économie d’Israël : VENDRE les FLEURONS DE L'INDUSTRIE
par Jacques BENILLOUCHE
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Pionniers au kibboutz |
Encore
une information économique qui nous annonce, le 10 avril 2016, que le groupe d’investissement
chinois Fosun vient d’acquérir la société israélienne Ahava pour 77 millions de
dollars. C’est un fleuron de l'industrie des produits de beauté de la Mer Morte qui tombe entre des mains étrangères au nom de l’intérêt personnel des actionnaires privés parmi lesquels deux kibboutzim. On peut se poser la question, à juste titre, de savoir
si la transition du socialisme économique au libéralisme pur et dur n’a pas été
trop rapide en Israël. L’idéologie socialiste, qui a prévalu durant les
premières années de la construction d’un État pionnier, a été balayée par un
mouvement de réformes et de privatisations intervenu dans les années 1990 qui a
éliminé l’État des manettes du pays pour le rendre simple observateur sur le
plan économique et social.
Fin de l’idéal
collectiviste
Il est vrai que les premiers pionniers juifs,
profondément imprégnés d’idéal collectiviste pouvant seul permettre une réelle
répartition des richesses dans un pays pauvre en construction, n’ont eu de
cesse que d’étatiser tous les pans d’une industrie naissante et d’une économie
à la recherche d’une identité. À l’époque, l’eau, l’électricité, le pétrole et
l’agriculture ne pouvaient se concevoir qu’entre les mains d’un État providence,
omniprésent, caractérisé par une bureaucratie à la soviétique et un
syndicalisme fort.
Menahem Begin |
L’élimination en 1977 des Travaillistes au pouvoir et l’arrivée du Likoud de Menahem Begin aux affaires
ont été caractérisées par la mise en œuvre d’une politique libérale, que confirmera Netanyahou quelques années plus tard. La lutte contre le syndicat majoritaire s’est accompagnée de
mesures économiques drastiques : réduction du déficit budgétaire,
suppression de l’indexation des salaires cause de l’inflation, baisse des taux
d’intérêt, fixation d’une parité constante du shekel-dollar, et baisse des
charges salariales. L’arrivée des nouvelles technologies minimisa le rôle de l’État
qui perdit sa fonction d’exécutant. L’afflux depuis l’ex-URSS de nouveaux
immigrants diplômés a permis à l’industrie militaire de se développer en tirant
les enseignements des différentes guerres auxquelles Israël a été confronté.
Le résultat
a vite été probant puisque le «petit pays» s’est classé troisième des
entreprises de haute technologie cotées au Nasdaq. Les fleurons d’une industrie
de pointe se sont taillé une place internationale à l’instar de la société Teva,
leader dans les médicaments génériques. Les techniques de dessalement d’eau de
mer, d’irrigation et de recyclage des eaux usées ont été exportées. Israël s’est
placé parmi les dix premières puissances exportatrices d’armement. Une véritable Silicon Valley a pris place dans le paysage entre le
monde industriel et l’université. Cela a permis au professeur Ami Moyal de développer
dans son université d’Afeka les techniques de décodages de textes et de voix
utilisées par les principales agences de
renseignement du monde.
Ami Moyal et une partie de son équipe |
Vue à court
terme
La question
reste de savoir si Israël a intérêt à se défaire de ses bijoux de famille pour
un avantage immédiat, au risque de nuire à l’avenir de ses tissus industriels,
de délocaliser des entreprises et de réduire les emplois en Israël. Par
ailleurs, Israël se pénalise en se passant d’entreprises locales qui créent une
synergie pour de nouveaux développements dans des secteurs innovants. Certes la
recherche est financée à 77% par les entreprises privées et 5% par le
gouvernement qui se borne à des encouragements fiscaux pour attirer le capital-risque.
Bijoux de famille |
Par son programme Yozma (initiative) en 1993, le gouvernement avait
offert des incitations fiscales attrayantes pour les investissements de
capital-risque étrangers en Israël en promettant de doubler tout investissement
avec des fonds du gouvernement. L’État a autorisé par ailleurs le versement de la
totalité des gains aux investisseurs permettant ainsi de multiplier par 60 en
dix ans les montants des investissements. Pour favoriser les investissements
privés, l’État a aussi inventé le dispositif Angel Law qui permet à tout
investisseur dans une entreprise de haute technologie de déduire jusqu’à un million d’euros de son revenu au
lieu d’être taxé selon les normes à 45%. Pas étonnant donc que les
investissements en capital-risque soient en croissance exponentielle.
Mais cette politique libérale, pénalisant
les classes défavorisées, a mis fin en
1977 au revenu minimal garanti aux plus pauvres tout en profitant aux couches
les plus riches. Les associations caritatives
se sont alors substituées à l’État pour venir en aide aux défavorisés. Le libéralisme
a même atteint le kibboutz qui a été à l’origine de la création de l’État et du
partage des richesses entre immigrés démunis. L’agriculture a depuis été
délaissée au profit de productions industrielles plus rentables alors que le
kibboutz, avec 2% de la population incluant la fine fleur de la jeunesse, avait
permis de nourrir tout un pays, longtemps astreint à des rationnements
alimentaires.
Kibboutz Yotvata |
Le kibboutz,
lui-aussi frappé par la mondialisation, a privilégié la rentabilité économique
à la nécessaire production alimentaire qui permet au pays d’être autonome pour
sa subsistance, laissant souvent aux Arabes de Cisjordanie et de Gaza le soin
de produire les produits agricoles de base dont Israël a besoin. Il symbolisait la solidarité et le sacrifice
d’un peuple alors qu'ils sont actuellement remplacés par une idéologie individualiste.
Libéralisation
Certes le
libéralisme a renforcé l’économie israélienne en favorisant la libre circulation
des biens et des capitaux jusqu’à devenir un exemple pour de nombreux pays. Quelques
dirigeants français se sont d'ailleurs déplacés à Tel-Aviv pour s’informer sur l’expérience
israélienne sur les capitaux-risques car la France est aussi soumise aux
prédateurs internationaux. En effet Israël a favorisé le capital-risque, quitte
à perdre quelques impôts sur les sociétés. Il a développé une fiscalité
avantageuse pour ceux qui investissaient en Israël. Il a innové en permettant
le transfert de technologie des industries militaires vers le civil.
Milton Friedman |
Mais
surtout, après l’épisode de l’économie collectiviste chère aux pionniers
israéliens, il n’a pas hésité à faire appel aux experts internationaux juifs
pour l’aider à assainir une économie en pleine transition libérale. On se
souvient de Milton Friedman, père du libéralisme moderne, qui avait longtemps conseillé Menahem Begin pour
diminuer une inflation à trois chiffres au début des années 1980 et plus près
de nous, de Stanley Fisher qui a dirigé la Banque d’Israël au moment de la
crise mondiale permettant à Israël de devenir l’une des réserves mondiales en
devises, capable de financer le FMI.
Stanley Fischer |
La question est posée aux grands
économistes pour savoir s’il est sain pour Israël de se défaire des fleurons de
son industrie pour quelques millions de dollars de plus, en vendant ses bijoux de
famille. Ainsi déjà le loup chinois était entré dans la bergerie, Agan basée à Ashdod en l’occurrence, l'un des plus grands producteurs israéliens de produits chimiques
agricoles pour la protection des cultures. Il approvisionne les marchés à
travers le monde avec une gamme complète d'herbicides éprouvée sur le terrain,
d’acaricides et de régulateurs de croissance. La société exporte plus de 90% de
sa production à travers une centaine de pays et emploie plus de 500 salariés.
Ses ingénieurs de recherche sont parmi les plus créatifs, les plus originaux et
les plus efficaces pour la découverte de nouvelles lignes de production.
Usine Agan à Ashdod |
Or l’usine
a été cédée aux Chinois sans que le gouvernement israélien, dans sa grande
libéralité, n’intervienne pour bloquer le transfert d’un secteur chimique
stratégique vers des mains étrangères. Il n’a rien fait pour rechercher auprès
d’investisseurs israéliens, des candidats nationaux à la reprise de cette
société. Nous connaissons les méthodes chinoises appliquées dans d’autres pays
et leur façon progressive et discrète de s’approprier le know-how des
occidentaux. Ils commencent par remplacer une partie du personnel, aux postes
sensibles, pour éliminer les blocages des transferts de technologie puis
remplacent les ouvriers d’Ashdod et de Beersheba par des ouvriers chinois aux
salaires plus réduits quand ils ne délocalisent pas la production chez eux.
Startups
Aujourd’hui
les start-ups israéliennes sont devenues des proies faciles pour les groupes
internationaux qui viennent faire leur marché en Israël. Fort
de l’expérience d’Agan, le groupe chinois Bright Food a acquis le groupe alimentaire israélien Tnouva qui a nourri
des générations d’Israéliens, en tant que l’un des fleurons de la Histadrout. La vente de Tnouva a une signification, brader la valeur sur laquelle
la société a été fondée à savoir le symbole de l’État et de la réussite de l’agriculture
israélienne.
Shmuel Hauser |
La
situation est comparable à celle qui prévaut en France où rien n’est fait pour
s’opposer aux prédateurs internationaux. Les startups constituent des proies
faciles car leurs jeunes dirigeants veulent un retour immédiat sur
investissement. Or le gouvernement israélien n’encourage pas les entreprises du
high-tech israélien à rester indépendantes en levant des capitaux directement
en Israël.
Selon Shmuel Hauser, président de l’Autorité israélienne de régulation, en plus du risque sur l’emploi en Israël, l’économie israélienne perd lors de la vente d’une start-up à des étrangers : « Nous voulons abandonner la culture de l’exit de start-ups en faveur du maintien du capital humain et des activités commerciales en Israël. Nous avons constaté que pour chaque dollar perçu par un entrepreneur lors de la vente de son entreprise à un acheteur étranger, l’État perd beaucoup plus. Si vous prenez en compte l’impact indirect sur l’économie et le fait que toutes les opérations de l’entreprise s’effectueront désormais à l’étranger, les pertes sont souvent triples».
Selon Shmuel Hauser, président de l’Autorité israélienne de régulation, en plus du risque sur l’emploi en Israël, l’économie israélienne perd lors de la vente d’une start-up à des étrangers : « Nous voulons abandonner la culture de l’exit de start-ups en faveur du maintien du capital humain et des activités commerciales en Israël. Nous avons constaté que pour chaque dollar perçu par un entrepreneur lors de la vente de son entreprise à un acheteur étranger, l’État perd beaucoup plus. Si vous prenez en compte l’impact indirect sur l’économie et le fait que toutes les opérations de l’entreprise s’effectueront désormais à l’étranger, les pertes sont souvent triples».
Devant la
facilité, Israël laisse vendre les bijoux de famille pour un intérêt
immédiat sans songer au lendemain car, si aujourd’hui le chômage n’existe pas
en Israël ou est faible, il pourrait s’aggraver avec l’arrivée massive d’immigrants
de France et d’Ukraine à la recherche d'un emploi assurant leur intégration. Or, les entreprises en Israël disposent de revenus à long terme et constituent un réservoir d'emplois. C'est pourquoi l’emploi en Israël doit être
maintenu pour assurer un avenir sur place aux nouvelles générations.
6 commentaires:
Excellent article, très bien documenté, et qui identifie une tendance hyper dangereuse à long terme. En être conscient est un must pour tous ceux qui se soucient de l'avenir d'Israël. (YN)
Si je ne me trompe pas, la direction de Tnouva a l'intention de licencier plusieurs centaines de personnes, ce qui confirme ce qui vient d'etre ecrit par Jacques.
Vendre les ressources du pays peut être une forme de trahison quand c'est en dehors de la grande famille.
Les nouveaux propriétaires sont libres de vendre même aux nombreux ennemis pour des profits
Ce n'est pas l'Etat qui vend les" bijoux de famille" mais les actionnaires propriétaires et rien ne pourrait le leur interdire sauf à nationaliser les entreprises concernées.
Avec les capitaux récoltés par les ventes, d'autres entreprises seront créées plus innovantes dans des des secteurs NON encore explorés. Les pères du libéralisme , Hayek ou Milton Friedman, sont très proches de la pensée de Josef Schumpeter et du concept de " la destruction créatrice" .
Laissez faire les entrepreneurs et faites confiance en leur génie pour inventer les compagnies qui feront l'économie de demain .Tout vaut mieux que le point de vue des hauts fonctionnaires et des politiciens.
Cher monsieur Benillouche,
Tant que vous ne serez pas obligés de vendre vos équipes de football aux Chinois et aux Qataris, les mânes des premiers pionniers juifs pourront continuer à dormir tranquilles !
Très cordialement.
Chère Marianne,
Vous allez être déçue. On n'a jamais expliqué pourquoi les Israéliens sont nuls en sport à part à la rigueur le basket. Les équipes de foot n'ont jamais passé le premier stade de la sélection. Quant au rugby on ne sait pas ce que c'est ici. On avait eu quelques espoirs avec l'arrivée des Russes mais cela n'a rien donné.
Donc aucun émir ne pourra investir en Israël dans un quelconque stade. Il ne fera pas recette.
En revanche les startups sont sur les rangs.
Cordialement
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