ISRAËL :
JUDAÏSME, RELIGION ET ARMÉE
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Déclaration d'Indépendance |
La
déclaration d’indépendance d’Israël précise qu’Israël est un État «juif et
démocratique» fondé sur les valeurs de liberté, d’égalité et de justice inspirées
par les textes bibliques. Et pourtant le sionisme est né d’une idéologie
profane, élaborée dans les arrières salles des cafés des pays de l’Est par des
militants socialo-communistes, souvent athées.
Mais dépassés par leur judaïsme atavique, les dirigeants historiques
laïcs d’Israël, n’avaient pas abandonné le vieux rêve messianique du retour à
Sion et du rassemblement des Exilés. Ils avaient tenu, comme symbole de
légitimité, à garder la tradition juive dans les concepts fondateurs du
pays avec l’hébreu comme langue nationale et le Shabbat comme jour de
repos hebdomadaire.
Mauvaise
réputation religieuse
Max Nordau |
Hormis Théodore Herzl et Max Nordau, les
fondateurs du pays n’avaient jamais envisagé de séparer la religion de l’État comme aux États-Unis ou en France et encore
moins de proclamer le judaïsme comme religion d’État à l’instar des pays arabes
et des pays protestants européens. En fait, Israël avait refusé d’être un État
théocratique, poussant même le luxe de se prévaloir d’être laïc selon la
boutade de Yeshayahou Leibowitz qui considérait Israël comme un «État laïc
de mauvaise réputation religieuse».
Leibowitz |
Bien que la Proclamation d’Indépendance de mai
1948 garantissait «l’égalité et la pleine liberté d’opinion et de culte à
tous ses citoyens, sans distinction de race, de sexe et de croyance», Israël
avait abandonné progressivement, pour des raisons politiques, des pans entiers
de ses prérogatives à des tribunaux religieux dirigés par des magistrats fonctionnaires
de l’État. David Ben Gourion avait institué cette entorse à la laïcité pour
amadouer les milieux orthodoxes qui s’opposaient à la création d’un État juif parce
que, selon leur idéologie, cette responsabilité était dévolue au Messie.
Mais il n’a pas pu s’opposer à l’application
des lois de la Halakha, la Loi religieuse, donnant la qualité de juif aux seules
personnes nées de mère juive. Le paradoxe veut que les milieux orthodoxes ont
enfourché les mêmes thèses que les Arabes israéliens, députés inclus, qui
rejettent les fondements idéologiques de la démocratie israélienne jusqu’à
dénigrer la langue officielle, l’hébreu, le drapeau israélien et l’hymne
national. Alors que pour les idéologues, le sionisme est une question de
reconstruction nationale, les milieux religieux divergent sur les
croyances fondées sur le triptyque
d’exil (galout), de rédemption (guéoula) et de rassemblement des exilés
(kibboutz galouyot).
Combat antisioniste
Les religieux avaient justifié leur frilosité à
l’égard d’Israël parce qu’ils accusaient les sionistes de ne plus respecter les
règles appliquées depuis la destruction du temple impliquant qu’aucune entité
juive, autre que d’essence religieuse, ne puisse être créée à savoir :
— «ne pas monter sur les remparts»
signifiant qu’il ne faut pas immigrer en masse en Terre sainte ;
— ne pas précipiter la «Fin des Temps»
en essayant de restaurer le «royaume de David»;
— ne pas «susciter le courroux des nations»
à savoir ne pas attirer le courroux en voulant rétablir la souveraineté juive
en Palestine.
A la Knesset |
Les orthodoxes d’origine est-européenne, les
Lituaniens en particulier, agissent contre Israël depuis qu’ils ont organisé à
partir de 1912 le combat antisioniste avec leur parti Agoudat Israël,
aujourd’hui au gouvernement. Cependant les rabbins Reines et Kook ont été
convaincus qu’il ne pouvait y avoir de rédemption véritable sans avènement
messianique avec une «Fin des Temps» d’inspiration divine et non
humaine.
Alors ils ont écorné des règles divines prouvant que l’humain peut
modifier ce qui est censé venir du Ciel. Par opposition aux orthodoxes purs et
durs, ils pensaient que la concrétisation des objectifs profanes du sionisme pourrait
mener à l’avènement du Messie. Tout en dénigrant certains aspects de l’idéologie
sioniste, ils avaient ainsi prôné le soutien à l’Agence juive et aux
organisations sionistes afin de les influencer de l’intérieur et de renforcer
l’emprise religieuse sur la vie de tous les jours. Cette stratégie les a conduits
à collaborer avec Ben Gourion en créant le parti national religieux Mafdal,
issu du mouvement Mizrahi. Ils ont alors infiltré la politique intérieure israélienne
en laissant aux sionistes le soin de conduire la politique étrangère.
Rabbin Kook |
Après la Guerre des Six-Jours
Yeshiva mercaz harav |
Le rabbin Abraham Itzhak Hakohen Kook assimila
le sionisme à une œuvre de résurrection politique et sociale du judaïsme et les
habitants laïcs des kibboutzim comme des
agents de Dieu. À sa mort en 1935, son fils prit la suite et il transforma
radicalement la physionomie du sionisme religieux israélien. Tout a changé
après la Guerre des Six-Jours qui a été suivie par une vague mystique. Des
jeunes pionniers, issus des milieux nationaux religieux, décidèrent alors de
créer des implantations en Cisjordanie et à Gaza avec les militants du Bloc de
la Foi de la Yeshiva Mercaz Harav.
Le rabbin Kook interpréta alors les textes à sa façon. Il justifia la Shoah et les
victoires d’Israël comme un signe de l’avènement prochain du Messie. Il exploita
le désarroi de la guerre de Kippour de 1973 en transformant le sionisme
religieux en hyper nationalisme, messianique antidémocratique et surtout plus
orthodoxe que le courant Mizrahi dont il est issu. Ces nouveaux adeptes se sont
alors inspirés des pionniers socialistes du Yishuv en troquant le short et la
chemise kaki pour un accoutrement original de jupes longues et foulards pour les filles et pour les hommes, de châles
de prière, de sandales bibliques, de papillotes et de barbes sans oublier la
mitraillette en bandoulière. L’enseignement des textes sacrés et de la
géographie biblique a été imposé.
Ces
néo-religieux se sont alors distingués par leur opposition intransigeante à un
processus de paix avec les Palestiniens. Ils réfutent toute décision
démocratique prise par la Knesset car l’avenir des terres du Grand Israël est
d’essence divine donc relève de la seule Halakha, la loi religieuse. Et
pourtant, ils ne sont pas majoritaires puisque la population juive israélienne
se répartit en trois groupes. Les Datis évalués à 20% de la population englobent
les orthodoxes et les religieux nationaux. Les Masortis ou
traditionalistes, 31%, sont acquis aux idéaux du sionisme classique avec un
respect pour les institutions démocratiques du pays. Enfin les Hilonis majoritaires
avec 45% d’Israéliens laïcs n’ont aucune attache religieuse précise, certains
restent traditionalistes modérés. La minorité des 4% des conservateurs
réformistes d’origine américaine sont considérés par le rabbinat comme des non-juifs n’ayant
aucun droit de cité dans le pays.
Alors qu’Israël est un pays démocratique avec
toutes les libertés qui s’y rattachent, les orthodoxes se comportent de manière
anti démocratique, avec une volonté coercitive poussée, en régentant la vie de
leurs adeptes. Ils censurent les lectures et les loisirs, ils imposent des
normes vestimentaires, ils interviennent dans la vie privée, ils règlent la vie
sociale et économique et exigent de tous les jeunes qu’ils passent leur temps
dans une Yeshiva où les matières profanes sont proscrites. Ils vouent aux gémonies la Cour Suprême parce
qu’elle interfère parfois sur des décisions de code civil, contraires à la
Halakha.
Ils ont réussi à régenter la vie à Jérusalem en
tentant d’interdire la diffusion des programmes de télévision le samedi,
l’ouverture des commerces, des cinémas et des cafés, et la circulation dans certaines artères.
Comme ce fut le cas lors de la formation du dernier gouvernement, les
orthodoxes ont monnayé leur soutien à une majorité étriquée en exigeant des
budgets exorbitants destinés aux nombreuses institutions sociales entretenues
par les milieux orthodoxes.
Les sionistes religieux
Les nouveaux politiciens religieux, sous la
conduite de la ministre de la justice,
rêvent à présent de réduite les pouvoirs de la Cour Suprême en créant à
ses côtés une Cour constitutionnelle composée de juges nommés par la Knesset
qui passeront leur temps à disserter sur la question sempiternelle de «qui
est Juif ?» Et dans cette structure purement juive, les arabes
israéliens trouvent de moins en moins leur place. D’ailleurs seuls 23% d’entre
eux se sentent israéliens, 27% sont prêts à hisser le drapeau israélien et 7%
refusent à Israël le droit d’exister.
Zadoc Kahn |
Le poids de la religion est un débat permanent
et il ne date pas d’hier. Nous laisserons le dernier mot au très ouvert Grand
rabbin de France, Zadoc Kahn, qui avait du mal à imaginer un État juif sans
religion. Il s’était expliqué en 1897 au journal parisien Le Journal : «La
loi juive embrasse tous les détails de la vie, affaires religieuses, affaires
politiques, affaires pénales, etc. Rétablira-t-on un tel régime ?
Reviendra-t-on à la domination souveraine exclusive de la Loi de Moïse et du
code rabbinique ?... Je ne pense pas que le Dr Herzl et ses disciples acceptent
un instant l’idée d’une théocratie despotique. Ils savent trop quels sont les
fruits de l’intolérance pour ne pas inscrire en première ligne de leur
Constitution, la loi de tolérance. Mais si aucune de ses lois, ni civiles ni
politiques, ni religieuses, n’est juive, pourquoi le nouvel État
s’appellera-t-il État juif ?»
De nombreux citoyens se plaignent que Tsahal soit
passé sous domination des religieux. Ils craignent que le
fondamentalisme religieux prenne le dessus. Jusqu’au début des années 1980, la proportion
des sionistes religieux dans les instances dirigeantes de l’armée était faible.
Les membres laïcs des kibboutzim contrôlaient les postes de direction au point
de croire que l’appartenance aux unités d’élite dépendait de l’appartenance ou
non au kibboutz. Nombreux ont été les généraux dans ce cas : Moshe Dayan,
Yitzhak Rabin, Moshé Yaalon, Amnon Lipkin-Shahak, Uri Ssagyh. Aujourd’hui le
mouvement a été inversé. De nombreux officiers supérieurs portent la kippa
tricotée. L’ancien chef du renseignement militaire israélien, le général
Shlomo Gazit, avait alors déclaré : «l’armée israélienne est tombé sous
l’emprise des religieux sionistes». Et pourtant les sionistes religieux ne
représentent que 8% de la population juive comme naguère les habitants des
kibboutzim. Ils s’opposent aux orthodoxes qui ne font pas l’armée et
considèrent, contrairement à eux, que la création d’Israël est une condition de
la venue du messie et non le contraire.
La kippa et le fusil
Selon certains chiffres diffusés par Haaretz, la proportion de sionistes religieux parmi les officiers s’est
accrue de manière presque exponentielle. Elle dépasse la proportion qu’ils
représentent dans la population qui se situe entre 30 à 40%.
Yaacov Amidror |
Le courant sioniste religieux
pousse ses partisans à accéder à des postes-clés dans l’armée et dans les
établissements de sécurité afin d’influencer les décideurs du pays. On sait en
effet que, pour des raisons sécuritaires, la décision politique est subordonnée
à l’avis des militaires et des services de sécurité avant toute prise de
décision importante. C’est pourquoi les
partis israéliens recrutent les généraux qui partent à la retraite. Dans le cas
présent, l’ancien chef d’État-major, Gaby Ashkenazi, est actuellement approché
par Yaïr Lapid et par Itzhak Herzog pour rejoindre leurs rangs. Il est un fait
que les sionistes religieux participent au grand effort de guerre et que, par
exemple, le nombre de soldats tués originaires de l’implantation d’Eli, peuplée
de 4.000 habitants, représente le nombre
de soldats tués à Tel-Aviv avec un million d’habitants.
Un seul danger est à endiguer. Dans
une démocratie, l’armée est aux ordres du pouvoir civil et du gouvernement. Or,
les sionistes religieux placent les lois de la Torah au-dessus des lois
civiles. Cela risque de pousser certains soldats à refuser d’obéir aux ordres du
gouvernement, en particulier pour évacuer des implantations illégales. Pour assurer son avenir, Israël devra donc trouver
un compromis pour faire cohabiter les trois notions fondatrices du pays : le
sionisme, la religion et l’armée.
6 commentaires:
Tout est dit et complète, chiffres à l'appui les paradoxes de la société israélienne sur lesquels nous dissertons sans fin......Espérons que c'est la démocratie qui gagnera malgré un entourage régional qui influence notre société et qui est de moins en moins sympathique (c'est peu dire!).
Excellent article, il vient à bon propos. Il raconte l' Histoire de la Déclaration de l'Indépendance de Mai 1948 et ses Continuités.
Aux générations présentes et futures de bien s'en inspirer, Bé'ezrat hachem
Merci Jacques
je voulais écrire qu'étant donné l'emprise que prennent les religieux de tous bords confondus, dans tous les domaines de la vie d'Israël, et la régression que cela entraîne, on peut craindre le pire s'ils s'emparent de l'armée ! je suis déprimée aujourd'hui !!!
Guy Sorman aurait donc raison : nous assistons à la talibanisation de l'Est israélien, les Yeshivas équivalant aux Madrassas coraniques ?
Voilà qui promet des lendemains qui chantent.
Tous les paradigmes ayant échoué , la religion serait elle le nouveau paradigme?
L'Humanité est elle tellement désespérée , qu'elle serait prête à retourner à des temps obscurs ?
Merci de montrer la complexite de la societe israelienne qui se cherche encore ce sont des spasmes d aller venues quo la font vibrer de tputes parts vu le contexte anxiogene dans laquelle elle vit ne l oublions pas
Qui peut comprendre que nos soldats sont tous nos enfants et qu ils sont tous confrontes a la mort?
Que faut il pour ces victimes civiles du terrorisme a jerusalem? Vous attendez un bus? Couteau
Et les tunnels de la mort??
Anxiogene!! Et il faut vivre avec tout ca
Alors la foi et certaines structures accompagnent cette societe ....
Vous dites que la majeure partie des soldats tombes sont venus de cette frange religieuse pour defendre le pays merci pour leur courage quand d autres cherchent a salir l armee israelienne !!
Ce pays a des sousbresauts terribles
il.VIT comme ca peut !!?!
Enregistrer un commentaire