L’IRAN ATTISE LA RÉVOLTE DES CHIITES D’ARABIE
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Nimr Baqr Al-Nimr |
L’assassinat de Nimr Baqr al-Nimr ne
s’est pas estompé dans les esprits. Ce cheikh ayatollah chiite s’était fait
remarqué comme dissident politique saoudien. À la suite d’un procès bâclé, le tribunal pénal spécial de Riyad l’a
condamné à mort, en novembre 2014, pour «incitation à la haine, recherche
d’ingérence étrangère et prise d'arme contre les forces de l'ordre». Il avait maudit et insulté publiquement la famille royale. Le 2
janvier 2016, Al Nimr a été décapité en même temps que 47 autres individus
condamnés pour «terrorisme».
Awamiya ville chiite |
Cette
exécution a aggravé la tension et la
révolte des chiites dans la province orientale de l'Arabie Saoudite. Le pouvoir
a pris le risque de semer le trouble dans cette province acquise à l’ayatollah et
peuplée de 30.000 Chiites qui n’attendent que le feu vert et le soutien de
l’Iran pour lancer leur «printemps arabe». La capitale de cette
province, Awamiya, est en ébullition tandis que la tension persiste dans une
ville entièrement recouverte par les portraits du supplicié aux côtés de ceux
de l’imam Hussein, lui aussi victime des sunnites. D’ailleurs le gouvernement a
pris la précaution de déserter la ville, entièrement abandonnée aux Chiites.
Le cimetière ne désemplit pas de
femmes en noir qui, à tour de rôle, pleurent les tombes de l’ayatollah et des
23 autres «martyrs» qui ont payé pour avoir réclamé plus de démocratie et
plus de liberté dans la pratique de leur religion. Les Chiites ne représentent
que 10% de la population mais ils ont une grande capacité de nuisance avec un
ancien passé de résistants, souvent violent. Au fur et à mesure que les relations
politiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite se détériorent, le réchauffement
dans les villes chiites s’amplifie.
Le royaume saoudien n’a pas craint
de provoquer sa minorité alors qu’elle soulève depuis longtemps les questions des discriminations sociales et politiques dont elle est victime. Les minorités chiites font toujours l’objet
d’un discours salafiste et wahhabite haineux et sont la cible d’une propagande
politique les stigmatisant comme éléments d’une «5 ème colonne iranienne». En
fait, ils sont utilisés de manière politique pour promouvoir la
stratégie du royaume saoudien au Bahreïn, en Syrie et au Yémen. L’exécution de Nimr
Baqr al-Nimr était également un message
contre les courants salafistes-djihadistes du type d’Al-Qaida et Daesh, qui ont
tous deux promis de renverser le régime des Saoud et de venger ces exécutions.
Ce n’est pas la première fois dans
l’histoire du royaume que la famille des Saoud est menacée à l’intérieur du
pays par des courants fondamentalistes et ultra fondamentalistes :
– La conquête d'Al-Hasa
en 1913, contrôlée par les Ottomans, avait été obtenue par les forces
saoudiennes d’Ibn Saoud avec le soutien du mouvement extrémiste des Frères (Ikhwân). Bien que les leaders de la communauté chiite aient
négocié une reddition rapide et la reconnaissance de l'islam sunnite comme autorité
politique saoudienne en échange de la clémence, ils furent l’objet d’un massacre
généralisé.
– Le 5 septembre
1924, les Frères (Ikhwân) étaient entrés à Taëf où ils s’étaient livrés à des
exactions d’une telle ampleur qu’Ibn Saoud s’engage personnellement à préserver
la sécurité et les biens des habitants chiites du Hedjaz.
Le royaume a mis les gros moyens
pour contrôler, sinon contrer, cette minorité chiite en installant des
check-points à la sortie de tous les villages chiites sous le prétexte de rechercher
les djihadistes du Daesh. C’est un alibi qui est rejeté par la communauté
chiite qui préfère assurer elle-même sa sécurité
en utilisant ses jeunes pour protéger les mosquées chiites. Plus les relations devenaient
difficiles avec l’Iran et plus le régime saoudien créait des interdits comme
l’interdiction de pèlerinage dans les Lieux Saints iraniens. Cela n’allait pas
dans le sens d’un apaisement, ce qui a poussé des jeunes activistes chiites à prendre le
risque d’abattre plusieurs policiers et d’incendier un immeuble d'habitation d'employés de la compagnie pétrolière saoudienne Aramco, à Khobar, dans l'est de l'Arabie saoudite.
Incendie Aramco |
Les saoudiens savent qu’ils doivent
éviter un conflit avec leur minorité. D’ailleurs les medias gouvernementaux ne
cessent de condamner les attaques contre les mosquées chiites. Le prince
Mohamed Bin Salman veut éviter le déclenchement d’une guerre civile dans son
pays. Il espère qu’un règlement du conflit syrien apportera plus de retenue parmi
les Chiites d’Arabie qui sont prêts à calmer le jeu s’ils sont traités de
manière équitable par les autorités. Ils souhaitent une preuve tangible du
Royaume sur ses réelles intentions ce qui pourrait se traduire par l’élargissement
de neuf Chiites condamnés à mort.
L’exemple
de l’Irak devrait conduire l’Arabie à plus de prudence et de circonspection. L’Iran
a contribué à une augmentation de la force des Chiites irakiens aux dépens de
la dominance historique des Sunnites dans ce pays. Le Royaume devrait s’inquiéter
du risque de contagion du mouvement chiite en Arabie Saoudite. Les dirigeants
de Riyad qui sont soucieux pour leur rôle dans le monde arabo-islamique, ne
tolèrent pas le renforcement des Chiites dans les pays de la région, et c'est
pourquoi ils se sont permis une ingérence militaire au Bahreïn, à majorité
écrasante chiite, pour mater le soulèvement populaire. Les Chiites d'Arabie
Saoudite doivent choisir entre quatre
stratégies:
- Isolement: Selon cette stratégie, les Chiites évitent la
confrontation avec le Royaume tout en préservant leur mode de vie
communautaire, leur culture religieuse, les formes d'entraides, et en
s'appuyant sur les aides étrangères pour leur survie.
- Contestation active : Cette stratégie est basée sur une lutte armée. Mais
pour cela ils doivent obtenir des armes d’Iran et l'aide des conseillers issus des
Gardiens de la Révolution pour un entraînement militaire efficace. L’Arabie a
un grand espace à surveiller et sa
frontière avec l’Irak voisin est poreuse.
- Contestation
pacifique : Cette stratégie consiste
à sensibiliser au moyen des medias à condition de collaborer avec d’autres
éléments d'opposition comme les forces à tendance séculaire et libérale de la
société saoudienne qui vivent en exil et qui pourraient s'appuyer sur des relais locaux
déterminés.
- Collaboration et
coexistence : C'est la stratégie
suivie actuellement pas le mouvement réformiste, confirmée par la plupart des Chiites y compris Cheikh Hassan Alsafar, l'un des leaders chiites saoudites. Selon
cette stratégie, les chiites essayent d'exploiter les moindres opportunités de
changement par la voie du dialogue. Mais les Chiites saoudiens ont encore un
long chemin à faire pour accéder à leur droit, à commencer par l’affirmation de
leur identité religieuse et la libre pratique de leur religion.
L’Arabie saoudite devrait prendre au
sérieux ces mouvements d’humeur de sa communauté chiite en constatant avec
quelle rapidité et quel art, l’Irak a été absorbé par l’Iran.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire