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samedi 19 juin 2021

L'armée libanaise, dernier rempart avant fermeture par Francis MORITZ


L’ARMÉE LIBANAISE, DERNIER REMPART AVANT FERMETURE 

                         Par Francis MORITZ

 

General Joseph Aoun Chef de l'armée libanaise

Dans la situation plus que dramatique dans laquelle se trouve son pays exsangue financièrement, dont la situation politique déjà complexe en temps normal est désormais hors de contrôle, le général Joseph Aoun pourrait devenir le sauveur qu’attendent les Libanais. Face à l’incurie de la classe politique tout entière, il prendrait la place de son homonyme le président Michel Aoun que le sort du pays ne semble pas préoccuper. On connaît ses liens avec la milice Amal et avec le Hezbollah et le souci qu’il porte aux intérêts de son gendre Gibran Bassil et ministre de l’Énergie, de l’eau et des affaires étrangères, notamment en charge du port de Beyrouth lors de l’explosion.  A moins de faire preuve de cynisme, au cinéma on évoquerait une affaire de famille ou le Parrain. Hélas, ce sont les Libanais qui en sont les victimes.



Le ministre Jean Yves le Drian et le président Aoun à Beyrouth le 8 mai 2021


Le procès des assassins du président Rafik Hariri tué en 2015 n’aura pas lieu comme prévu, 16 ans après les faits. Les autorités libanaises ont informé l’ONU ne pas disposer des fonds nécessaires à sa tenue. C’est dire si les parties concernées sont intéressées à faire éclater la vérité !

Les Forces armées libanaises sont dans la tourmente. Ravagés par une inflation de 110% et la chute de la livre de 90% les soldes des militaires soit ne sont plus payées, soit avec beaucoup de retard mais leur montant, divisé par la crise financière, oblige le plus grand nombre à rechercher un deuxième emploi pour faire face à la situation. Du jamais vu depuis que l’armée existe. La situation est devenue à ce point critique que le général Joseph Aoun a sollicité des dons de divers pays, parmi lesquels on compte les États-Unis, la France et l’Italie.  Après une visite début mai du ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Driant, Il s’est rendu discrètement à Paris pour préciser ses demandes aux hauts responsables de l’armée et a été reçu par le président de la République.  Ce dernier s’était rendu au Liban à deux reprises sans obtenir aucun résultat de la classe politique Ces rencontres ont été très peu publicisés et encore moins commentées.

L’amiral Frank M. Bradley du commandement américain des opérations spéciales s’est rendu sur place pour confirmer le soutien américain aux forces libanaises et selon le porte-parole des FAL «permettre au Liban de protéger ses frontières et soutenir le développement des projets relatifs à l’exploitation des ressources fossiles et de l’eau».  On se demande à quelle menace il fait référence ? et d’ajouter que l’armée libanaise fonde de grands espoirs sur cette aide qui lui permettra de maintenir sa capacité d’intervention. On se souviendra qu’Israël avait demandé à Donald Trump de suspendre l’aide militaire au Liban en 2019. A ces demandes, Washington et ses alliés occidentaux ainsi que des pays arabes amis s’efforcent de donner suite. On sait que l’armée américaine a fait don de trois hélicoptères et que d’autres équipements doivent suivre. Manifestement Joe Biden n’abandonne pas le Liban mais reste très prudent dans l’aide militaire octroyée.

Le président Michel Aoun et son gendre Gibran Bassil

Il y a peu de chance que toute cette aide puisse être mise en œuvre très rapidement en raison de l’effondrement du gouvernement et l’asphyxie du pays financièrement et politiquement. La France, l’Égypte, Oman, les Émirats et la Jordanie fournissent actuellement des produits alimentaires et médicaux. On apprend également que la France organise le 17 juin une conférence virtuelle en vue de réunir une conférence internationale de soutien aux forces libanaises.

C’est une situation extrêmes rare pour être relevée : une armée en perdition doit faire l’aumône y compris pour obtenir des produits alimentaires, à moins de perdre le contrôle de ses cadres et hommes de troupes qui sont excédés par la situation actuelle et leur permettre de rester la seule institution capable de maintenir le fonctionnement du pays.  Les médias locaux font déjà état de plusieurs cas de désertion niés par l’armée elle-même. C’est un fait unique que des pays fassent une différence aussi nette entre un gouvernement même en perdition et son armée.  L’objectif est d’assurer à la troupe des fournitures alimentaires, médicales, voire des versements en espèces pour pallier la crise financière.

Liban et Israël se préparent à négocier sur les frontières maritimes


Le département américain de la Défense a annoncé le versement de 120 millions de $ pour l’année 2021 ; d’autres fournitures sont prévues dont des vedettes de patrouille maritime, d’autant que l’Unifil (force intérimaire de l’ONU) a réduit le nombre de ses vedettes engagées sur les cotes libanaises.  Il faut intégrer ces décisions dans la difficile négociation entre Israël et le Liban en vue de définir des frontières maritimes aux zones d’exploitation gazières entre les deux pays. Ce pourrait être un différend qui les rapproche ou tout au contraire qui relancerait les tensions entre les deux pays. Washington essaye de jouer le rôle de courtier, qui permettrait éventuellement un changement de paradigmes.

Pour autant la situation du pays est encore compliquée par la présence d’un million de réfugiés syriens et de 300.000 palestiniens qui vivent tous dans des conditions socio-économiques et sanitaires désastreux. Le Hezbollah se présente comme la seule force organisée capable de protéger le pays contre «l’ennemi sioniste» Dans cette configuration, le défi est considérable pour les soutiens du Liban. Permettront-ils à l’armée libanaise de prendre le pouvoir et d’essayer de redresser le pays ? Ou comme c’est le cas actuellement, ces mêmes pays maintiendront-ils le statu quo qui laisse le Hezbollah, affidé de l’Iran, continuer sa prise de contrôle progressive du pays ?

L'armée libanaise face aux manifestants à Beyrouth


  On voit bien que personne ne veut renverser la table et prendre la responsabilité de rendre aux Libanais leur pays et donc encore moins de chasser l’organisation terroriste. Tout le monde semble finalement se satisfaire de cette situation dont les victimes sont le peuple libanais qui n’a cessé de subir violence après violence sans que la fameuse communauté internationale ne s’émeuve. La France qui a longtemps revendiqué des liens particuliers avec ce pays semble impuissante à l’aider.  Cette attitude en fait un allié passif de l’organisation, avec toutes les conséquences que cela emporte. 

5 commentaires:

  1. Marianne ARNAUD12 juin 2021 à 10:33


    Monsieur Moritz,

    En janvier 2020, j'avais pu lire un article que l'islamologue, agrégé d'histoire, Olivier Hanne, consacrait à son dernier ouvrage traitant de la géopolitique du Golfe Persique, paru dans : "Le Spectacle du Monde", et que je crois avoir déjà cité ici, en son temps.
    Cet article revenait longuement sur des événements qui, en quarante ans, ont changé le Moyen-Orient, et se terminait ainsi :

    "...La crise commencée dans le Golfe en 2017 s'enracine dans des facteurs anciens, particulièrement liés à la révolution islamique de 1979, à la crainte de l'Iran et à la déstabilisation de l'Irak. La religion n'est qu'un élément parmi d'autres.
    Dans l'avenir, sans possibilité de faire plier l'Iran, le CCG va devoir réintégrer le Qatar, consolider ses alliances occidentales, relancer la course à l'armement conventionnel et surtout fragiliser les positions iraniennes au Moyen-Orient. Le Liban et l'Irak sont des cibles tout indiquées."

    Ne dirait-on pas que cette fois, nous y sommes ?

    Cordialement.

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  2. Un excellent article, riche d'informations inédites ... merci !

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  3. Marianne ARNAUD12 juin 2021 à 12:50

    Et si vous me le permettez, Monsieur Moritz, une petite question subsidiaire : où en est cette enquête internationale - ouverte après la double explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020, qui avait fait plus de 200 morts, 6 500 blessés et 300 000 personnes ayant perdu leur logement - qui, de dessaisissements en récusations, semble avoir été enterrée sous les ruines ?

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  4. Francis Moritz12 juin 2021 à 14:07

    Merci pour vos commentaires et contributions. Concernant le Qatar la réalité est paradoxale. Le Qatar est la plus grande base américaine au Moyen Orient, crée en 1996. On comprend donc que ses relations avec les Etats Unis sont plus qu'étroites. Par ailleurs on voit egalement quels sont les orientations de ce pays. Ca ne semble pas gêner les Américains plus que ça. C'est ce qu'on appelle de la realpolitique. La main droite ne veut pas forcément savoir ce que fait la main gauche.D.Trump avait d'ailleurs félicité et encensé les dirigeants qataris en 2020.
    Concernant le procès relatif à l'explosion du port, ce qu'on sait :Le juge libanais chargé de l'enquête sur l'explosion qui a ravagé Beyrouth avait ciblé le Premier ministre par intérim et trois anciens ministres, les accusant de négligence pour avoir ignoré les matières hautement combustibles stockées pendant six ans sur le front de mer. Deux des anciens ministres ont déposé une plainte, alléguant que le juge Fadi Sawan avait fait preuve d'un manque de neutralité en inculpant des personnalités importantes ( comprendre dans l'entourage présidentiel) Il a été déchargé du dossier en février 2021. Le tribunal libanais qui a débouté Sawan s'est en outre demandé s'il pouvait être impartial parce que sa propre maison, comme celle de centaines de milliers d'autres Beyrouthins, avait été endommagée par l'explosion. Plus de six mois après l'explosion qui a fait plus de 200 morts et plus de 7 500 blessés. L'enquête officielle est au point mort. La classe politique corrompue et aux alliances douteuses, sans doute aussi partie prenante directement, indirectement ou passivement dans cette affaire, pas plus que dans d’autres - ne souhaite faire la lumière.

    Bien cordialement,

    Le système judiciaire est théoriquement indépendant mais en réalité sous la coupe du pouvoir des clans car sans aucun moyen. Le Liban devient malheureusement un bourbier inextricable, sauf si ceux qui le peuvent donneront « un grand coup de bail »
    Bien cordialement,

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  5. Bonjour,
    la réalité n'est elle pas que le seul pays intéressé à sauver le Liban est Israël?
    Si les pays occidentaux étaient intéressés, ils auraient fait un effort! De leur point de vue il n'y a que des coups à prendre, et paradoxalement, ils sont au chevet d'un pays hostile (l'Iran) et laissent tomber le seul pays qui pourrait être un allié dans la région (en dehors d'Israël)
    C'est plus que de la realpolitique, cela frôle l'autodestruction
    Marc

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