-Kamyar. Pas très sépharade. Ni ashkénaze. C’est un prénom de
quelle origine ?
-Iranien, répondit, l’homme massif, brun de
teint, chevelure noire, longue, épaisse, dents plus que blanches dans un sourire
un brin moqueur. Il expliqua. Historien, chercheur, il avait postulé pour
participer à un colloque organisé par l’université de Haïfa, à tout hasard. A
sa grande surprise sa candidature avait été acceptée. Et, surprise encore plus
grande un interrogatoire de moins d’une demi-heure, plutôt bon enfant, lui
avait ouvert les portes d’Israël, à l’aéroport Ben Gourion.
Peut-être sa première visite, en 2021, avait-elle joué en faveur de cet accueil, relativement aisé, en cette année 2025.
-Une certaine similitude, aussi ? suggéra Jonathan. Probablement,
reconnut Kamyar, sans insister. Puis devant le silence, si éloquent, de
Jonathan, il reprit. Effectivement, si en 2023 votre pays a entamé sa
révolution différemment du début de la révolution iranienne, on est obligé de
constater qu’en 2025, vous en êtes apparemment arrivés presqu’au même résultat.
A la demande de son interlocuteur, Jonathan entreprit de lui résumer
la situation. Qui n’est plus une apparence, mais une réalité. Bien ancrée. Iran
a ses Ayatollahs. Qui résistent, contre vents et marées. Nous avons les nôtres.
Copiés collés. En deux ans, en dépit de toutes les résistances, tous les
combats, toutes les oppositions, sur le plan intérieur, la caste des religieux
extrémistes s’est positionnée au sein de tous les pouvoirs. De toutes les
activités. En premier lieu, la justice. Contournée, infiltrée, diminuée, laminée,
la Haute Cour est devenue la basse-cour. À partir de là, la police a dû s’accommoder
du rôle grandissant d’une milice aux ordres. L’éducation, la santé, les
transports, la culture, évidemment, l’économie et la finance, la high tech,
l’industrie, le commerce, tout, tout a été, de gré ou de force, soumis aux
règles d’une religion triomphante. L’armée même, a dû négocier. Pour
finalement, limiter son autonomie. Les femmes, grandes perdantes, ont vu leur
statut régresser. Avec, en corollaire, autre ressemblance, un développement
exponentiel de la corruption, des comportements mafieux.
Les différentes minorités arabes israéliennes ont accompagné les
femmes dans la régression de statut. Une démarche ostentatoirement raciale, qui
est devenue triomphalement raciste dans le traitement de la population palestinienne.
Évidée de tout espoir d’État autonome, matraquée policièrement, militairement
et socialement, elle se retrouve parquée, contrôlée, dans une situation assumée
d‘apartheid.
Sur le plan international, évidemment, ça coince. La dégringolade
annoncée, en cours de confirmation, économique et financière, renvoie le pays
de la première à la quatrième division. La débâcle morale, la transformation de
la démocratie en régime nationaliste, autocratique, entraîne ses conséquences.
Isolement par rapport aux communautés internationale et régionale. Renversement
d’alliances, la Russie suppléant l’ami originel, les Etats-Unis, les démocratures
d’Europe centrale remplaçant les démocraties occidentales classiques. Les
instances internationales s’éloignent alors que la menace des institutions de
justice mondiales se rapproche
Comment ? Comment expliquer cette révolution à l’envers ?
Ou à l’endroit, si on considère l’histoire du point de vue de votre beau
pays, l’Iran ?
Premier phénomène. Déterminant. Qui a pris tout le monde par
surprise. La vitesse. D’abord, la surprise des intentions. Personne n’a vu
venir la radicalité et l’étendue de la révolution religieuse présentée. La
période électorale n’en n’a pratiquement pas fait état. Puis l’extraordinaire
rapidité de sa mise en œuvre. Une fois terminé le temps laborieux des
tractations de postes, de territoires, de responsabilités, le dépeçage des fonctions
ministérielles pour alimenter toutes les frénésies de pouvoir, le tsunami a tout
emporté. La tactique du fait accompli s’est déroulée à merveille. Au fur et à
mesure que le programme de liquidation de la démocratie déroulait des projets,
le parlement, aux ordres et discipliné, votait les lois correspondantes. En six
mois, les dés étaient jetés.
En face, les manifestations d’opposition de plus en plus massives,
les mouvements de rejet par à peu près toutes les corporations, les recours à
la grève, les recours à la justice, les dénonciations, les refus d’obtempérer ont
eu beau se multiplier, force est restée à la loi. Les lois nouvelles,
contestées, mais les lois. Comme le mouvement d’opposition, dans son ensemble
est resté légaliste, n’a pas fait le saut de l’illégalité et de la lutte violente,
encore moins armée, car trop fratricide, il a finalement été emporté par l’irrésistible
tsunami.
Second phénomène, comme toujours, les hommes et femmes politiques. Premièrement,
définitivement, le leader. Qui a mis sa virtuosité en jeu du politique,
rigoureusement, au service de son propre goût du pouvoir et de sa peur panique d’être
condamné à la prison. Qui s’est appuyé, sans vergogne aucune, sur les forces
religieuses extrémistes pour assurer sa réussite. Juste derrière lui, et
bientôt devant lui, les leaders fanatiques religieux. Exploitant le caractère
indispensable de leur appui, malgré leur poids électoral limité, ils imposent
au pays tout entier, les diktats, contraintes, limites, définis par un corps
rabbinique dictatorial.
Autre phénomène, aussi indéniable que mal connu. Un Robespierre
israélien additionné d’un Forum politique américain. Un Robespierre inversé
puisque mu par une espèce de haine de la justice de nature démocratique. Entièrement,
fanatiquement, voué à son affaiblissement et à sa soumission au législatif. Un
mouvement ultra droit et, peut-on dire «ultra friqué», américain, dédié,
lui à la promotion de l’annexion des territoires palestiniens occupés, de la «Judée-Samarie».
Favorisant donc, sous le manteau, l’élimination de toute composante opposée à
cette ambition.
Enfin, une mafia. Mafia d’affidés, de suiveurs, de profiteurs, de
soldats de la cause. Mafia non pas attachée à une cause, une idéologie qui
vaudrait toute autre, mais une mafia attachée aux basques d’un homme, de
l’homme du pouvoir. Ceci explique cela, reprit Kamyar.
Comme les ultras israéliens ont pris de vitesse les démocrates, les
Ayatollahs ont réussi entre temps leur hold-up du nucléaire. Maintenant qu’ils
ont leur bombe, expliquât-il, maintenant qu’ils découvrent la similitude de
situation entre les deux pays, curieusement, leur attitude devient moins
agressive. Il me semble par ailleurs que vos propres ayatollahs, diabolisent un
peu moins ces gouvernants adverses mais qui leur ressemblent. Sans compter
qu’ils se découvrent aussi les mêmes ennemis.
Tous deux, consternés, soupçonnèrent d’un seul et même élan, que ce
récent passage en douceur dont bénéficia Kamyar, était peut-être le signe qu’à
un moment très proche, les deux extrêmes allaient peut-être se rejoindre. La
même clameur les réunit : Sauve qui peut.
On croirait lire un mauvais roman!
RépondreSupprimerIl est peu vraissemblable qu'en Israël s'installe une théocratie, les partis religieux étant aussi divisés que le reste de la société!
Franchement, "soumission" était mieux écrit!
Article d’anticipation à la manière du chef-d’œuvre d’Orson Wells: « 1984 ». Y aurait-il en Israël un Winston Smith, le héros du livre, qui osera affronter les dérives religieuses et constitutionnelles d’un état en danger de survie démocratique? Ou assisterons nous à la désintégration des valeurs jusque-là en vigueur en Israël et à la servitude volontaire de ses citoyens?
RépondreSupprimerLa question est pour le moins d’actualité.
Bien cordialement
Ne confondons pas Orson Welles et H.G. Wells ! Ceci mis à part nous sommes bien d'accord.
RépondreSupprimerLes religieux nous sont présentés comme des ayatollahs, quelle image de la cible préférée des terroristes, de gens modestes, solidaires dans la vie quotidienne et divisés sinon hostiles d'un groupe à l'autre.
RépondreSupprimer@anonyme
RépondreSupprimerMerci d’avoir corrigé ma faute de frappe. Métaphoriquement nous sommes un peu dans « La guerre des mondes » en ce moment…
Bien à vous
C'est probablement ce qui va arriver en Israel. Quel dommage. Ou vivront mes petits-enfants?
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