À LA DÉCOUVERTE DES JUIFS DU MZAB
Par Jacques BENILLOUCHE
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En cette veille de Pessah nous
revient à l’esprit l’histoire de ces Juifs du Mzab, à 600 kms au sud d’Alger, une
région isolée située dans le Sahara et principalement peuplée de musulmans ibadites.
La tradition juive locale voulait que les familles prononcent à l'issue du seder,
lors de la veillée pascale, la formule «l'an prochain à Tamentit» du nom
d'une localité du Touat, au lieu du «l'an prochain à Jérusalem». En effet certains se disaient originaires de la région
du Touat, abandonnée au XVe siècle à la suite d'un désastre. Le Touat est une région de l'ouest du Sahara algérien, située au
sud-ouest du Grand Erg Occidental. La région était peuplée par une communauté
juive dans l'Antiquité et au Moyen Âge, notamment à Tamentit, d’où la volonté exprimée chaque année d'y retourner.
Ghardaia |
La région avait été
conquise par l'armée française en 1852 mais la loi française ne s'y était appliquée
qu'à partir de 1882. De ce fait, les Juifs du Mzab ont été exclus du décret
Crémieux qui octroyait aux Juifs résidant dans les départements français
d'Algérie la nationalité française en 1870. Les Arabes étaient effectivement aussi exclus. Mais les Juifs du Mzab ont été les seuls
Juifs de l'empire français à conserver leur statut civil mosaïque, pratiquement jusqu'à
l'indépendance de l'Algérie. Le statut de français aurait pu être étendu à ces Juifs après
1882 mais ils n'en ont pas bénéficié en raison du climat antisémite qui régnait alors en Algérie française.
Une
proposition de leur octroyer la
nationalité française avait été débattue, en vain, en 1953 et en 1956. Les Juifs du Mzab étaient eux-mêmes réticents
à perdre leur statut en raison de leur volonté à maintenir leurs traditions. À
cette époque la polygamie était encore pratiquée par la communauté ainsi que le
divorce sans consentement de l'épouse tandis que les femmes ne bénéficiaient
d'aucun droit en matière de succession.
Mariage chez les Juifs du Mzab |
À la création
d'Israël en 1948, 1.034 Juifs avaient choisi de faire leur alyah mais le reste
de la communauté resta confiant dans l'avenir au Sahara, surtout après la découverte
du pétrole de Hassi Messaoud en 1956. La montée des violences durant la guerre
d'Algérie, qui s'était accompagnée de manifestations de haine antisémite, a
poussé la communauté à demander d'elle-même la nationalité française. Une loi du
28 juillet 1961 a fait d'eux des citoyens français. Ils insistèrent alors à être
évacués avant l'indépendance de l'Algérie mais refusèrent d'affronter les
centaines de kilomètres de route les séparant d'Alger. Un pont aérien de dix
appareils fut alors mis en place pour évacuer les 978 derniers Juifs du Mzab
vers Marseille. 400 d’entre eux rejoignirent leurs proches en Israël.
Avant le
départ, ils décidèrent d’enterrer dans des tombes les textes religieux abîmés,
comme le veut la tradition juive, et de se répartir leurs 17 rouleaux de la
torah dont certains très anciens. Le paradoxe fut que la majorité d’entre eux s’installa
à Strasbourg, capitale du judaïsme alsacien ashkénaze. Les Balouka, Partouche,
Attia et Perez, qui vivaient à Ghardaïa en plein désert, arrivèrent un vendredi
en tenue traditionnelle, les femmes en haïks, robes bariolées de fleurs roses,
bleues. Ils furent accueillis par la communauté juive et par le grand rabbin
Deutsch. Le dépaysement fut total et ce fut un beau «souk» à la
synagogue. Cependant grâce à la communauté locale, leur intégration sociale et
professionnelle fut rapide.
Atelier de tissage de tapis en Alsace pour les Juifs du Mzab |
Dans l’Algérie
coloniale, les Juifs du Mzab avaient formé un «indigénat» distinct non
seulement de la communauté musulmane locale, mais aussi de la population juive du
Nord. Le maintien d’un «statut civil mosaïque», tout au long de
la période coloniale, témoigne de la préoccupation de la France de ne pas
mettre en péril l’alliance avec les notables de la communauté musulmane ibadite
du Mzab. Il s’agissait presque d’une tribu juive oubliée, aux traditions
obscurantistes. Ces Juifs étaient arrivés dans la région à la fin du Moyen Âge
et ne durent leur ancrage local qu’à la bienveillance de leurs hôtes ibadites.
L’administration
militaire du Mzab considérait cette population comme indigne d’être naturalisée.
Elle s’efforça de limiter les échanges commerciaux entre Juifs et Musulmans et
veilla scrupuleusement à préserver la ségrégation spatiale entre quartiers juifs
et ibadites. Ces mesures furent à l'origine d’un petit Israël local, avant
l’heure. La volonté de creuser l’écart avec les Juifs du «Nord» était
flagrante. Le système consistorial introduit dès 1845 ne trouva pas d’application au Mzab. Les
affaires communautaires y étaient gérées par un conseil municipal juif
(djemaa), présidé par un «chef de la nation juive». En matière
judiciaire, les litiges ayant trait à l’héritage, au mariage et au droit de
famille étaient traités devant un tribunal rabbinique selon les règles du droit
mosaïque complété par un mixage entre jurisprudence ottomane et législation
coloniale française.
Une constatation
étonnante mérite d’être soulevée ; l’Alliance israélite universelle n’a
pas créé d’écoles pour la communauté du Mzab laissant ainsi se perpétuer l’enseignement
religieux traditionnel. Certaines familles
juives n’hésitèrent pas à envoyer leurs enfants aux écoles des Pères blancs,
peu fréquentées par la population musulmane. Cette «indigénisation» eut au moins quelques effets bénéfiques à l’occasion
des lois antisémites de 1940 qui envoyèrent la population juive dans les camps
d’internement du Sahara. La communauté du Mzab échappa ainsi aux persécutions
du régime de Vichy. Mais la réaffirmation du régime de l’indigénat en 1947 marqua un véritable tournant puisqu’il amplifia
le mouvement d’alyah des Juifs du Mzab vers l’Israël naissant. En cette
période, les départs se dirigeaient principalement vers Israël et non vers la
France. Ce ne fut qu’après 1961, lorsque la naturalisation des Juifs sahariens fut
enfin décidée, que les derniers Juifs du Mzab s’envolèrent vers la France.
7 commentaires:
Remarquable ces histoires oubliées ou ignorées.
Merci Jacques pour ce bon article.
A Setif ou j'habitais il y avait de nombreux commercants Mozabites Ibadites.
Ils quittaient le Mzab pour venir commercer et y retournaient 6 mois apres. Les femmes et les enfants ne suivaient jamais les hommes.
Pour Roch hachana ils offraient a mon pere dont ils etaient les clients les dattes fraiches et ts les nouveaux fruits pour le seder.
Hag Pessah sameah.
Très agréablement surpris de parler des Juifs du Mzab , sont histoire est longue , riche en évènements , pour ne parler que de l'Aliyah ,en 47 , la communauté est visitée par deux envoyés de l'AJ pour établir un recensement, et contacter les deux dirigeants , BALOUKA et SEBAN , ( en conflits permanent ) ; le résultat de cette visite aurait pu être réglé si AJ avait acceptée l'Aliyah de toute la communauté ( 2 000 personnes ) ,; les discutions durèrent plusieurs semaines , l'AJ voulait imposer une sélection , nous étions qu'à la ville d'un Etat .
Le Problème était :, 30 handicapés 'polio) , de nombreuses personnes âgées seul ; une centaine de femmes divorcées avec deux filles ,( toutes vivaient du tissage de tapis , la mère de Moché Dayan c'est intéressée à leur sort ) , .
Fin 47 , L'AJ réussit une l'aliyahde familles , et de jeunes ,qui se poursuivit dans les années 50/60 , en 61 avec la guerre d'Algérie la majorité restante reçut la nationnalitée française et s'installère en France , ceux qui réalisèrent leur Aliyah,rejoignirent leur communauté aujourd'hui florissante .
Jacob Oliel historien (CNRS) parle " Les Juifs du Sahara " des Juifs du Touat
Sidney
Article très intéressant.
On vivait à Alger, ne parlions pas l'arabe, dommage, et n'avions aucun contact avec les Juifs du Sud.
Quand j'y pense aujourd'hui, peut-être que les marchands Mozabites du coin, travailleurs très ardus, étaient des juifs.
Vous signalez qu'à l'indépendance de l'Algérie la majorité des Juifs du Mzab venus en France s'installa à Strasbourg. Ce n'est paradoxal qu'en apparence : conscient des difficultés qu'ils allaient rencontrer dans leur nouveau pays,le sous-préfet de Ghardaïa, Charles Kleinknecht, organisa leur départ, avant de les rejoindre et de s'occuper de leur réinsertion dans son Alsace natale.
Alain Pierret (son adjoint en 1959-1961 ; ambassadeur en Israël, 1986-1991)
Cordialement,
nous avions des liens religieux a Strasbourg beaucoup y sont allé d'autre comme nous sont venus a paris,
C'est extraordinaire très intéressant
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