamais réussi à rassurer les Saoudiens qui ont boudé tous les sommets américains
à Washington. Les Saoudiens n'ont pas été entendus lorsqu’ils avaient mis en garde
les États-Unis face à leur refus de soutenir le régime chancelant de Moubarak.
Il avait exigé le bombardement des troupes de Bachar al-Assad lorsqu’il avait acquis la certitude qu’il utilisait des armes chimiques en 2013. Mais les États-Unis
avaient décidé de se désengager de la région au prix du renoncement à leurs
alliés naturels. C’est pourquoi l’objectif de la visite d’Obama avait pour but
de rassurer et de confirmer que les États-Unis consolideraient la sécurité de
l’Arabie et des pays du Golfe. D’ailleurs ils n’ont jamais cessé de leur
fournir des armes, en surnombre par rapport à la capacité d’absorption de leurs
armées. Obama aurait fait comprendre au CCG qu’il avait intérêt à réviser sa
position à l’égard de l’Iran tout en prenant cependant plus de mesures pour la
sécurité des pays du Golfe. Le roi Salman et Obama n’ont été d’accord sur rien
comme le mentionne le communiqué final très diplomatique : les deux
dirigeants ont eu, selon la formule, «un large échange de vues».
Les Saoudiens
devraient pourtant se méfier car il n’est pas certain que le successeur d’Obama fera
mieux. Si Trump est élu, il a promis de cesser d’acheter du pétrole aux
Saoudiens s’ils ne participaient pas activement à la lutte contre Daesh dont on sait qu’une partie de ses militants djihadistes est financée par le régime wahhabite.
Par défaut, le roi Salman semble donc avoir misé sur Hillary Clinton. Il a
offert des millions de dollars à sa fondation mais il risque d’avoir des surprises ;
elle était Secrétaire d’État lors des
conversations avec l’Iran qu’elle avait donc cautionnées et elle avait soutenu
l’accord nucléaire. Il reste cependant l’espoir d’un nouveau départ avec les États-Unis.
Interview d'Obama par the Atlantic |
Benjamin
Netanyahou se frotte les mains face à cet imbroglio politique. Il est satisfait
de ces relations brouillées entre deux grands alliés de la région qui justifient d’ailleurs sa propre opposition à la politique d’Obama. Il a trouvé dans l’Arabie saoudite un allié
de poids face à l’ennemi commun, l’Iran. Pour le premier ministre, la politique étrangère américaine, en particulier la
politique moyen-orientale, comporte trop d’irrationalités, d’incohérences et de
contradictions. Le président américain l’a d’ailleurs reconnu avec franchise
dans une interview publiée en avril 2016 dans le Magazine «The Atlantic». Il
a donné son explication sur sa décision de ne pas intervenir
militairement en Syrie le 30 août 2013. Dans une sorte d’aveu il a reconnu n’avoir
pas pu s’opposer à «l’orthodoxie de la politique étrangère qui oblige les
présidents américains à considérer l’Arabie saoudite comme un allié».
Obama n’a jamais pu oublier le
11 septembre 2001 et sa rancune est tenace. Trois mille Américains ont été
massacrés alors que les services de renseignements savaient que de
richissimes saoudiens finançaient le terrorisme. Sur les 19 terroristes, 15 étaient
titulaires de la nationalité saoudienne. Le terroriste en chef Oussama Ben
Laden était également saoudien. Et pourtant l’Arabie saoudite n’a pas été
inquiétée. Bien au contraire, pendant que l’Amérique pleurait ses morts,
l’ambassadeur saoudien à Washington, Bandar Ibn Soltane était reçu en ami
intime par George W. Bush comme si de rien n’était. Tout cela parce que les États-Unis avaient
besoin de l’Arabie saoudite pour la guerre contre le régime irakien car l’urgence restait «la lutte
globale contre le terrorisme».
Obama
exprima son amertume de voir l’Indonésie se transformer progressivement de pays
musulman ouvert et tolérant, en un pays optant pour une interprétation de plus
en plus fondamentaliste et intolérante de l’Islam par la faute des Saoudiens qui
envoyaient des imams et des enseignants en Indonésie. Dans les années 1990, les
Saoudiens avaient massivement investi dans la construction de madrasas wahhabites
où est enseignée la version fondamentaliste de l’islam qui a les faveurs de la
famille régnante. Aujourd’hui, l’islam en Indonésie a une orientation
fondamentaliste inconnue jusqu'alors dans le pays. En fait, l’idée que la famille Saoud soit derrière de nombreux problèmes dans le monde germait dans l’esprit
de Barack Obama.
Madrassa en Indonésie |
Cette
attitude d’Obama n’est pas nouvelle. Déjà en 2002, six ans avant son élection,
et alors que l’ancien président George Bush et son ami Blair remuaient ciel
et terre pour éliminer l'irakien Saddam Hussein, Obama s’adressait à un rassemblement anti-guerre
à Chicago dans des termes étonnants aujourd'hui : «Vous voulez une guerre M. Bush ? Commençons déjà
par nos prétendus amis, les Saoudiens et les Égyptiens, afin qu’ils arrêtent
d’opprimer leurs peuples, d’étouffer les voix discordantes et d’alimenter la
corruption et l’inégalité». Obama n’était alors que sénateur de l’Illinois.
Les Saoudiens savaient donc que le président américain ne les portait pas dans son cœur
mais ils se sentaient protégés par l’«orthodoxie» de la politique
étrangère américaine avec ses tabous intouchables, dont les relations avec l’Arabie
saoudite et avec Israël.
Obama à Chicago en 2002 |
Obama n’a
jamais critiqué publiquement l’Arabie saoudite. Il ne le fait que tardivement
parce qu’il quitte ses fonctions à la fin de l’année. En fait le président
américain abhorre la politique des Saoud
en Arabie saoudite et de Netanyahou en Israël et il n’a rien fait pour les
infléchir. Il a toujours reçu les
dirigeants du royaume wahhabite et de l’État hébreu avec tous les honneurs,
contraint et forcé, quitte à cacher tout le mal qu’il pense d’eux. L’homme le
plus puissant du monde avait ses limites. Il a été contraint de se soumettre
aux exigences de l’«orthodoxie». Benjamin Netanyahou avait très
bien compris cette réalité de la politique américaine. Il sait que le locataire
de la Maison Blanche, républicain ou démocrate, se pliera toujours à cette
orthodoxie.
3 commentaires:
J'ajouterai le mépris inné des Saoudiens pour un Noir, "abed" (esclave) dans leur langage et dans leur mentalité.
Cher monsieur Benillouche,
Qu'il est loin le "nouvel ordre mondial" annoncé triomphalement par George Bush père, en 1991, devant le Congrès américain, après la libération du Koweit.
L'ONU est paralysée comme au temps de la guerre froide. Pas plus en 1999, quand l'OTAN avait bombardé la Yougoslavie, qu'en 2003, quand les États-Unis avaient envahi l'Irak, cela ne s'est fait avec un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU. De même en 2011, si le mandat de l'ONU prévoyait bien la "protection des populations civiles" de Libye, il ne permettait en aucun cas à la coalition occidentale l'élimination de Khadafi. Et tous les jours, l'EI prouve qu'il n'a que faire des frontières qu'il transgresse sans vergogne pour asseoir sa domination sur la région.
Quant à l'UE, elle est incapable de défendre et faire respecter ses frontières extérieures qui sont devenues de véritables passoires au grand dam des peuples européens. Cette Union européenne qui devait leur apporter paix et prospérité, se révèle être un nain politique face aux États-Unis, à la Chine et à la Russie.
C'est donc tout l'ordre mondial qui sera à reconstruire pour le prochain président américain, et cela dépasse largement la question des relations des États-Unis avec l'Arabie.
Très cordialement.
Ce qui a le plus joue dans ce changement de la politique americaine au Proche-Orient est le fait que les USA sont non seulement devenus independants de l'energie moyen-orientale, mais sont devenus, pour la premiere fois de leur histoire des exportateurs d'energie. Et de plus, ils ont fait le compte que l'Iran soutenu par la Chine et la Russie etait beaucoup plus puissant que l'Arabie et se allies du Golfe. Obama aurait bien aime se debarasser dans la foulee d'Israel, seulement ce n'etait pas possible, Israel representant un trop grand poids strategique.
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