LE BEST-OF DES ARTICLES LES PLUS LUS DU SITE, cliquer sur l'image pour lire l'article


 

vendredi 21 août 2015

ISRAËL : JUDAÏSME, RELIGION ET ARMÉE



ISRAËL : JUDAÏSME, RELIGION ET ARMÉE
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

Déclaration d'Indépendance

La déclaration d’indépendance d’Israël précise qu’Israël est un État «juif et démocratique» fondé sur les valeurs de liberté, d’égalité et de justice inspirées par les textes bibliques. Et pourtant le sionisme est né d’une idéologie profane, élaborée dans les arrières salles des cafés des pays de l’Est par des militants socialo-communistes, souvent athées.  Mais dépassés par leur judaïsme atavique, les dirigeants historiques laïcs d’Israël, n’avaient pas abandonné le vieux rêve messianique du retour à Sion et du rassemblement des Exilés. Ils avaient tenu, comme symbole de légitimité, à garder la tradition juive dans les concepts fondateurs du pays avec l’hébreu comme langue nationale et le Shabbat comme jour de repos hebdomadaire.



Mauvaise réputation religieuse

Max Nordau

          Hormis Théodore Herzl et Max Nordau, les fondateurs du pays n’avaient jamais envisagé de séparer la religion de l’État comme aux États-Unis ou en France et encore moins de proclamer le judaïsme comme religion d’État à l’instar des pays arabes et des pays protestants européens. En fait, Israël avait refusé d’être un État théocratique, poussant même le luxe de se prévaloir d’être laïc selon la boutade de Yeshayahou Leibowitz qui considérait Israël comme un «État laïc de mauvaise réputation religieuse».
Leibowitz

          Bien que la Proclamation d’Indépendance de mai 1948 garantissait «l’égalité et la pleine liberté d’opinion et de culte à tous ses citoyens, sans distinction de race, de sexe et de croyance», Israël avait abandonné progressivement, pour des raisons politiques, des pans entiers de ses prérogatives à des tribunaux religieux dirigés par des magistrats fonctionnaires de l’État. David Ben Gourion avait institué cette entorse à la laïcité pour amadouer les milieux orthodoxes qui s’opposaient à la création d’un État juif parce que, selon leur idéologie, cette responsabilité était dévolue au Messie.
          Mais il n’a pas pu s’opposer à l’application des lois de la Halakha, la Loi religieuse, donnant la qualité de juif aux seules personnes nées de mère juive. Le paradoxe veut que les milieux orthodoxes ont enfourché les mêmes thèses que les Arabes israéliens, députés inclus, qui rejettent les fondements idéologiques de la démocratie israélienne jusqu’à dénigrer la langue officielle, l’hébreu, le drapeau israélien et l’hymne national. Alors que pour les idéologues, le sionisme est une question de reconstruction nationale, les milieux religieux divergent sur les croyances  fondées sur le triptyque d’exil (galout), de rédemption (guéoula) et de rassemblement des exilés (kibboutz galouyot).

Combat antisioniste

          Les religieux avaient justifié leur frilosité à l’égard d’Israël parce qu’ils accusaient les sionistes de ne plus respecter les règles appliquées depuis la destruction du temple impliquant qu’aucune entité juive, autre que d’essence religieuse, ne puisse être créée à savoir :
— «ne pas monter sur les remparts» signifiant qu’il ne faut pas immigrer en masse en Terre sainte ;
— ne pas précipiter la «Fin des Temps» en essayant de restaurer le «royaume de David»;
— ne pas «susciter le courroux des nations» à savoir ne pas attirer le courroux en voulant rétablir la souveraineté juive en Palestine.
A la Knesset

          Les orthodoxes d’origine est-européenne, les Lituaniens en particulier, agissent contre Israël depuis qu’ils ont organisé à partir de 1912 le combat antisioniste avec leur parti Agoudat Israël, aujourd’hui au gouvernement. Cependant les rabbins Reines et Kook ont été convaincus qu’il ne pouvait y avoir de rédemption véritable sans avènement messianique avec une «Fin des Temps» d’inspiration divine et non humaine. 
          Alors ils ont écorné des règles divines prouvant que l’humain peut modifier ce qui est censé venir du Ciel. Par opposition aux orthodoxes purs et durs, ils pensaient que la concrétisation des objectifs profanes du sionisme pourrait mener à l’avènement du Messie. Tout en dénigrant certains aspects de l’idéologie sioniste, ils avaient ainsi prôné le soutien à l’Agence juive et aux organisations sionistes afin de les influencer de l’intérieur et de renforcer l’emprise religieuse sur la vie de tous les jours. Cette stratégie les a conduits à collaborer avec Ben Gourion en créant le parti national religieux Mafdal, issu du mouvement Mizrahi. Ils ont alors infiltré la politique intérieure israélienne en laissant aux sionistes le soin de conduire la politique étrangère.
Rabbin Kook


Après la Guerre des Six-Jours

Yeshiva mercaz harav

          Le rabbin Abraham Itzhak Hakohen Kook assimila le sionisme à une œuvre de résurrection politique et sociale du judaïsme et les habitants laïcs des kibboutzim comme  des agents de Dieu. À sa mort en 1935, son fils prit la suite et il transforma radicalement la physionomie du sionisme religieux israélien. Tout a changé après la Guerre des Six-Jours qui a été suivie par une vague mystique. Des jeunes pionniers, issus des milieux nationaux religieux, décidèrent alors de créer des implantations en Cisjordanie et à Gaza avec les militants du Bloc de la Foi de la Yeshiva Mercaz Harav.

          Le rabbin Kook interpréta alors les textes à sa façon. Il justifia la  Shoah et les victoires d’Israël comme un signe de l’avènement prochain du Messie. Il exploita le désarroi de la guerre de Kippour de 1973 en transformant le sionisme religieux en hyper nationalisme, messianique antidémocratique et surtout plus orthodoxe que le courant Mizrahi dont il est issu. Ces nouveaux adeptes se sont alors inspirés des pionniers socialistes du Yishuv en troquant le short et la chemise kaki pour un accoutrement original de jupes longues et foulards  pour les filles et pour les hommes, de châles de prière, de sandales bibliques, de papillotes et de barbes sans oublier la mitraillette en bandoulière. L’enseignement des textes sacrés et de la géographie biblique a été imposé.

           Ces néo-religieux se sont alors distingués par leur opposition intransigeante à un processus de paix avec les Palestiniens. Ils réfutent toute décision démocratique prise par la Knesset car l’avenir des terres du Grand Israël est d’essence divine donc relève de la seule Halakha, la loi religieuse. Et pourtant, ils ne sont pas majoritaires puisque la population juive israélienne se répartit en trois groupes. Les Datis évalués à 20% de la population englobent les orthodoxes et les religieux nationaux. Les Masortis ou traditionalistes, 31%, sont acquis aux idéaux du sionisme classique avec un respect pour les institutions démocratiques du pays. Enfin les Hilonis majoritaires avec 45% d’Israéliens laïcs n’ont aucune attache religieuse précise, certains restent traditionalistes modérés. La minorité des 4% des conservateurs réformistes d’origine américaine sont considérés  par le rabbinat comme des non-juifs n’ayant aucun droit de cité dans le pays.
          Alors qu’Israël est un pays démocratique avec toutes les libertés qui s’y rattachent, les orthodoxes se comportent de manière anti démocratique, avec une volonté coercitive poussée, en régentant la vie de leurs adeptes. Ils censurent les lectures et les loisirs, ils imposent des normes vestimentaires, ils interviennent dans la vie privée, ils règlent la vie sociale et économique et exigent de tous les jeunes qu’ils passent leur temps dans une Yeshiva où les matières profanes sont proscrites.  Ils vouent aux gémonies la Cour Suprême parce qu’elle interfère parfois sur des décisions de code civil, contraires à la Halakha.

          Ils ont réussi à régenter la vie à Jérusalem en tentant d’interdire la diffusion des programmes de télévision le samedi, l’ouverture des commerces, des cinémas et des cafés,  et la circulation dans certaines artères. Comme ce fut le cas lors de la formation du dernier gouvernement, les orthodoxes ont monnayé leur soutien à une majorité étriquée en exigeant des budgets exorbitants destinés aux nombreuses institutions sociales entretenues par les milieux orthodoxes.  

Les sionistes religieux

          Les nouveaux politiciens religieux, sous la conduite de la ministre de la justice,  rêvent à présent de réduite les pouvoirs de la Cour Suprême en créant à ses côtés une Cour constitutionnelle composée de juges nommés par la Knesset qui passeront leur temps à disserter sur la question sempiternelle de «qui est Juif ?» Et dans cette structure purement juive, les arabes israéliens trouvent de moins en moins leur place. D’ailleurs seuls 23% d’entre eux se sentent israéliens, 27% sont prêts à hisser le drapeau israélien et 7% refusent à Israël le droit d’exister.
Zadoc Kahn

          Le poids de la religion est un débat permanent et il ne date pas d’hier. Nous laisserons le dernier mot au très ouvert Grand rabbin de France, Zadoc Kahn, qui avait du mal à imaginer un État juif sans religion. Il s’était expliqué en 1897 au journal parisien Le Journal : «La loi juive embrasse tous les détails de la vie, affaires religieuses, affaires politiques, affaires pénales, etc. Rétablira-t-on un tel régime ? Reviendra-t-on à la domination souveraine exclusive de la Loi de Moïse et du code rabbinique ?... Je ne pense pas que le Dr Herzl et ses disciples acceptent un instant l’idée d’une théocratie despotique. Ils savent trop quels sont les fruits de l’intolérance pour ne pas inscrire en première ligne de leur Constitution, la loi de tolérance. Mais si aucune de ses lois, ni civiles ni politiques, ni religieuses, n’est juive, pourquoi le nouvel État s’appellera-t-il État juif ?»
          De nombreux citoyens se plaignent que Tsahal soit passé sous domination des religieux. Ils craignent que le fondamentalisme religieux prenne le dessus. Jusqu’au début des années 1980, la proportion des sionistes religieux dans les instances dirigeantes de l’armée était faible. Les membres laïcs des kibboutzim contrôlaient les postes de direction au point de croire que l’appartenance aux unités d’élite dépendait de l’appartenance ou non au kibboutz. Nombreux ont été les généraux dans ce cas : Moshe Dayan, Yitzhak Rabin, Moshé Yaalon, Amnon Lipkin-Shahak, Uri Ssagyh. Aujourd’hui le mouvement a été inversé. De nombreux officiers supérieurs portent la kippa tricotée. L’ancien chef du renseignement militaire israélien, le général Shlomo Gazit, avait alors déclaré : «l’armée israélienne est tombé sous l’emprise des religieux sionistes». Et pourtant les sionistes religieux ne représentent que 8% de la population juive comme naguère les habitants des kibboutzim. Ils s’opposent aux orthodoxes qui ne font pas l’armée et considèrent, contrairement à eux, que la création d’Israël est une condition de la venue du messie et non le contraire.

La kippa et le fusil


Selon certains chiffres diffusés par Haaretz, la proportion de sionistes religieux parmi les officiers s’est accrue de manière presque exponentielle. Elle dépasse la proportion qu’ils représentent dans la population qui se situe entre 30 à 40%.
Yaacov Amidror

Le courant sioniste religieux pousse ses partisans à accéder à des postes-clés dans l’armée et dans les établissements de sécurité afin d’influencer les décideurs du pays. On sait en effet que, pour des raisons sécuritaires, la décision politique est subordonnée à l’avis des militaires et des services de sécurité avant toute prise de décision importante. C’est pourquoi  les partis israéliens recrutent les généraux qui partent à la retraite. Dans le cas présent, l’ancien chef d’État-major, Gaby Ashkenazi, est actuellement approché par Yaïr Lapid et par Itzhak Herzog pour rejoindre leurs rangs. Il est un fait que les sionistes religieux participent au grand effort de guerre et que, par exemple, le nombre de soldats tués originaires de l’implantation d’Eli, peuplée de 4.000 habitants,  représente le nombre de soldats tués à Tel-Aviv avec un million d’habitants.
Un seul danger est à endiguer. Dans une démocratie, l’armée est aux ordres du pouvoir civil et du gouvernement. Or, les sionistes religieux placent les lois de la Torah au-dessus des lois civiles. Cela risque de pousser certains soldats à refuser d’obéir aux ordres du gouvernement, en particulier pour évacuer des implantations illégales.  Pour assurer son avenir, Israël devra donc trouver un compromis pour faire cohabiter les trois notions fondatrices du pays : le sionisme, la religion et l’armée.



  

6 commentaires:

Elizabeth GARREAULT a dit…

Tout est dit et complète, chiffres à l'appui les paradoxes de la société israélienne sur lesquels nous dissertons sans fin......Espérons que c'est la démocratie qui gagnera malgré un entourage régional qui influence notre société et qui est de moins en moins sympathique (c'est peu dire!).

SC a dit…

Excellent article, il vient à bon propos. Il raconte l' Histoire de la Déclaration de l'Indépendance de Mai 1948 et ses Continuités.

Aux générations présentes et futures de bien s'en inspirer, Bé'ezrat hachem

Merci Jacques

Florence PAVAUX DRORY a dit…

je voulais écrire qu'étant donné l'emprise que prennent les religieux de tous bords confondus, dans tous les domaines de la vie d'Israël, et la régression que cela entraîne, on peut craindre le pire s'ils s'emparent de l'armée ! je suis déprimée aujourd'hui !!!

Marianne ARNAUD a dit…

Guy Sorman aurait donc raison : nous assistons à la talibanisation de l'Est israélien, les Yeshivas équivalant aux Madrassas coraniques ?

Voilà qui promet des lendemains qui chantent.

Paul ZAQUIN a dit…

Tous les paradigmes ayant échoué , la religion serait elle le nouveau paradigme?
L'Humanité est elle tellement désespérée , qu'elle serait prête à retourner à des temps obscurs ?

Unknown a dit…

Merci de montrer la complexite de la societe israelienne qui se cherche encore ce sont des spasmes d aller venues quo la font vibrer de tputes parts vu le contexte anxiogene dans laquelle elle vit ne l oublions pas
Qui peut comprendre que nos soldats sont tous nos enfants et qu ils sont tous confrontes a la mort?
Que faut il pour ces victimes civiles du terrorisme a jerusalem? Vous attendez un bus? Couteau
Et les tunnels de la mort??
Anxiogene!! Et il faut vivre avec tout ca
Alors la foi et certaines structures accompagnent cette societe ....
Vous dites que la majeure partie des soldats tombes sont venus de cette frange religieuse pour defendre le pays merci pour leur courage quand d autres cherchent a salir l armee israelienne !!
Ce pays a des sousbresauts terribles
il.VIT comme ca peut !!?!