LA TENTATION LIEBERMAN
Par Jacques BENILLOUCHE
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C’est
tout naturellement vers Avigdor Lieberman que Benjamin Netanyahou s’est tourné lorsque
l’accord avec les Travaillistes n’a pu être réalisé. La gauche se sent rassurée
de l’échec car elle savait qu’elle s'orientait vers un gouvernement d’inertie
nationale. C’était déjà dans les tuyaux ; Lieberman piaffait d’impatience.
Netanyahou a berné Herzog en lui faisant croire qu’il adhérait à ses exigences
pour mieux convaincre le parti Israël Beiteinou d’entrer dans la coalition. Le premier ministre a usé de son art politique pour donner des espérances à l’opposition alors qu'il voulait en fait la réduire en lambeaux. Il y est parvenu en créant la zizanie entre les leaders de gauche. Yitzhak Herzog, l’erreur de casting des travaillistes,
aura du mal à se relever de ses illusions et son résultat sera de permettre au
gouvernement actuel de survivre jusqu’en 2019.
Voir la vidéo du débat de Jacques Benillouche avec Emmanuel Navon sur I24news
Netanyahou
avaient de multiples raisons pour expliquer son choix politique. Sa coalition de 61 députés sur 120 à la Knesset s'effilochait au fil du temps. Or Netanyahou n’est pas homme à
accepter de se faire dicter sa politique. La majorité étroite permettait à
chaque député d’imposer sa volonté. On l’a vu avec le cas du député Oren Hazan
qui avait volontairement raté certains votes. Il avait été sanctionné en étant
exclu de la commission intérieure et de la commission de la Défense et des
affaires étrangères de la Knesset. La majorité n’était plus réduite qu’à 60
voix. On a constaté aussi que quelques apparatchiks du Likoud, David Amsalem et
Avraham Neguise, menaçaient de mettre en danger le gouvernement s’il n’autorisait
pas l’alyah de 1.300 Juifs éthiopiens. Ces
deux députés avaient donc décidé de s’abstenir de donner leur voix au
gouvernement. Le premier ministre ne pouvait pas mécontenter les Juifs orthodoxes
qui voyaient d’un mauvais œil l’arrivée des derniers Falash Moura qui ne sont
pas reconnus comme Juifs après s’être convertis depuis deux générations.
Rivlin-Yaalon |
Benjamin
Netanyahou voulait «muscler» son gouvernement accusé de faiblesse en
raison des libertés prises par certains dirigeants à exprimer des critiques «dans
les forums pertinents». Mais le choix de remplacer un leader de l’aile
modérée du Likoud, proche du président Réouven Rivlin, par un homme politique
qualifié d’extrême-droite en raison de ses positions racistes anti arabes, peut
sembler inapproprié. Le ministère de la
défense est le poste le plus puissant après celui de premier ministre. Il paraît
donc paradoxal de confier ce ministère à un ancien caporal magasinier, qui n’a
effectué que 12 mois de service militaire actif. D’autre part, les politiques ont la mémoire
courte car Lieberman avait accusé le premier ministre d'être «un menteur et
un fraudeur et un chef de file qui ne sait pas prendre des décisions». À
l'époque un porte-parole du Likoud avait raillé Lieberman sur les questions de
sécurité en disant que «la seule balle qui ait sifflé à ses oreilles et qui
l’ait frôlé était une balle de tennis».
Netanyahou
a préféré oublier que depuis un an, Lieberman complotait avec d'autres chefs de
partis pour le remplacer. Ses propos populistes ont souvent choqué mais c’était
la marque de fabrique du personnage. Il avait menacé l’Égypte de bombarder le
barrage d’Assouan et recommandé la décapitation des traîtres parmi les citoyens
arabes israéliens. Il était prêt, s'il était nommé à la Défense, à ordonner
la mise à mort des dirigeants du Hamas s'ils n’acceptaient pas le retour des
corps des soldats israéliens tués à Gaza en 2014. Il a proposé la peine de mort
pour les terroristes et a exigé des Arabes israéliens un serment d'allégeance à
l'État comme condition à leur citoyenneté.
"Le tireur fou de Hébron ouvre à Lieberman les portes du ministère de La Défense (Amos Biderman). |
La
nomination d’un «civil» à la Défense, qui se fait dans toutes les
démocraties occidentales, aurait cependant plusieurs avantages. Cela réduirait
les tensions et les rivalités entre le Chef d’État-major et son ministre bien que les rôles soient strictement définis. Ehud Barak avait développé des relations
exécrables avec Tsahal parce qu’il ne voulait pas concentrer sa charge sur les options politiques, laissant les militaires préparer les projets et conseiller le gouvernement sur les questions sécuritaires.
Netanyahou
pouvait difficilement proposer à nouveau à Lieberman le ministère des Affaires
étrangères qu’il avait occupé entre 2009 et 2015, dans des conditions
dramatiques pour la diplomatie israélienne. Il était devenu persona non grata
dans toutes les chancelleries européennes ce qui réduisait les occasions
d’Israël d’exposer ses positions. Il avait géré son ministère à coups de trique
en poussant à la sortie les meilleurs diplomates qui lui faisaient de l’ombre
ou en les menaçant de révocation.
Mais
en plus de consolider sa majorité, Netanyahou voulait modifier l’image qu’il était à la tête d’une coalition faible, faisant du sur place et
tiraillée par les rivalités internes entre dirigeants. L’arrivée de Lieberman
rehausserait le prestige du gouvernement auprès des nationalistes. Le premier
ministre espère masquer ainsi les concessions douloureuses par lesquels l’État
d’Israël devra passer s’il veut atteindre un accord avec les Palestiniens.
Or, contrairement à sa réputation, Lieberman a changé et est devenu pragmatique par la force des événements. Il a compris que c’était pour lui le seul moyen d’arriver au pouvoir. Ainsi, il n’est plus le défenseur du dogme du Grand Israël qu’il estime dorénavant caduc. Il prône une séparation avec les Palestiniens quitte à ce qu’ils créent leur État. Il en a parlé secrètement à Paris avec Mohamed Dahlan avec qui il entretient des relations étroites pour l'aider à remplacer Mahmoud Abbas.
Or, contrairement à sa réputation, Lieberman a changé et est devenu pragmatique par la force des événements. Il a compris que c’était pour lui le seul moyen d’arriver au pouvoir. Ainsi, il n’est plus le défenseur du dogme du Grand Israël qu’il estime dorénavant caduc. Il prône une séparation avec les Palestiniens quitte à ce qu’ils créent leur État. Il en a parlé secrètement à Paris avec Mohamed Dahlan avec qui il entretient des relations étroites pour l'aider à remplacer Mahmoud Abbas.
Il
a publié son programme ce qui est original pour un homme politique israélien. Il
veut garder les trois grands blocs d’implantations de Cisjordanie, Maale
Adoumim, Ariel et Goush Etsion après avoir évacué les petites entités isolées
au sein des zones arabes. Il veut faire admettre un échange de territoires en
offrant une bande de territoires de trois kilomètres de large, le long de la «ligne
verte» délimitée par les villes d’Oum El Fahm, Ara, Tira et Kfar Kassem, pour
intégrer ces villages arabes israéliens à la Cisjordanie. La séparation aurait
pour conséquence de se débarrasser des villes arabes qui n’ont jamais admis la
création d’Israël et qui sont des foyers de terrorisme. Cela permettrait à
certains députés arabes contestataires, Ahmed Tibi, Jamal Zahalka, et Hanin Zoabi,
de mettre leurs compétences au service de leur État arabe palestinien. Pour
toute éventuelle reprise des négociations, Netanyahou a donc besoin d’un
gouvernement fort, marqué à droite, pour imposer une solution aux Israéliens
comme naguère Begin ou Sharon. Lieberman
lui offrirait sa caution nationaliste.
Sur
le plan du fonctionnement du gouvernement, le premier ministre ne pouvait pas
continuer à cumuler plusieurs ministères et laisser vacant le ministère des
affaires étrangères au moment où des gesticulations européennes sont de plus en
plus pressantes et où l’incertitude plane sur le nouveau président des États-Unis.
Hillary Clinton ferait pratiquement la même politique qu’Obama, avec cependant
des méthodes un peu plus lisses. L’entrée de Lieberman permettrait de
reconfigurer un gouvernement sans âme. Par ailleurs, des mesures urgentes sont à prendre sur
le plan économique puisque la Banque
d’Israël vient de lancer un message d’alerte sur une possible récession avec à
la clef de nombreux licenciements dans le high-tech.
Enfin,
les conséquences fondamentales de la recomposition dans la région du
Moyen-Orient se sont traduites par le retour en force de la Russie. L’homme
fort du moment, Poutine, entretient des relations intéressées, presque
cordiales, avec Lieberman. En plus de parler la même langue natale, ils parlent
le même langage de fermeté. Or les Russes ont déployé des défenses aériennes de
pointe au-dessus de la Syrie et contrôlent le ciel avec l’aide de leurs avions
de chasse, en réduisant la liberté de mouvement d'Israël. Il est important qu’un
dialogue s’engage pour éviter le pire.
Ehud Barak en 2016 |
La
question complexe reste la méthode qui sera utilisée par le «caporal»
dans ses relations avec les officiers qui ne sont pas du genre à se laisser
traiter comme l’ont été les diplomates. La nomination de Lieberman fait des
vagues à l’intérieur du pays et il est fort probable qu’elle sera aussi
condamnée à l’étranger car le personnage est sulfureux. L’ancien ministre de la
défense Ehud Barak en est aux mises en garde : «le
gouvernement montre des signes de fascisme. Le renvoi de Yaalon devrait être
une lumière rouge pour nous tous, sur ce qui se passe au sein du gouvernement.
Ce renvoi est la fin d'une chaîne d'événements qui a commencé avec le soldat
qui a tiré sur le terroriste. Ces incidents montrent qu’il y a une prise de
contrôle hostile du gouvernement israélien par des éléments dangereux. La
nomination de ministres de la défense inappropriés conduit à des résultats
dangereux. Lieberman va essayer de paraître modéré, mais tôt ou tard, nous
allons payer le prix».
Cette charge terrible d’un
ancien dirigeant militaire et politique démontre que Netanyahou n’aura pas la
tâche facile. La remise en selle d’Avigdor Lieberman risque de réveiller des
ambitions auprès de ceux qui avaient jusqu'alors adopté un profil bas en se
mettant en réserve de la politique. Il n'est pas certain que nous attendrons 2019 pour voir les choses changer.
1 commentaire:
Excellente analyse ! Pour arriver à un accord avec les palestiniens,, si tant est qu'ils le souhaitent, il ne faut pas qu'il y ait des réticences et des résistances du côté israélien. Liebermann, classé à l'extrême droite, à tort d'ailleurs, permettra l'union nationale ou quelque chose qui en tienne lieu. Bravo Jacques !
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