LA TUNISIE N’EST PAS L’ÉGYPTE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Mohamed Morsi et Moncef Marzouki |
En Tunisie on scrute les évènements d’Égypte avec beaucoup d’intérêt car la
révolution d’Égypte du 25 janvier 2011 a suivi de près celle de Tunisie qui a
éclaté le 14. Les deux révolutions ont
permis l’arrivée des islamistes au pouvoir mais ont conduit les dirigeants vers
une impasse à la suite d’un échec économique. Il est donc légitime de spéculer
sur le risque de contagion qui pourrait toucher la Tunisie après la chute du président
Morsi.
Le président tunisien Moncef Marzouki semble cependant formel en estimant
que les autorités élues de Tunisie ne risquaient pas d'être renversées comme en
Égypte, mais il a tenu à faire sa mise en garde : «Je ne pense pas
qu'il y ait un risque de contagion parce qu'ici l'armée est républicaine ;
les dirigeants tunisiens devraient comprendre ce signal, faire attention,
comprendre qu'il y a de grosses demandes sur le plan social et économique ».
Malgré cela, il n’est pas exclu que les mêmes causes entrainent les mêmes effets.
Similitudes
En Égypte
comme en Tunisie, la frustration a succédé à une révolution qui a mis fin à la
dictature parce que les printemps arabes ont émergé de manière trop
précoce. Des similitudes subsistent dans les deux expériences. Malgré des élections
libres et démocratiques, l'échec des islamistes laisse à penser que les populations arabes n’étaient
pas prêtes à la démocratie. Les années de
dictature, qui ont inhibé toute motivation et toute volonté de participer à
l’œuvre nationale, n’ont pas rendu les révolutionnaires ambitieux ni
démocrates. Les successeurs des dictateurs se sont montrés soit timorés, soit
attachés à leurs intérêts personnels et dogmatiques pour ne pas accepter de
partager le pouvoir avec d’autres clans politiques.
Salafistes tunisiens |
Si elles ont germé simultanément, les deux révolutions
ont emprunté des parcours différents avec une seule constante : la réalité
de la frustration sociale qui a été accumulée et qui s’extériorise à présent.
Cependant elles se sont trouvées confrontées aux salafistes qui n’ont pas
participé aux manifestations révolutionnaires mais qui ont cherché à tirer
des dividendes à leur profit, en usant d'une capacité de nuisance facilitée
par la faiblesse des gouvernements. Ils surfent donc sur la déception des
populations qui ont beaucoup rêvé et qui ont soudain découvert l’existence d’un
gouffre social et culturel dans un monde où les luttes de classe sociale
semblent dominer. Les gouvernements ont alors eu le choix de satisfaire les exigences des Salafistes
virulents ou de gouverner de manière pragmatique pour tenter de maitriser la situation.
Des salafistes actifs
Mais, si les islamistes égyptiens ont réussi à
s’imposer dès le départ, leurs collègues tunisiens ont été dépassés par leur
aile salafiste au point que des imams étrangers ont été amenés à appeler à la
lutte contre le parti Ennahda accusé d’être trop modéré. Les exigences des
salafistes étaient démesurées pour islamiser la société, par le
bas c'est-à-dire par le peuple et non par les institutions. Les salafistes
étaient convaincus qu’ils devaient aider les populations à revenir aux
fondamentaux du VIIème siècle mais c’était sans compter sur les islamistes,
sensibles au jugement de l’étranger, qui voulaient à tout prix rassurer non
seulement l’opinion internationale mais aussi la population laïque du pays
ainsi que les progressistes avec lesquels ils sont prêts à composer.
C’est dans cette équation que le courant modéré l’a
emporté sur le courant radical ; encore que le terme de «modéré» est impropre
pour définir un islamiste car, selon les textes fondateurs, l’islamiste
démocrate est une vue de l’esprit. La démocratie consacre en fait la
souveraineté des peuples tandis que, pour un islamiste, la souveraineté
appartient à Dieu sans appel au processus électoral. La concurrence avec les
salafistes a poussé les deux gouvernements à une surenchère pour plus de
religion, plus de charia et plus d’obscurantisme. L’échec était donc prévisible
La place de l’armée
Les militaires ont joué des partitions différentes en
Tunisie et en Égypte. L’armée tunisienne est restée dans ses casernes et a
appuyé le jeu démocratique en aidant le
pouvoir à assurer l’ordre dans le pays. En revanche, la junte égyptienne était
déjà très impliquée dans le pouvoir réel qu’elle distribuait avec parcimonie
selon son bon vouloir, tout en s’opposant à l’émancipation des peuples arabes
révoltés.
L’armée tunisienne, décapitée par Bourguiba et
négligée par le régime de Ben Ali qui ne lui a permis aucun développement technologique,
ni aucune acquisition d’équipement lourd et moderne, est trop faible pour
prendre part aux évènements. Mais dépolitisée, elle a été plus efficace qu'en Egypte puisqu'elle a éradiqué par la force toute présente salafiste en Tunisie.
En revanche l’armée égyptienne a participé au déroulement post révolutionnaire. Au départ, elle s’était bornée à s’adapter aux évènements sans les susciter. Mais les revendications excessives des révolutionnaires et l’appétit insatiable des islamistes ont poussé l’armée à intervenir pour contrôler la situation et mettre de l’ordre. Elle s’est attachée cependant à sauver les apparences démocratiques en imposant un coup d’État judiciaire et institutionnel cautionné par le Conseil Constitutionnel qui a accepté d’annuler les élections.
Combattants d'Aqmi venus du Mali en Tunisie |
En revanche l’armée égyptienne a participé au déroulement post révolutionnaire. Au départ, elle s’était bornée à s’adapter aux évènements sans les susciter. Mais les revendications excessives des révolutionnaires et l’appétit insatiable des islamistes ont poussé l’armée à intervenir pour contrôler la situation et mettre de l’ordre. Elle s’est attachée cependant à sauver les apparences démocratiques en imposant un coup d’État judiciaire et institutionnel cautionné par le Conseil Constitutionnel qui a accepté d’annuler les élections.
L’armée égyptienne n’a jamais perdu les pouvoirs
qu’elle distribue à sa guise aux civils. Depuis le coup d’État de Gamal Abdel
Nasser, l’armée a été de tous les pouvoirs et tous les présidents, qui se sont
succédé à l’instar d’Anouar Al-Sadate et d’Hosni Moubarak, étaient issus de la
caste militaire. Morsi a été en quelque sorte l’exception. Elle détient 30% des
tissus économiques et industriels. C’est d’ailleurs cette puissance qui lui a
permis d’affamer la population en
réduisant les importations de blé pour décrédibiliser Morsi et son
gouvernement. Elle a cru pouvoir sauver le régime militaire en sauvant Moubarak
mais elle a refusé d’occuper la première ligne de crainte de tout perdre.
Cependant elle avait dû admettre la victoire de l’islamiste Mohamed Morsi alors que le deuxième candidat, Ahmed Shafiq, était non seulement le candidat de l’armée, mais celui de tous ceux nombreux qui refusaient un islamisme envahissant. Morsi n’a pas su manœuvrer mais a accaparé tous les pouvoirs pour ne s’appuyer sur aucune Constitution ni sur aucun parlement.
Les deux candidats Morsi et Chafiq |
Cependant elle avait dû admettre la victoire de l’islamiste Mohamed Morsi alors que le deuxième candidat, Ahmed Shafiq, était non seulement le candidat de l’armée, mais celui de tous ceux nombreux qui refusaient un islamisme envahissant. Morsi n’a pas su manœuvrer mais a accaparé tous les pouvoirs pour ne s’appuyer sur aucune Constitution ni sur aucun parlement.
Rached Ghanouchi |
En Tunisie, l’armée a été écartée du pouvoir par Bourguiba
et Ben Ali et elle a appuyé les revendications du peuple lors de la révolte de
janvier 2011. Rached Ghanouchi, leader d’Ennahda, en a conclu que «l’armée n’est
pas garantie, car il sait très bien que l’Armée nationale se mettra du côté du
peuple si une partie quelconque se mettait à l’idée d’imposer une nouvelle
dictature». Pourtant cette attitude de neutralité pendant la révolution a
conféré un prestige et une estime extraordinaires à son chef, le général tunisien Rachid
Ammar qui vient d’ailleurs de démissionner de son poste pour se présenter aux
élections présidentielles.
Les deux armées se sont aussi distinguées sur le plan
politique. En Tunisie la charge de la transition a été conférée à un
gouvernement civil en attendant les élections. Mais en Égypte, à la chute de
Moubarak, l’intérim a été assuré par l’armée
qui a pu ainsi influer sur le cours politique du pays.
Les femmes et l’opposition
Les femmes semblent les victimes de ces deux
révolutions. Dans une moindre mesure en Tunisie où elles ont mieux résisté car
elles bénéficiaient d’une meilleure avancée imposée par le président Bourguiba.
Pendant la révolution, elles se sont mieux défendues et ont même réussi à
s’opposer, malgré la pression islamiste, à des les lois qui faisaient reculer
leurs prérogatives. Mais au final elles ont été les perdantes de ces
révolutions car elles ont été écartées des listes de candidats qui leur auraient permis d’imposer leurs
vues. Elles sont conscientes qu’on cherche toujours à rogner leur statut mais
elles maintiennent le combat. En revendiquant leur féminité, elles démontrent
qu’elles ont des valeurs à protéger et elles prennent donc le risque de se
frotter à ceux qui veulent réduire leurs libertés acquises.
Mais en Tunisie et en Égypte, les femmes n’ont pas été
les seules victimes. La fatigue, la désillusion et la déception ont gagné
toutes les couches de la population tandis que Ennahda d’un côté, et les Frères
musulmans de l’autre ont cherché à satisfaire à la fois les salafistes et les
autres minorités. Les dirigeants ont analysé les causes de leur échec qui
s’explique par leur éloignement de certaines couches sociales dont ils n’ont
pas requis le soutien. Mais de leur côté, les révolutionnaires ont aussi failli car
ils manquaient d’organisation tandis que les oppositions, qui ont été
décapitées par les dictateurs, ne se sont pas reconstituées et ont abandonné le
terrain à des islamistes plus organisés.
L'opposition égyptienne réunie |
Les oppositions ont eu un comportement distinct dans
les deux pays, divergeant ainsi sur la conception de leur rôle. L’opposition égyptienne a vite compris
l’intérêt de se regrouper pour présenter un front commun face aux Frères
musulmans et pour réussir à faire descendre plusieurs millions de manifestants
dans la rue qui ont réclamé le départ de Morsi. Elle a compris que les Frères
musulmans n’étaient sensibles qu’à la force et à la pression de la rue.
L’opposition tunisienne, majoritairement laïque et démocrate, n’a pas surmonté les appétits personnels et n’a pas empêché la guerre d’ego qui les a poussés à partir au combat en ordre dispersé. Mais à force de rechercher un consensus pour éviter tout conflit violent, elle est devenue inefficace face à un pouvoir qui a imposé des pans entiers de Constitution sans sa participation.
L’opposition tunisienne, majoritairement laïque et démocrate, n’a pas surmonté les appétits personnels et n’a pas empêché la guerre d’ego qui les a poussés à partir au combat en ordre dispersé. Mais à force de rechercher un consensus pour éviter tout conflit violent, elle est devenue inefficace face à un pouvoir qui a imposé des pans entiers de Constitution sans sa participation.
Déception
En Tunisie comme en Égypte, les révolutions n’ont pas
convaincu et n’ont pas prouvé leur originalité face au régime des dictatures,
avec en prime une crise économique sévère. En revanche, en libérant la parole
et l’expression dans la rue et dans les médias, certains y ont vu un premier
pas vers des balbutiements de démocratie. Le rêve des printemps arabes a été de
ce fait brisé. Mais les révolutions ont surtout déçu parce que dans leur quête de
démocratie, elles ont généré une nouvelle forme de dictature qui interdisait le
progrès.
En Tunisie, les salafistes se sont comportés en obscurantistes, souvent violents. En Égypte, ils ont contrôlé la rédaction de la Constituante sous prétexte qu’ils avaient gagné les élections sans penser qu’elle devait refléter tous les aspects de la société. Les Égyptiens ont alors fait preuve de maturité car ils se sont rendus compte du piège qui leur était tendu et bien que musulmans, ils ont rejeté les extrémistes qui voulaient que la religion soit seule à régler la vie du pays. Cela explique pourquoi les islamistes ont perdu, en quelques mois mois de pouvoir, 25% de leur électorat car ils ont échoué face à la réalité de la vie et face à la situation économique dramatique.
Sur le plan des institutions, les deux pays ont ramé pour écrire leur nouvelle Constitution. L’assemblée nationale constituante tunisienne, qui avait été élue pour un an, est toujours en place alors qu’elle n’a pas terminé sa tâche. Elle a imposé une prolongation de ses fonctions sans que le peuple ait pu décider. En revanche, la Tunisie n’a pas fait l’erreur des Frères musulmans qui ont géré le pays sans aucun autre parti qui aurait pu leur éviter les déviations. Les islamistes d’Ennahda, pour donner l’illusion d’un large rassemblement, ont préféré s’ouvrir à deux autres partis, laïc et démocrate, qui ont certes fait de la figuration sans aucune latitude pour faire bouger les décisions mais ils n’ont pas fait l’erreur de concentrer tous les pouvoirs en une seule personne puisqu’une Troïka décide sous le contrôle du parti et du parlement. En effet, en Égypte le président Morsi s’est cru investi de tous les pouvoirs d’un dictateur pour gouverner par décrets après la dissolution du Parlement par les tribunaux et pour s’opposer à la justice.
En Tunisie, les salafistes se sont comportés en obscurantistes, souvent violents. En Égypte, ils ont contrôlé la rédaction de la Constituante sous prétexte qu’ils avaient gagné les élections sans penser qu’elle devait refléter tous les aspects de la société. Les Égyptiens ont alors fait preuve de maturité car ils se sont rendus compte du piège qui leur était tendu et bien que musulmans, ils ont rejeté les extrémistes qui voulaient que la religion soit seule à régler la vie du pays. Cela explique pourquoi les islamistes ont perdu, en quelques mois mois de pouvoir, 25% de leur électorat car ils ont échoué face à la réalité de la vie et face à la situation économique dramatique.
Assemblée tunisienne |
Sur le plan des institutions, les deux pays ont ramé pour écrire leur nouvelle Constitution. L’assemblée nationale constituante tunisienne, qui avait été élue pour un an, est toujours en place alors qu’elle n’a pas terminé sa tâche. Elle a imposé une prolongation de ses fonctions sans que le peuple ait pu décider. En revanche, la Tunisie n’a pas fait l’erreur des Frères musulmans qui ont géré le pays sans aucun autre parti qui aurait pu leur éviter les déviations. Les islamistes d’Ennahda, pour donner l’illusion d’un large rassemblement, ont préféré s’ouvrir à deux autres partis, laïc et démocrate, qui ont certes fait de la figuration sans aucune latitude pour faire bouger les décisions mais ils n’ont pas fait l’erreur de concentrer tous les pouvoirs en une seule personne puisqu’une Troïka décide sous le contrôle du parti et du parlement. En effet, en Égypte le président Morsi s’est cru investi de tous les pouvoirs d’un dictateur pour gouverner par décrets après la dissolution du Parlement par les tribunaux et pour s’opposer à la justice.
Ainsi donc les deux révolutions ont démarré en même
temps, fondées sur une idéologie islamiste, mais ont pris des chemins distincts qui permettent de dire aujourd’hui que la
Tunisie n’est pas l’Égypte.
1 commentaire:
quel dommage que ces salafistes ne prennent pas de hauteur. Que veulent-t-ils finalement? quelles forces obscures se cachent derrière ces groupes totalitaires?
Gérer le quotidien des habitants d'un pays n'est pas chose facile et il semble qu'il faudrait établir des règles strictes pour éviter des décisions partant dans tous les sens. Le mot "démocratie" est à redéfinir car pour que le peuple gouverne, il lui faut être uni, plus élevé dans sa conscience.Les compromis menant au bonheur des peuples paraissent être mission impossible. J'ai bien peur que la maturité des peuples de cette planète n'en soit pas là.Nous assistons à un conflit d'égos avec plus ou moins de violence un peu partout dans le monde.A propos de démocratie, je crains que ce mot soit illusoire car seule une oligarchie gouverne le monde, les autres subissent...
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