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jeudi 4 novembre 2021

Le petit juge et les 100.000 tueurs du Hezbollah par Albert NACCACHE

 

LE PETIT JUGE ET LES 100.000 TUEURS DU HEZBOLLAH


Chronique d’un papy flingueur Albert NACCACHE


 

Le port de Beyrouth après la double explosion du 4 aout 2020

          Le Larousse nous apprend que la libanisation est un processus de fragmentation d’un État résultant de l’affrontement entre diverses communautés. Au Liban, le naufrage économique et la catastrophe humanitaire sont les conséquences de la gestion d’un État défaillant, tribalisé et corrompu par une classe politique inchangée depuis des décennies et par la mainmise du Hezbollah sur le pays. À la question d’une journaliste qui lui demandait en septembre 2020, à propos du Liban : «Où allons-nous ?» le président de la République libanaise Michel Aoun répondit «En enfer». [1]



Le juge Tarek Bitar


Les dirigeants libanais se sont opposés à une enquête internationale sur la double explosion du 4 août 2020 du port de Beyrouth qui a fait plus de 210 morts, 6.500 blessés et dévasté des quartiers entiers de la capitale, lorsque des centaines de tonnes d’engrais explosifs au nitrate d’ammonium, s’étaient enflammées. Dans cet enfer, le magistrat Tarek Bitar a la lourde tâche, depuis février 2021, de mener l’enquête libanaise. 

Tarek Bitar est originaire du Akkar, l’une des régions les plus pauvres (nord du Liban). Il jouit d’une solide réputation d’indépendance, d’intégrité et de grand travailleur. Ce juge de 47 ans, issu d’une famille de rite grec-catholique à forte tradition étatiste, est ouvert aux autres confessions et débarrassé du réflexe du repli communautaire.  Discret, Tarek Bitar est en train de se faire un nom dans l'histoire judiciaire du pays. Il est la personnalité vers qui convergent à la fois tous les espoirs et toutes les haines d'un pays qui n'en a jamais été avare.

Pour les familles des victimes, il est l'homme de fer, le «petit juge» qui ne plie pas face aux puissants, leur refusant l'impunité dans laquelle ils se vautrent depuis la fin de la guerre du Liban. «Quand nous l'avons rencontré, il nous a dit avoir accepté le poste pour nous rendre justice et que cela seul comptait à ses yeux. Il savait qu'il y risquait sa carrière et sa vie éventuellement, mais il disait que les familles des victimes avaient le droit à la vérité et qu'il se battrait pour cela» confie Paul Najjar.

Or Bitar avance rapidement depuis le mois de juillet. Il a ainsi demandé la levée de l'immunité parlementaire de plusieurs députés au service du Hezbollah. En lançant des poursuites à l'encontre des députés Ghazi Zeaïter, Ali el-Khalil (ancien ministre des Finances), Nouhad Machnouk, ainsi que contre l'ancien Premier ministre Hassan Diab. Ainsi qu’un mandat d'arrêt contre Youssef Fenianos, l'ancien ministre des Travaux Publics aux ordres du Hezbollah. Selon des sources de l’opposition, le juge Bitar aurait abouti à des conclusions fournissant la preuve d’une responsabilité directe du Hezbollah dans l’explosion du 4 août. Ainsi, le juge Bitar est au cœur d'une campagne de dénigrement et l'objet d'intenses pressions. Il a même été menacé par un haut responsable du Hezbollah.

Hassan Nasrallah en personne, s’en est pris à lui à plusieurs reprises dans ses discours télévisés. Le 8 août : «L'enquête est politisée, Soit le juge Tarek Bitar doit travailler […] de manière claire, soit la justice doit trouver un autre juge». À deux reprises Tarek Bitar a dû suspendre ses investigations à la suite de plaintes déposées contre lui.

 

Une manifestation à Beyrouth, contre l'arrêt de l'enquête sur l'explosion du port.

         Une Cour d'appel au Liban a rejeté, lundi 4 octobre, des plaintes de députés visant à dessaisir Tarek Bitar, ouvrant la voie à une reprise immédiate des investigations. Le soir même Hassan Nasrallah, a lancé de nouveau une violente charge contre le juge dans probablement l’un des discours les plus menaçants de sa longue carrière, en l’accusant de servir des «objectifs politiques», de «trahison», «d’arbitraire» et réclamé son remplacement par un magistrat «honnête et transparent»,

Le juge Bitar s’est vu temporairement dessaisi, au lendemain des menaces proférées par le secrétaire général du Hezbollah … mais le dernier recours a été rejeté le jeudi 14 octobre. Le jour même les deux partis chiites, Amal et Hezbollah, ont appelé à manifester pour demander la démission du juge, devant le palais de justice de Beyrouth. Ce rassemblement s'inscrivait dans une politique claire de pression et d'intimidation sur le magistrat.

Manifestation Hezbollah à Beyrouth
«Scènes de guerre» à Beyrouth

Rapidement, la mobilisation a viré en scènes de guérilla, transformant des quartiers de la capitale en zones de guerre, ces mêmes quartiers, qui constituaient une ligne de front durant la guerre civile à partir de 1975.

Combattants chiites du Hezbollah et de Amal le 14 octobre 2021 à Beyrouth

        Rapidement après les premiers coups de feu, un grand nombre d’hommes armés, certains masqués et beaucoup portant des brassards du mouvement Amal et du Hezbollah, ont accouru sur les lieux et ont commencé à riposter. Les témoignages recueillis à la fois auprès de partisans du tandem chiite, mais aussi auprès des habitants du quartier de Aïn el-Remaneh, évoquent des tireurs postés sur les toits pour empêcher les militants d’Amal et du Hezbollah de pénétrer dans les quartiers chrétiens. «C’était de la légitime défense contre des provocateurs qui ont tenté d’envahir nos quartiers en cassant tout sur leur passage».

Des soldats libanais protègent des enseignants fuyant leur école

Le bilan des combats meurtriers qui ont opposé les miliciens du Hezbollah et d'Amal à d'autres positionnés dans des quartiers chrétiens est de sept morts et 32 blessés, dont certains dans un état critique. «Le Hezbollah a peur de l’enquête sur la double explosion du port de Beyrouth». [2] «Vous voulez la justice ? Vous aurez la guerre ! Pas besoin d’avoir bac+8 pour comprendre à quoi joue le tandem chiite et en particulier le Hezbollah depuis quelques jours. Cette méthode est dans l’ADN du parti qui y recourt à chaque fois que l’on s’approche de ses lignes rouges. …Le parti s’appuie à chaque fois sur le même triptyque : diffamation, menaces, intimidation. Le Hezbollah a décidé qu’il n’y aura pas d’enquête sur la double explosion du port de Beyrouth, …c’est que l’enjeu est plus important que cela pour le Hezbollah. Ce dernier craint clairement l’enquête…Cela fait bien longtemps que le Hezbollah n’est plus seulement un État dans l’État mais aussi un État au-dessus de l’État. Il décide de la paix et de la guerre pour le Liban…le pire dans cette histoire. Le pire c’est que le Hezbollah. C’est soit la guerre civile, soit la soumission».

Hezbollah, milice chiite pro-iranienne surarmée et véritable État dans ce non-État.


Le discours du 18 octobre 2021 de Nasrallah.

Dans un long discours de 90 minutes adressé aux chrétiens du Liban, il s’est d’abord attaqué au chef des Forces libanaises. Hassan Nasrallah tape du poing sur la table. Très remonté, le secrétaire général du Hezbollah est revenu sur les évènements qui ont secoué Beyrouth jeudi 14 octobre. Il accuse ouvertement le parti chrétien des Forces libanaises de Samir Geagea d’être responsable de la mort de sept partisans d’Amal et du Hezbollah. À travers la guerre civile, Samir Geagea souhaite, selon Hassan Nasrallah, atteindre son objectif qui consiste à créer un «canton chrétien».

Hassan Nasrallah a parlé de Samir Geagea sans jamais le nommer, principalement à critiquer le parti «Forces libanaises», qui a été mentionné 73 fois dans le discours, et à menacer le chef du parti, Samir Geagea (en ne mentionnant intentionnellement pas son nom, avec dédain) comme il le fait des Israéliens. C’est en réalité la première fois que le Hezbollah traite de cette façon un parti libanais. Pour la première fois, il l’a qualifié d’ennemi et il a essayé d’appliquer avec lui ce qu’il appelle « l’équation de dissuasion » qu’il réserve aux Israéliens. Il poursuit : «Je révèle pour la première fois ce chiffre : nous disposons de 100.000 combattants, entraînés et armés capables démolir des montagnes ».

Le mot combattant s’écrit المقاتل muqatil en arabe. Sa racine est le verbe tuer ليقتل liaqtal On peut donc ainsi aussi traduire muqatil par tueur. «Enregistre bien (le nombre de nos militaires d’active) : 100.000 combattants ! 100.000 combattants ! Ces 100.000 combattants, avec leurs (types) d’armes diverses et variées, nous ne les avons pas entraînés (pour combattre dans) une guerre civile ou un conflit interne, nous les avons préparés à défendre notre pays (contre les menaces extérieures), à libérer nos territoires, à protéger notre mer, notre pétrole et notre gaz, (ressources) qui sont volées (en ce moment même par les Israéliens) sous les yeux du peuple libanais».

Quelle est la part de bluff dans cette annonce ? Si le chiffre de 100.000 est difficile à estimer, la plupart des sources faisant état de 45.000 combattants, «L’appareil militaire est la priorité et la raison d’être du parti» et le message dans tous les cas,  n’est pas celui de l’apaisement. Il veut mettre les chrétiens devant le choix suivant : se soumettre au Hezbollah ou se rallier aux FL. Dans ce cas ils seraient à la merci de ses 100.000 tueurs, en se laissent entraîner dans des guerres longues, coûteuses et difficiles sans aucune aide de l’extérieur.

Le chef des Forces libanaises Samir Geagea
Geagea convoqué devant le parquet militaire

Le 26 octobre 2021 Samir Geagea a été convoqué devant le parquet militaire. Tandis que plus d'un an après l'explosion du port de Beyrouth, aucune sanction judiciaire ou administrative n'a encore été prononcée, onze jours après les affrontements meurtriers de Aïn el-Remaneh Tayouné, Samir Geagea est convoqué devant le parquet militaire. L’enquête prend une tournure politico-confessionnelle, le chef des Forces libanaises (FL), Samir Geagea, ayant été notifié de sa convocation à comparaître en tant que témoin devant la justice militaire dans le cadre de cette affaire. Mais le leader chrétien persiste et signe : il ne compte pas comparaître devant la justice avant que Hassan Nasrallah ne comparaisse lui-même. Une nouvelle période difficile commence pour le Liban, Samir Geagea et notre «petit juge».

[1] Cité par Samir Moukheiber OLJ

[2] OLJ / Par Anthony SAMRANI, le 14 octobre 2021

3 commentaires:

Marianne ARNAUD a dit…


Monsieur Naccache,

Ou pour le dire autrement, vous auriez pu écrire :

"Alors qu’une nouvelle période difficile commence pour le Liban, Israël doit-il et peut-il sauver Samir Geagea et « notre petit juge » ? »

Cordialement.

Georges Kabi a dit…

Sauver Samir Geagea est une declaration de guerre d'israel. Or, Israel ne reviendra pas au Liban et ne desire pas etre bombarde par les 150,000 missiles dont le Hezbollah dispose.
Lachete direz-vous? En 2006, mon quartier a Tibweriae a recu 5 missiles. Il n'y a pas eu de degats humains. Seule une salle de mariage et un appartement prive ont ete detruits. Hereusement, ces batiments etaient vides. Cette fois-ci on recevra 1,000 missiles et mon quARtier ressemblera au port de Beyrouth. Et je ne fais pas allusion ux quartiers voisins ni nmeme aux agglomerations voisines. Et personne n'a jamais reussi a vaincre une organisation non-etatique armee.

Naccache Albert a dit…

Madame Marianne ARNAUD,

en réponse à votre question Israël doit mais ne peut sauver le Liban. Je développerai dans un prochain billet.
Bien Cordialement
Albert Naccache