YÉMEN : PAYS
STRATÉGIQUE POUR ISRAËL
Par Jacques BENILLOUCHE
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Le Yémen
est miné par une guerre entre musulmans commencée en 2001 mais longtemps
ignorée par les medias. Circonscrite au départ autour d’un conflit tribal, la
guerre généralisée inquiète plus que jamais Israël car ce pays contrôle le détroit
de Bab Al-Mandeb qui assure la liberté de navigation à travers la mer Rouge et
l’accès au port d’Eilat. Le pays est aujourd’hui subdivisé en quatre régions
contrôlées chacune par un clan. Les Houthis, rebelles chiites, dominent le nord
tandis que les loyalistes sunnites fidèles du président Hadi exilé à Aden
occupent le sud. Entre ces deux grands forces, le reste du pays est morcelé
entre les sunnites d’Al-Qaeda et d’Ansar al Charia et les séparatistes sunnites
du sud.
Les Houthis
Les Houthis, du nom de leur dirigeant, Hussein
Badreddin al-Houthi, sont une organisation insurrectionnelle chiite. En conflit
avec le gouvernement de la république du Yémen dans le cadre de la guerre du
Yémen depuis 2001 et la guerre du Saada déclenchée en 2004, ils se sont emparés des
bastions montagnards du nord-ouest. Composé de plus de 10.000 miliciens, le
mouvement est soutenu par l'Iran et le Hezbollah. Les Houthis se plaignent
d’avoir été marginalisés par le gouvernement sur le plan politique, économique
et religieux dans le cadre de la réunification du Yémen en 1990. Ils réclament le
rétablissement du statut d’autonomie dont ils bénéficiaient avant le coup d'État
républicain de 1962.
L'ex-chef de l'Etat Ali Abdallah Saleh |
Le Yémen est un pays englué dans une crise
interminable attisée par une milice chiite, un ancien président déchu, les djihadistes
sunnites d’Al-Qaeda et tout récemment ceux du groupe État islamique. Ces quatre
clans se déchirent dans une guerre sans merci, chacun avec ses propres
convictions et des intérêts contradictoires.
Les miliciens chiites houthis ont lancé une offensive
de grande envergure à l’occasion d’une insurrection populaire en 2011, inspirée
par les Printemps arabes, qui a entraîné le départ du président Ali
Abdallah Saleh. Ces miliciens recrutent dans la communauté zaydite représentant
une branche du chiisme. Usant de la stratégie du Hezbollah, les Houthis ont
déferlé en septembre 2014 à Sanaa en étendant leur influence jusqu'aux portes
d'Aden. Ils sont suspectés de vouloir rétablir le régime monarchique de
l'imamat zaydite aboli en 1962.
L’ancien
président déchu Saleh, usant d’une manœuvre ambiguë, a scellé une alliance secrète avec les Houthis. Cet
ex-dictateur a occupé le pouvoir pendant 33 ans et n’a pas supporté d’avoir été
renversé en 2012 par Abd Rabbo Mansour Hadi, démocratiquement élu. Il utilise son
immense richesse et sa forte influence au sein des
forces armées pour déstabiliser son successeur.
Attentat dans une mosquée |
Al-Qaeda et l’État islamique ont
profité de cette ambiance révolutionnaire pour entrer eux-aussi dans le jeu au
Yémen en lançant des attaques suicides qui ont fait le 20 mars 142 morts dans des mosquées fréquentées par des fidèles
chiites et houthis. L’EI a en fait repris le terrain occupé par AQPA (Al-Qaeda
dans la péninsule arabique) constitué de djihadistes sunnites dangereux et
sanguinaires qui ont revendiqué l’attentat
contre Charlie Hebdo.
Guerre civile
La
guerre civile généralisée se précise à l’heure actuelle. Le président Hadi,
incapable s’imposer son autorité, a été contraint à l’exil en Arabie saoudite mais il reste
aux yeux de l’Occident le président légitime. Il y a peu de chance que l'émissaire
de l'ONU au Yémen, Jamal Benomar, réussisse à trouver une solution politique à
ce conflit.
Ce petit pays concentre sur lui la
totalité des rivalités du Moyen-Orient et des forces antagonistes. La surprise
a été grande de voir l’Arabie saoudite intervenir militairement de manière
radicale après avoir usé de méthodes homéopathiques en contenant l’avancée des
Houthis sur le sol yéménite. Le roi d’Arabie a réussi, ce que personne n’a
réussi ailleurs, à constituer une coalition de dix pays sunnites dans le cadre d’une
offensive destinée clairement à
neutraliser l’influence de l’Iran dans la région. L’Arabie a tranché lorsqu’elle a eu à
affronter les djihadistes de l’État islamique à sa frontière nord avec l’Irak
et les Houthis à sa frontière sud avec le Yémen.
Militaires saoudiens |
On comprend mieux pourquoi, avec
6,4
milliards de dollars, les importations d'armement de l'Arabie saoudite ont
augmenté de 54% en 2014. Ryad a dépassé New Delhi, en devenant le premier
acheteur d'armes dans le monde. Devant le renoncement des Américains à stopper
le programme nucléaire iranien, l’Arabie s’est substituée aux États-Unis comme
gendarme au Moyen-Orient en freinant toute avancée des troupes chiites à ses
frontières. Elle est devenue la puissance régionale capable de fédérer les Sunnites. Cette
opération venait à point nommé, en forme de pied de nez destiné aux 5+1 qui
semblent avoir baissé les bras face à l’Iran. L’Arabie veut protéger le détroit de Bab
el-Mandeb par lequel transitent près de
trois millions de barils par jour. C'est aussi la porte ouverte vers le port d'Eilat.
Scénario
irakien
L’Arabie craint le scénario
irakien qui verrait les Houthis s’emparer de la production de pétrole pour
financer leurs combats et pour affaiblir le Royaume. Israël a dépêché dans la
zone des navires militaires et deux sous-marins dotés de missiles pour
protéger la circulation maritime. Quatre navires de guerre égyptiens sont
d'ailleurs entrés dans le canal de Suez afin de sécuriser le golfe d'Aden, au
large du Yémen. Une sorte d’alliance de fait s’est établie entre ceux qui protègent
le sol et d’autres la mer. Il n’est pas question pour l’Arabie d’autoriser l’installation
d’un avant-poste iranien à sa frontière sud. Après l’Irak qui est tombé dans l’escarcelle
iranienne, la mainmise de Téhéran sur le Yémen aurait des conséquences
sécuritaires avec à la clé le développement des groupes djihadistes dans des
zones majoritairement sunnites.
Alors que de nombreux
observateurs politiques pensaient qu’Israël allait torpiller l’accord avec l’Iran
en lançant une guerre contre le Hezbollah, il s’avère que l’Arabie a pris la
tête d’opérations aériennes au risque de déclencher une guerre régionale. L’Iran a d’ailleurs réagi
immédiatement en envoyant le commandant supérieur des Brigades iraniennes Al
Qods, le général Qassem Soleimani, qui a atterri le vendredi 27 mars dans la
capitale yéménite Sanaa pour organiser une contre-offensive et ouvrir le troisième
front auquel l’Iran est confronté après la Syrie et l'Irak. La généralisation
de la guerre est en cours.
Pour l’instant la guerre n’a pas lieu sur
terre mais par les airs. L’Arabie ne prendra pas le risque immédiat d’envoyer des
troupes terrestres face à des guerriers yéménites houthis ultra armés, rôdés en
technique de guérilla et mieux entraînés. Téhéran leur a fourni de l'armement
lourd. La malédiction du Printemps arabe a encore frappé et elle conduit
à une guerre confessionnelle qui risque à terme de se solder par une
décomposition du Yémen en quatre entités antagonistes.
Armée aérienne saoudienne |
Une intervention terrestre n’est
pas exclue si la situation l’exigeait puisque l’Arabie a déjà mobilisé 150.000
soldats et 100 avions de combat. Les Émirats arabes unis ont engagé
30 avions de combat, Bahreïn et Koweït 15 chacun et le Qatar, dix. D'autres
pays alliés ont rejoint la coalition sunnite comme l'Égypte, la Jordanie, le
Soudan, le Pakistan et le Maroc.
Erreur
américaine
Les Partisans des Houthis manifestent contre l'Arabie |
L’erreur stratégique des Etats-Unis consistait à fermer les yeux sur ces Houthis qui taillaient des croupières aux ennemis des américains de toujours, Al-Qaeda dans la péninsule arabique. Mais les États-Unis ne se sont pas rendus
compte que le contrôle du Yémen par les chiites serait considéré comme un casus
belli à la fois pour l’Arabie et pour Israël. Riyad et les monarchies
pétrolières ont toujours surveillé de près les événements au Yémen car la
contagion serait dangereuse pour leurs minorités chiites privées de droits
politiques.
En fait les ennemis irréductibles, que sont l’Arabie et l’Iran, s’affrontent à présent sur le terrain du Yémen.
Téhéran soutient le Hezbollah libanais tandis que Ryad prête main-forte aux
islamistes qui combattent le régime de Bachar Al-Assad.
Pour Israël le problème iranien
doit être résolu rapidement car selon les experts, Téhéran devrait
avoir la bombe à la fin de l'année 2015. On attendait la grande bataille du
Moyen-Orient ailleurs mais il semble qu’elle ait commencé au Yémen. Barack
Obama signe ici son nouvel échec puisqu’il présentait le Yémen comme modèle d’une
lutte efficace contre les réseaux islamistes d’Al-Qaeda. Contrairement à la
Syrie et à l’Irak, le conflit yéménite peut impliquer toutes les puissances
régionales, Israël et même la Russie qui a menacé de débarquer ses forces si l’Arabie
s’y implantait. Des navires russes ont été vus se dirigeant vers le détroit de
Bab el-Mandeb.
Certains observateurs ont fait le
parallèle entre cette opération saoudienne et la victoire de Benjamin Netanyahou aux
élections législatives. Ils veulent voir Israël derrière les frappes
saoudiennes et une grande complicité entre les deux pays dans leur opposition à la stratégie américaine. En fait, Israël observe pour l'instant, avec un œil intéressé, le
combat millénaire entre Perses et Arabes, entre Chiites et Sunnites qui se
perpétue à travers les générations.
4 commentaires:
Rien n'est facile dans cette région du monde et encore une connerie de Barack Obama,mais quand va t-il s'arrêter ce garçon !
Excellent article ! On pourrait dire merci à l'Arabie Saoudite qui fait le travail qu'Obama ne fait pas ! On se demande en faveur de qui ce type agit (en fait , on ne se le demande plus depuis longtemps ).
Cher monsieur Benillouche,
Ainsi pas plus qu'en Afghanistan, en Irak et dans tout le Moyen-Orient, les Américains ont réussi a instaurer autre chose que le cahos. Et pendant que Obama s'installe dans la neutralité entre les Sunnites et les Chiites, certains voient déjà le Yémen se désintégrer comme l'Irak ou la Libye. Et pendant ce temps Paris et l'UE répètent après Obama : "Il n'y a pas de solution militaire."
Et un proche de l'administration d'Obama confirme au Figaro : "Cette Maison-Blanche estime que si on intervient d'un côté trop clairement on accélère la désintégration. Notre intérêt vital est donc défini en termes très modestes : empêcher une attaque terroriste contre notre pays."
On comprend que Israël ne pourra pas se contenter de croiser les doigts pour limiter les dégâts et que son intérêt est d'avoir un chef - et même un chef de guerre - à sa tête.
Très cordialement.
La décomposition de l'Orient a commencé par la destitution de l'Irakien Sadam Hussen par le président Georges Bush Alors je pense que l'incapacité d'Obama n'est pas due à ses aptitudes personnelles mais bien à sa culture Américaine.
Bernard Allouche
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