Rohingas |
Mais pourquoi ignorer la plus grande partie du monde ? Jeunes
comme vieux. Jeunes encore plus que les vieux. Car c’est le monde des jeunes. Elle
avait noté lui dit-elle, avec des sanglots dans la voix en lisant sa liste. L’anéantissement de la minorité Rohingya. Le
meurtre des Yazidis, le génocide contre les Uigurs, les camps du Xinxiang. Les
massacres réciproques des groupes ethniques variés en Éthiopie. Et même près de
nous, près des frontières israéliennes.
Il la réconforta tant que mal, soulignant que leur prof avait eu raison
de souligner cette sélectivité, mais tort en étendant la responsabilité aux
jeunes. Toutes ces horreurs, trop lourdes pour elle, incombaient exclusivement
aux grands. Ces adultes, incapables d’assurer le règne de la raison sur le
monde. Et aux indignations effectivement sélectives. En même temps que
mentalement, il se mit à parcourir les causes de cette focalisation restrictive
automatique.
En premier lieu, le réflexe naturel. On se préoccupe d’abord de ce
qui vous touche personnellement. C’est
terrible, courte vue mais chacun sa guerre. Chine contre Taïwan, Turcs contre Kurdes, Émirats
contre Iran, Israël contre Iran. Lévi-Strauss dit «les Bororos sont contre
les Araras». Mireille, chantait de sa voix acidulée : «Tout le
monde se fout, se fout/ de son voisin du d’sous / c’qui nous importe / c’est
nous, c’est nous».
À ce nombrilisme spontané, s’ajoute d’autres facteurs tout aussi
naturels. Bien qu’objectivement, tout aussi condamnables. Le zonage géographique,
bien entendu. La guerre russe contre l’Ukraine n’a pas le même retentissement
aux États-Unis que dans les pays européens. Et on peut s’imaginer l’effarement
des Colombiens, ou des Chiliens, devant cette barbarie d’un autre temps et d’un
autre monde. Comme la marche de l’Iran vers l’arme nucléaire paraît vitale pour
les Israéliens et de simple nature politique pour les Français. Et même si la
langue anglaise paraît unificatrice sur le plan mondial, même si elle parvient
à rapprocher l’Europe de l’Amérique du Nord, elle ne parvient pas à effacer la
spécificité des zones linguistiques particulières, Asie, Inde, Russo-slave, Amérique
du sud.
Toutes ces explications, sinon toutes ces excuses de courte vue, n’empêchent pas la responsabilité qui est la nôtre. Nous les adultes, qui devrions préparer le monde des enfants. En consommant avec aveuglement le ressassage d’informations localisées dont les médias nous abreuvent sans discontinuité. Le poids des verbiages, le choc des images, pour paraphraser Françoise Giroud. Passant d’une actualité à une autre. En fonction du niveau d’intérêt escompté. Ce fameux «temps de cerveaux disponible», selon une formule célèbre. En acceptant un journalisme enfermé dans le sensationnel immédiat, au lieu d’ouvrir sur la diversité et la richesse du monde à découvrir. Nous les adultes qui, pourtant au temps de la mondialisation, nous satisfaisons en vérité de notre propre territoire de civilisation. Occident entre soi, asiatique sur soi, Moyen-Orient, Afrique, Amérique du sud. En-dehors d’intérêts passagers, chacun se fout, se fout / des p’tites histoires de son voisin d’à-côté. Le prof d’anglais, qui avait tort d’embarquer les enfants dans une accusation de ségrégation morale, avait raison de relever la sélectivité habituelle de compassion et d’intérêt.
Le On est nuls, ne faisait que traduire le désarroi d’une
découverte enfantine. Le monde est multiple, les drames sont partout, et la
capacité d’absorption des hommes, limitée. Chacun ne peut tout simplement pas
accepter toutes les misères du monde, en paraphrasant cette fois-ci Michel
Rocard.
Jonathan eut la tentation de dire à la petite fille, pleine
d’émotion, qu’il comptait sur elle, sur sa génération pour, enfin, avoir la
force et la sagesse d’instaurer un gouvernement mondial. Il préféra, sagement peut-être,
lui expliquer qu’à côté de ce monde des drames, existe un monde beaucoup plus
riche, de partages, de développement, de héros, d’ouvertures, aussi caché que
l’autre, et qui ne demandait qu’à être découvert.
RépondreSupprimerNous sommes arbitraires dans notre sélection des conflits et des misères humaines sans doute par le rendu des médias. Nous nous apitoyons à des degrés différents selon « le poids des mots et le choc des images » qui nous parviennent. Nous sommes constamment manipulés, convaincus ou indifférents à une cause selon la présentation qui nous en est donnée. Notre opinion est dirigée à chaque instant et, fiers de nous, nous pensons avoir notre libre arbitre alors qu’il est très relatif.
Bien à vous
Bonjour Sélectivités avec pour maître-mot l'humanisme
RépondreSupprimerEt pour permettre cet humanisme décomplexé, on pense au mondialisme, mieux encore à une gouvernance mondiale.
Mais qui dirigerait pour le meilleur des mondes ?
Des occidentaux, des Asiatiques, un sage mélange d'un peu de tout ?
Et pour satisfaire l'équité dans le monde, obligera-t-on des peuples qui mange majoritairement des produits de la mer à diversifier son alimentation afin que l'humanité puisse aussi en manger, inversement pour les carnassiers ?
Et les végétariens ?
Et les peuplades dit primitif, ou primaire, que décidera-t-on pour eux ?
Un gouvernement mondial dirigé par des peuples minoritaires, ou par des peuples majoritaires ?
À quoi servent les récits bibliques nous parlant de Babylone ?
Ou encore le socialisme soviétique ?
Le rôle d'un adulte, n'est-il pas justement de pondérer tous les excès ?
cordialement DdeAM
- Jonathan vous remercie pour cette défense du constat effectué, Véronique
RépondreSupprimer- Jonathan ne peut que souscrire à votre conclusion, DdeAM. Les douces plaisanteries qui illustrent auparavant une démonstration à rebours lui permettent d'apporter une précision déterminante. La régulation centralisée à un niveau mondial des grands principes d'humanités, appuiera leur application sur le principe de subsidiarité