Les Evangélistes, paradoxalement alliés d'Israël par Francis MORITZ

 

LES ÉVANGÉLISTES, ALLIÉS PARADOXALEMENT D’ISRAËL

Til the kingdom comes

Par Francis MORITZ

Evangelistes en prière devant le capitol

          L’élection américaine a eu lieu. Sauf très grande surprise, pour les Évangélistes, la messe est dite. On estime que leur vote représente de l’ordre de 61 millions de voix. Trump a obtenu 71 millions de votes. On constate donc qu’ils représentent une force électorale qu’aucun futur président américain ne peut ignorer. La relation avec Israël a toujours été ambivalente, même ambiguë. C’est ce que le film réalisé par Maya Zinshtein montre et mérite d’être vu pour sa contribution à notre compréhension de ce que représente l’Évangélisme religieux et politique et ses adeptes pour Israël. Au-delà des «avantages» de cette alliance de circonstances, le film analyse tout ce que son idéologie peut l’opposer à Israël.

Maya Zinshtein réalisatrice de Til the kingdom comes

Il ne faut pas s’y tromper, l’amour proche de la dévotion affiché n’est ni gratuit ni fortuit. Il s’appuie sur un postulat religieux qu’on peut ne pas partager : «Le messie attendu par le monde (évangéliste) arrivera sur terre lorsque tous les Juifs seront rassemblés en terre sainte» La référence est biblique (Genèse 12.3), l’Éternel dit à Abraham : «Quitte ton pays, ta patrie et ta famille et va dans le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai ton nom grand et tu seras une source de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux qui te maudiront, et toutes les familles de la terre seront bénies en toi». 

Vidéo sur les Evangélistes

Ce postulat n’exclut pas un volet prosélyte et antisémite.  Car très clairement «quand ce jour arrivera, les Juifs (réunis en terre sainte) seront confrontés à un choix crucial et fatal, ils devront soit se convertir au christianisme, soit périr». Alors les Évangélistes sont-ils uniquement des soutiens de circonstance ou des alliés, si oui pour combien de temps encore ?

          Ce film est très intéressant car il a été tourné par une cinéaste juive, israélienne au milieu des Évangélistes et il nous dévoile leur face cachée. L’accès dont elle a bénéficié reste ambigu car c’est bien dans l’optique de la réalisation de cette perspective. Pensez ! Une Juive, israélienne qui vient propager l’idéologie évangéliste pendant une période électorale. Chacun y trouva sans doute son miel.

On considère qu’aux États-Unis, 25% des électeurs sont membres d’une église évangéliste et que 80% des 61 millions ont voté pour Trump. Ce qui comptera désormais dans la vie politique américaine. Les quatre années écoulées ont vu une division idéologique et économique de la société américaine. Cette fracture ne se refermera pas rapidement. Nombre de sénateurs républicains doivent leur élection à ces votes et probablement la majorité au Sénat. Cet enchainement pèsera également sur la politique américaine au Moyen Orient. La question se pose d’autant plus aux États-Unis, que la communauté juive forte de ses 7 à 8 millions est divisée sur la politique actuelle, en particulier sur la poursuite des implantations.  Globalement le soutien à la droite nationaliste israélienne et aux colons trouve beaucoup plus d’échos chez les évangélistes que les juifs américains.

Le cadre du film : nous sommes dans l’Amérique rurale, les premières images se situent à Bingham town, ville déshéritée dans une ancienne zone minière du Kentucky, où le pasteur Boyd Bingham III précise d’entrée : «Nous commençons notre endoctrinement avec les enfants dès le plus jeune âge», histoire d’être très clair dès le départ. La réalisatrice présente les principaux groupes de pression et leurs dirigeants pour montrer comment leur influence est organisée. Il y a, par exemple, l’Association Internationale des Amitiés entre Chrétiens et Juifs fondée dans les années 1980 par le rabbin Yehiel Eckstein en tant que petit organisme de bienfaisance dont sa fille Yaël a pris la suite, qui collecte des millions de dollars qui sont investis dans des projets humanitaires en Israël - mais aussi dans les colonies et l'armée israélienne.

Pour situer les rapports de certains Juifs américains, on y voit pendant un diner de gala en l’honneur de Tsahal, le rabbin Eckstein s’adressant au multimilliardaire Sheldon Adelson, grand ami de Netanyahou et soutien financier de Trump, leur murmurer «les communautés juives dans le monde n’augmentent pas, mais les Évangélistes progressent». Alors, alliés d’un jour mais pas pour toujours ?  Espérons que le Messie retardera son arrivée au moins pour la génération actuelle.

Les groupes évangéliques appartenant à la droite religieuse visent à transformer la société américaine en encourageant une politique qui favorise principalement la liberté religieuse du point de vue du christianisme et de lois inspirées de la Bible. De fait, la mouvance d’un nationalisme chrétien se fait ressentir par le biais du Blitz project une initiative peu connue qui a été lancée en 2015. Depuis 2017, plus de 70 projets de lois ont été introduits, accordant aux individus le droit de discriminer les personnes LGBTQ, de forcer les écoles à afficher sur leurs murs le slogan In God We Trust, et de chercher à dicter les droits des femmes en matière de sexualité et de reproduction.

Ces groupes n’ont pas manqué de rappeler que le vice-président Mike Pence et le secrétaire d’État Mike Pompeo sont issus de leurs rangs. La réalisatrice leur présente aussi des séquences filmées dans les territoires, leur montre les conséquences dramatiques de la politique pour les Palestiniens et les coûts en vies humaines. Pour mémoire, 58 Palestiniens furent tués dans les manifestations contre la relocalisation de l'ambassade américaine et 2.771 ont été blessés. Mais la situation sur place, le droit international et la présence dans ces territoires apparaissent hors des préoccupations des Évangélistes.

En résumé, Maya Zinshtein propose un regard unique sur la vision du monde des chrétiens américains et ne laisse pas de doute sur ce qu'elle pense de tout cela. À terme, Israël doit prendre ses distances avec ce groupe dont les intentions s’inspirent directement de l’illustre Machiavel, pour qui la fin justifiait les moyens. Ces amis d’un jour, risquent de se retourner contre le monde juif un jour ou l’autre si les circonstances changent. Il ne faudrait pas que le confort de l’illusoire alliance actuelle soit perçue comme la réalité, rien ne serait plus nocif dans un futur proche !