LA POLITIQUE VERSATILE ET INOPÉRANTE DE LA
FRANCE AU LIBAN
Chronique d’un papy flingueur Albert NACCACHE
Emmanuel Macron et Michel Aoun. Le président Michel Aoun recevant son homologue français Emmanuel Macron à Baabda, le 1er septembre 2020 |
Le président français Emmanuel Macron est intervenu à plusieurs reprises pour influencer la scène politique libanaise dans la foulée de l’explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020 et lors des processus de formation des gouvernements. Les attentats-suicides de Beyrouth du 23 octobre 1983, qui frappèrent les contingents américain et français de la Force multinationale de sécurité durant la guerre du Liban, furent attribués par la France et les États-Unis au Hezbollah et à l’Iran. Cependant la France a toujours refusé de considérer le Hezbollah comme une organisation terroriste et lui a permis de bénéficier d’importantes facilités, expliquant qu’il «représente une grande partie du peuple libanais et doit participer à la vie politique du pays». Emmanuel Macron est confronté aux critiques des «maximalistes» qui, à l’intérieur du Liban ou à l’étranger, lui reprochent de traiter avec le Hezbollah et de travailler dans les limites d’un système corrompu.
La mainmise du Hezbollah sur le Liban
Cérémonie de commémoration du général Soleimani |
Le Hezbollah est plus puissant que l’État libanais sur le plan militaire et constitue l’organisation politique la plus puissante du pays ou de ce qu’il en reste. Il est également structurellement lié à l’Iran, à la Syrie dans le front de «résistance» régional de l’Axe chiite. La force politique du Hezbollah n'est pas seulement due à sa capacité armée. Elle s’explique aussi par son habilité à construire un consensus dans ses fiefs territoriaux, malgré la crise financière et la pandémie. Le Parti de Dieu a établi des circuits parallèles de mécénat, de distribution de revenus et de services, qui lui permettent de venir en aide à ses affiliés et de survivre à la crise. Le Hezbollah peut poursuivre son opération d'isolement du Liban et faire face quoiqu’il arrive. L’ordre des priorités étant : l’Iran d’abord, le Liban peut attendre.
Étonnant pas de deux avec le Hezbollah
Bruno Foucher, ambassadeur |
La démarche principale française est illustrée
par le parcours d’un ambassadeur français. Bruno Foucher est ambassadeur de
France en Iran de 2011 à 2016. De 2017 à 2020, il est ambassadeur de France au
Liban qu’il quitte au lendemain de l’explosion de Beyrouth du 4 août 2020 et
des deux visites au Liban du président Emmanuel Macron. Il devient en novembre
2020 envoyé spécial du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé
du rayonnement et de l'influence dans le monde arabo-musulman. «Dans le
quotidien libanais Al-Liwa, (Liban), 15 mai 2020 sous le titre «Ambassadeur de
France à Beyrouth – le diplomate qui promeut l’hégémonie iranienne au Liban»,
l’analyste politique Ahmad Fahed Al-Ayoubi accuse l’ambassadeur français au
Liban, Bruno Foucher, de servir l’Iran et le Hezbollah. Al-Ayoubi considère que
le précédent poste diplomatique de Foucher, à l’ambassade de France en Iran
(2011-2016), a influencé sa perception du Hezbollah : alors que la plupart des
pays définissent le Hezbollah comme une organisation terroriste, écrit-il,
Foucher se comporte comme s’il était «chargé de vendre le Hezbollah» et «ne
manque pas une occasion de défendre la réputation» de cette organisation, qui
cherche à faire du Liban une réplique miniature de l’Iran», précise Ayoubi.
Il écrit encore que «Foucher appartient au cercle pro-iranien d’une certaine
élite française et qu’il chercherait à couper le Liban du monde arabe et de
l’Occident pour le pousser vers l’axe iranien». …
Il
semble que les quatre années de Bruno Foucher, passées comme second conseiller
à l’ambassade de France à Téhéran, continuent à ce jour d’influencer son
activité diplomatique, alors que sa mission d’ambassadeur de France au Liban
arrive à son terme. …Foucher a absorbé les idées favorables à la protection du
projet iranien dans la région, et pendant son service à Téhéran, il a intégré
l’élite française pro-iranienne. Comme on sait, il existe chez les
décisionnaires français, en particulier au sein du ministère français des
Affaires étrangères, un conflit relatif à l’approche de la relation [France-]
Iran. Il y a ceux qui veulent approfondir [cette relation] afin d’obtenir des
privilèges du régime des ayatollahs [en Iran], alors qu’un autre groupe
aimerait que «Paris trouve sa place aux côtés des capitales du monde libre
qui dénoncent la destruction et le terrorisme iraniens dans la région».
L’ambassadeur,
l’une des grosses têtes du «groupe iranien» au sein de l’administration
française, ne manque pas une occasion de sauver la réputation du Hezbollah. …Des
sources au fait de l’atmosphère diplomatique qui règne actuellement à Paris ont
déclaré que la voie empruntée par l’ambassadeur Foucher et ses partisans au
ministère des Affaires étrangères, pendant ses années au Liban, a conduit le
processus de politique étrangère dans des recoins obscurs et pousse le Liban à
rejoindre l’axe iranien en le déconnectant de son environnement arabe et de ses
relations internationales.
Le
Hezbollah veut transformer le Liban en une réplique miniature de l’Iran. Au
lieu d’une économie libre, il veut une «économie de résistance», comme
l’a déclaré le président Michel Aoun. Cela signifie, tout simplement, que le
Liban couperait les relations avec le monde arabe, en particulier avec les pays
du Golfe, avec les États-Unis et les États membres de l’UE, et qu’il serait
poussé vers l’axe iranien sous sanctions, construit sur l’illusion d’une
alliance avec la Russie et la Chine.
Et
l’on se pose logiquement des questions face à l’intérêt que porte l’ambassadeur
Foucher à vendre le plan du Hezbollah, alors même que la plupart des pays le
définissent comme une organisation terroriste. En bref, un «Liban iranien» ne
gagnera jamais le soutien de l’Occident et des Arabes. C’est [un autre] Liban,
symbole de coexistence, de diversité et d’arabisme, que les Arabes et la
communauté internationale s’efforceront de sauver et d’aider. La France
va-t-elle faire partie de cet axe ou de l’axe de l’isolement, du siège et du
terrorisme ?» (Source
Memri.org)
Changement de cap ?
Macron et Mohammad ben Salmane, Elysée 10 avril 2018 |
L’appel de l’analyste politique Ahmad Fahed Al-Ayoubi a-t-il été
entendu par Emmanuel Macron ? Les États-Unis, l’Argentine, le Canada, la
Colombie, l’Angleterre, le Paraguay, les Pays Bas, la Malaisie, l’Australie, le
Kosovo, la Lituanie, ont placé le Hezbollah sur leur liste d’organisations terroristes….
Ainsi que les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) Bahreïn, Koweït,
Oman, Qatar, Arabie saoudite et Émirats arabes unis. Les milieux politiques
américains et français expriment de plus en plus leur inquiétude en réalisant
qu’ils sont «en en train de perdre le Liban». Ils veulent éviter que
le Liban ne se transforme «ouvertement en un État défaillant au sens
littéral du terme».
La France va-t-elle rejoindre le camp des «maximalistes»
dans le cadre de la grave crise diplomatique qui oppose depuis fin octobre 2021
le Liban à plusieurs monarchies arabes du Golfe, sur fond d’un bras de fer au
sujet du Hezbollah. L’Arabie saoudite et la France ont annoncé en décembre 2021
vouloir «s’engager pleinement» en vue d’une relance des liens entre
Beyrouth et le royaume, mise à mal par la puissance grandissante du Hezbollah. Emmanuel
Macron a cherché à persuader le prince héritier saoudien Mohammad ben Salman de
se réengager au Liban. Un fond d’aide pour la population libanaise a déjà été
mis en place par la France, l’Arabie saoudite et les EAU.
Est-il encore possible de changer le cours des
évènements et d’obtenir la neutralité du Liban ? Un
partisan libanais du Hezbollah ironise sur l’impuissance de la France et des
occidentaux : «La neutralité du Liban entre le choix et le souhait. La neutralité du
Liban relève-t-elle du choix, à portée de mains, ou du souhait, hors de portée
? … si aucune des conditions pour que se réalise le choix de la neutralité
n’est donnée au Liban, à quoi sert-il de soulever haut et fort, actuellement,
ce qui se voulant être un «mot d’ordre» n’est en fait qu’un vœu pieux,
autrement dit un souhait ?» (Roger
Naba'a 22 novembre 2020)
Discours Nasrallah 12 janvier 2022 |
Le Hezbollah au cœur de l’Axe chiite
Le dernier discours de Hassan Nasrallah a été un réquisitoire
contre Washington qui est l’ennemi qu’il faut haïr et combattre ainsi que l'Arabie
saoudite. Le Hezbollah est l’obstacle à un Liban indépendant car il fait partie
consubstantiellement de l’Axe chiite, par le Velayat-e faqih, qui
est le principe théologique chiite qui place le Hezbollah sous la
tutelle politico-religieuse de l’Ayatollah iranien Ali Khamenei. Sur le plan
des opérations, le Hezbollah joue un rôle essentiel dans les combats de l’Axe
chiite (guerre de Syrie, établissement d’un pouvoir chiite en Irak et guerre du
Yémen).
Michel Aoun, Anne Grillo 11 janvier 2022 au palais de Baabda |
Rassurez-vous, Monsieur Naccache, je ne viens pas ici défendre « la politique versatile et inopérante de la France au Liban ».
Mais si j’étais libanaise je me poserais toutefois la question de savoir comment et pourquoi, la France, l’UE, nombre d’instances internationales et jusqu’à l’ONU, ont accepté sans coup férir que soit enterrée l’enquête internationale ouverte à la suite de la double explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 qui avait fait au moins 215 morts, 6500 blessés, et 350 000 sinistrés ?
Cordialement.