Accords d'Abraham |
On
va commencer par un panorama international, sans noircir ou enjoliver le
tableau : comment ont réagi les nations avec lesquelles Israël a noué ou
renoué des relations ? Qu’en est-il des positions des pays
européens ? Quid du grand allié américain ? Voyons les faits réels,
sans les biais rencontrés régulièrement dans trop de médias, nationaux ou
communautaires.
Monde
arabe, d’abord. Le principal et grand succès diplomatique de Benjamin
Netanyahou a été l’année dernière les «accords d’Abraham» obtenus avec
l’implication directe de Donald Trump : Émirats Arabes Unis, Bahreïn,
Maroc et Soudan ont noué des relations officielles, leurs légations étant
ouvertes à Tel Aviv. Une guerre entre Israël et le Hamas, avec son triste lot
de victimes civiles et de destructions dans la bande de Gaza, malgré des
frappes beaucoup plus ciblées que lors des épisodes précédents, était une
occasion rêvée de fragiliser ces relations.
Ismail
Haniyeh, nouveau chef politique du Hamas et ancien premier ministre dans la
bande de Gaza, a dit au Qatar, maison mère des Frères Musulmans : «Cette
bataille a détruit le projet de « coexistence » avec l’occupation
israélienne et le projet de « normalisation » avec Israël» [1]. Il
a eu à la fois partiellement raison et tout à fait tort. Raison, parce que la
question palestinienne sortait en quelque chose du paysage lorsque ces accords
furent signés en 2020 ; l’organisation terroriste l’a remise en tête de
gondole avec sa brutalité propre, mais assez habilement. Mais si on reprend son
expression «coexistence avec l’occupation israélienne», on peut aussi
proposer deux niveaux de lecture : celle de la Charte du Hamas, qui
considère qu’Israël est une entité illégitime et qu’il faut libérer la
Palestine «de la mer au Jourdain» ; ou celle de la communauté
internationale, considérant que les Territoires au-delà des lignes de 1967 sont
«occupés», y compris Jérusalem Est.
Sinwar et Haniyeh |
Cela
était et reste la position des quatre États arabes ayant normalisé leurs
relations ; comme de l’Egypte ou de la Jordanie ayant signé des accords de
Paix depuis plusieurs décennies. Ce ne sont donc pas les milliers de roquettes
lancées vers Israël qui ont fait bouger leurs positions. Quant à la
normalisation, l’échec du Hamas est total : aucun n’a rapatrié son
personnel diplomatique. Pour rappel, très peu de temps après le déclanchement
surprise de la deuxième Intifada à l’automne 2000, la Tunisie et le Maroc
rompaient leurs relations «low profile» de l’époque avec Israël, et les
ambassadeurs égyptien et jordanien étaient rapatriés pour plusieurs années.
Pour
être tout à fait complet, voici plusieurs éléments qui n’ont rien eu de
dramatique, mais dont il faut tenir compte : s’il n’y a eu quasiment pas
de manifestations dans le Golfe, elles ont été massivement suivies en Jordanie ;
au Maroc aussi, le pouvoir a hésité entre interdictions et autorisations de
manifester, la mouvance islamiste trouvant là une occasion de montrer sa
solidarité avec les Palestiniens - voir ce compte-rendu d’un média marocain [2] ;
et enfin - et cela a été fort bien joué de la part du Hamas -, les
affrontements de la police avec les manifestants sur le Mont du Temple, Esplanade
des Mosquées, ont eu un écho médiatique dans tout le monde musulman, et pas
seulement dans les pays les plus hostiles.
Traversons
la Méditerranée pour aller en Europe. Sa réaction a été à la fois diverse,
finalement plutôt solidaire d’Israël, par endroit mal assurée, et dans tous les
cas loin de la caricature simpliste que l’on lit dans la blogosphère juive
francophone passée dans son écrasante majorité «à Droite toute», et donc
en hostilité résolue à tout ce qui ne lui ressemble pas.
L'Autriche hisse le drapeau israélien |
Du
côté des soutiens clairs, surtout les premiers jours lorsqu’il était évident
que ce round guerrier était le fait du Hamas et que presque tout Israël était
menacé par ses roquettes – avec l’épisode dramatique des quelques 150 tirs
groupés vers la métropole de Tel Aviv dans la soirée du mardi 11 mai. Il restera
des photos jamais vues sur le continent, et des déclarations quasiment oubliées
depuis la Guerre des Six-Jours. À
Vienne, le jeune chancelier Sebastian Kurz fit hisser sur le bâtiment de son
gouvernement le drapeau israélien, ainsi que sur le toit du ministère des
affaires étrangères [3] ; mêmes drapeaux en solidarité sur les bâtiments
gouvernementaux de la petite Slovénie [4] ; peut-être encore plus beau car
trans partis politiques, la petite communauté juive de Rome parvint à
rassembler au cœur de la capitale italienne quasiment toutes les sensibilités
politiques du pays, avec aussi bien Matteo Salvini de la Lega très à
Droite que le Parti Démocrate de Centre Gauche, entre autres ; on peut
retrouver les photos de cet évènement en allant sur le compte twitter
@romaebraica à la date du 12 mai ; enfin la jeune et nouvelle Maire de
Madrid, Isabel Diaz Ayuso, triomphalement élue au début du mois, devait
s’afficher en compagnie de l’ambassadeur d’Israël le 20 mai [5]. Comme à chaque
occasion où Israël est sous le feu de ses ennemis, l’Allemagne a témoigné de sa
solidarité, envoyant même son ministre des Affaires étrangères en compagnie du
ceux de deux autres pays de l’U.E visiter des sites touchés par les roquettes.
Du
côté du moins chaleureux – à ne pas confondre avec de l’hostilité – la position
française. Le communiqué de l’Elysée condamnant fermement les tirs du Hamas n’a
été publié que trois jours après le début des hostilités. Le gouvernement a
cependant pris des risques – que n’avaient jamais pris ses prédécesseurs – en
interdisant à Paris les rassemblements «pour Gaza», en fait de soutien à
la milice islamiste, le ministre de l’Intérieur Gerald Darmanin disant que des
débordements antisémites étaient craints, comme en 2009 et 2014. Une position
désapprouvée par la Gauche, à l’exception notable d’Anne Hidalgo disant avoir
les mêmes craintes. Remarquons aussi que ces manifestations n’ont réuni le 15
mai que 22.000 personnes dans toute la France, ce qui en considérant le
pourcentage de populations d’origine arabo-musulmane dans les grandes
métropoles n’était vraiment pas un succès.
Il
serait trop long de lister et analyser tout ce qu’ont pu dire les différents
responsables de partis en France, mai un article publié sur le site RTL.fr [6] donne
une analyse assez fine de leurs motivations : «Dans les réactions
politiques françaises beaucoup veulent calquer en quelque sorte leur grille de
lecture, leurs obsessions, sur des évènements lointains. Chacun veut faire
passer un message politique avec une finalité d’abord franco-française.
Il y a de mauvaises motivations, des postures, des manipulations».
Voici donc
pour l’Europe : et on est donc très loin d’une «Union Européenne dhimmi islamisée»,
vendue, pour reprendre le langage vulgaire et inepte devenu la norme pour trop
de commentaires dans ma communauté.
Finissons par
les Etats-Unis. Les mêmes évoqués juste avant n’ont pas fini de porter le deuil
de l’administration Trump, tout le monde attendait donc celle de Joe Biden au
tournant. Un président américain dont les priorités restent plus nationales
qu’internationales – la relance après l’épidémie du COVID, avec ensuite hors
des USA les difficiles négociations avec l’Iran, et le bras de fer avec la
Chine avec laquelle il se prépare à être encore plus dur sur le fond que son
prédécesseur. Preuve de la priorité seconde du dossier israélo palestinien, le
nouvel ambassadeur américain en Israël n’était pas encore en poste lorsque la
première volée de roquettes a été tirée par le Hamas. Que dire de son attitude
pendant la crise ? Le soutien américain a été clair et constant, d’un bout
à l’autre.
Antony Blinken |
De manière affichée,
dans les déclarations de la Maison Blanche comme du Secrétaire d’État Antony
Blinken. En coulisses, avec le véto mis à une série de résolutions déposées au
Conseil de Sécurité pour imposer un cesser le feu. Clairement, et après les
succès à la fois politique et psychologique du Hamas des deux premiers jours,
un arrêt prématuré de cette «mini guerre» aurait laissé une image «d’échec
et mat» subi par Israël. Le bilan militaire exact mérite un développement à
part, mais il est clair que les coups subis par l’arsenal de la milice
terroriste n’ont pu que croitre au fil des jours, et donc que ce soutien
américain a été indispensable, même si au fil des jours une impatience se
faisait sentir «en creux», et que le gouvernement israélien a dû accepter la
fin des hostilités dans la soirée du 21 mai.
Est-ce à dire
que le ciel des relations israélo-américaine est sans aucun nuage ? Là
encore, il faut éviter tout simplisme. La nouvelle administration a confirmé la
nécessité d’une solution «à deux États» du conflit israélo-palestinien,
ce qui va au rebours non seulement de la politique de Netanyahou depuis douze
ans, mais aussi de toute majorité à la Knesset vu l’état de l’opinion publique
dans le pays. On est passé près d’un incident sérieux avec la destruction de la
tour de Gaza hébergeant à la fois les locaux d’Al-Jazeera et de l’Associated
Press – Blinken ayant demandé et obtenu des explications «classifiées»
pour cette affaire. Et enfin, le parti démocrate, constant dans sa grande
majorité dans le soutien à Israël, a maintenant une aile gauche hostile, et qui
risque de croitre au fil des années : comme l’écrit David Horovitz dans le
Times of Israël [7] dans un article terriblement lucide : «Mais Biden lutte
contre une vague croissante de critiques d’Israël au sein du Parti démocrate ;
dans 5, 10 ou 15 ans, il est loin d’être fantaisiste de craindre et de penser
qu’une présidence démocrate américaine soit nettement moins fiable».
(1) : Déclaration d'Ismail Haniye
3 commentaires:
Très bon article. Opinion mesurée mais très claire. Objectivité au rendez-vous et bien documentée. Excellent état des lieux de l'état d'esprit des chancelleries européennes.
Un texte tempéré, réfléchi, sans animosité, sans propagande ostentatoire. Tellement rare sur les sites communautaires qu’il est important de vous remercier. J’attends la suite avec impatience...
Bonjour,
Article intéressant car raisonnable dans le récit des évènements.
C'est toujours un plaisir de lire ce blog.
Cordialement,
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