Proclamation du Grand Liban |
Le président
français effectue sa deuxième visite au Liban depuis la terrible explosion qui
a ravagé Beyrouth le 4 août 2020. Pour ce deuxième séjour, Emmanuel Macron n’est
pas avare en gestes symboliques. Il a rencontré à son arrivée la
chanteuse Feyrouz, légende vivante de la chanson arabe et un rare symbole
d’unité nationale d’un pays. «Feyrouz est l’emblème national qui transcende les
clivages et les générations. Les chansons de Feyrouz ont rassemblé, et
rassemblent toujours, les Libanais. Pour les Libanais, du Liban de la diaspora,
Feyrouz est la voix qui coule comme une larme».
Feyrouz |
Emmanuel
Macron a planté un cèdre avec des enfants libanais dans la forêt de Jaj, au
nord-est de Beyrouth. Cette «cérémonie simple» célèbre le centenaire de
la création de l’État du Grand Liban le 1er septembre 1920 par le général
français Henri Gouraud. Pour l’occasion, la Patrouille de France, a coloré le
ciel avec les couleurs du drapeau libanais. C’est depuis les marches du perron de la Résidence des
Pins que le Général Henry Joseph Eugène Gouraud, représentant de la puissance
mandataire française sur la Syrie, entouré du patriarche maronite et du grand
mufti sunnite, a proclamé l’indépendance du Grand Liban.
Résidence des Pins |
La protection des chrétiens d’Orient constitue l’une des motivations de
la proclamation du Grand Liban en constituant un «foyer chrétien au Liban»,
sous le leadership maronite, avec la caution des sunnites.
Cent ans
après sa naissance, le Grand Liban «semble réduit au statut d’une biche aux
abois, proie de prédateurs redoutables, tant internes qu’externes». Pour
raconter l’histoire de ce pays, Ghassan Tuéni, Gérard Khoury et Jean Lacouture
intitulent leur ouvrage : «Un siècle pour rien». En effet le Liban
est «au bord de la désintégration», «au bord de l’abîme». C’est
le cri
d'alarme de Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères : «Le risque aujourd'hui, c'est la
disparition du Liban».
Les nombreux articles consacrés au
Liban analysent les causes de cette situation catastrophique mais ne signalent
pas que l’évolution démographique en est la principale. Au moment de sa création, le Liban était une entité
majoritairement chrétienne. Depuis les chrétiens sont devenus minoritaires. Ils
sont aujourd’hui plutôt en dessous de 30% et ça ne s’arrange pas. Pour masquer
ce problème, on a mis fin aux recensements.
Les
ennuis ont commencé avec Septembre noir, un conflit qui débuta en septembre
1970 en Jordanie, lorsque le roi Hussein déclencha des opérations militaires
contre les fedayin de l'Organisation de libération de
la Palestine (OLP), dirigée par Yasser Arafat, pour restaurer l'autorité de la
monarchie dans le pays à la suite de plusieurs tentatives palestiniennes de renverser Hussein, avec l'aide de l'armée syrienne.
En
juillet 1971, Arafat et ses troupes expulsés de Jordanie s’implantent en masse
au Liban ou ils déclenchent la guerre du Liban en liaison avec les forces «progressistes»
libanaises, nationalistes et communistes contre les milices «de droite» chrétiennes.
Le Sud-Liban se transforme en Fatahland et la France - présumée protectrice des
chrétiens - vient au secours d’Arafat et lui permet d’être évacué depuis
Beyrouth.
Ensuite,
la communauté chiite libanaise, jadis la plus méprisée du Liban, s’affirme
sous le tandem Hezbollah-Amal. Jacques Chirac s’était déjà «distingué par son
attitude face au Hezbollah». En effet, il ne l’a jamais considéré comme une
organisation terroriste et lui a permis de bénéficier d’importantes facilités,
expliquant que «le Hezbollah représente une grande partie du peuple libanais
et doit participer à la vie politique du pays».
L’article
de Jacques Benillouche «Macron et le Quai d’Orsay protègent le Hezbollah» « L'erreur
française au Liban» - 10 août 2020 publié dans Temps et Contretemps
et Causeur montre qu’il s’agit d’une constante de la politique étrangère
française.
Le
Hezbollah est sans doute aujourd’hui le principal obstacle à un Liban
indépendant car il fait partie consubstantiellement de l’Axe chiite qui le lie
religieusement (Wilaya el fakih), militairement et politiquement à l’Iran et à
la Syrie. C’est un État dans l’État (ou ce qu’il en reste) qui dispose d’une
armée que personne ne peut aujourd’hui remettre en question. Il est plus
puissant que l’État sur le plan militaire, et plus cohérent que toute autre
organisation libanaise. «l’Iran d’abord et le Liban peut attendre».
Alors,
comment sortir le Liban de l’ornière ? La position du patriarche maronite
Mgr Béchara Raï me semble la plus constructive. Il plaide en faveur d'une «neutralité
active» pour le Liban et a lancé un appel à cesser les guerres et les
conflits «dont nous ne voulons pas». «J’ai
défendu le vivre-ensemble des chrétiens et des musulmans dans un pays qui
sépare la religion et l’État. Le Liban est un État civil, c’est ce qui le
différencie de tous les pays de ce monde arabe». En effet, dans la
Constitution libanaise, il n’est pas fait mention de religion.
«Mais il y a la question du Hezbollah qui fait ses
guerres et entraîne le Liban avec lui en Syrie ou au Yémen… Ce n’est pas
normal. Cette neutralité du Liban, qui fait partie de son essence, est
aujourd’hui déchirée malheureusement par la mainmise du Hezbollah sur la
politique et le gouvernement». Pour le président Macron : «Si nous lâchons le Liban, ce sera la
guerre civile». Il a déclaré qu’il proposerait le 1er septembre un «nouveau
pacte» politique aux membres de l’élite politique du pays. Le
président français a évoqué les «contraintes d'un système confessionnel»
qui ont conduit «à une situation où il n'y a quasiment plus de
renouvellement (politique) et où il y a quasiment une impossibilité de mener
des réformes».
Les principaux dirigeants de l'opposition, Samir Geagea chef du
parti chrétien des Forces libanaises, le sunnite Saad Hariri du Courant
du Futur et le druze Walid Joumblatt du Parti Socialiste Progressiste n’ont pas
réagi à cette proposition.
Mais on assiste au «ravalement précipité» du
pouvoir libanais pour accueillir Macron. Pour
profiter du pactole de l’aide de la «communauté internationale» les trois
partis de la coalition sortante déclarent leur attachement à la laïcité et aux
réformes. Le
président Michel Aoun et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui
avaient refusé toute enquête internationale sur la tragédie du 4 août en
invoquant la défense de la souveraineté nationale répondent favorablement à la
proposition de «nouveau pacte» d’Emmanuel Macron.
Le
président Michel Aoun du Courant Patriotique Libre déclare que «le temps du changement
était venu, parce que je suis convaincu que seul un État laïc est capable de
protéger le pluralisme, de le préserver en le transformant en unité réelle, je
demande que le Liban soit déclaré État laïc».
Nabih Berry |
Hassan
Nasrallah, allié au parti présidentiel, le Courant Patriotique Libre, annonce dimanche
que sa formation était disposée à discuter d'un nouveau «pacte politique»
au Liban.
Enfin,
Le président du Parlement libanais et chef du mouvement chiite Amal, Nabih
Berry, a appelé lundi, à l’occasion du 42e anniversaire de la disparition de
l’imam Moussa Sadr, fondateur de la formation chiite, à «changer le système
confessionnel» libanais.
Moustapha Adib |
Dans
la foulée, Moustapha Adib est désigné Premier ministre : car «l'heure est à
l'action» et s'engage à former très vite une équipe d'"experts"
réformatrice. Car il
ne faut pas rater le coche des quelques milliards d’euros promis par la «communauté
internationale». Déjà en convoquant une conférence des donateurs, Paris a
réussi à réunir une aide d’urgence de 250 millions d’euros dont 30 de la
part de la France.
C’est une question à suivre en sachant qu’il
n’y a pas que de bonnes intentions derrière la volonté d’abolir le système
confessionnel. Au contraire, à chaque fois qu’il en a été question, une des
confessions se trouvait en position dominante et voulait changer la donne en
écrasant les autres. La
suppression du communautarisme mettrait fin à l’histoire chrétienne du
Liban.
Fort
de sa supériorité militaire, le Hezbollah a toujours été pour un État faible et
des dirigeants sans grande volonté politique. Le Hezbollah à la faveur du
marasme économique ambiant et de la déliquescence de l’État, et la disparition
de la classe moyenne va pouvoir entraîner le Liban dans l’orbite iranienne. «Grâce
à son organisation, ses institutions et les circuits parallèles qu’il a mis en
place, il a les moyens de tenir face à ce qui lui arrive, sans que rien ne
permette à mon sens de savoir combien de temps cela peut encore durer ni
comment tout cela va se terminer».
Ainsi,
la célébration du 1er centenaire de la proclamation de «l’État du Grand Liban»
pourrait être le chant de cygne pour le Liban.
Bon article, d'autres pays seront les Liban de demain.Un seul pays semble controler son futur; la Chine
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