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jeudi 19 novembre 2020

L'adieu à l'Artsakh par Albert NACCACHE

 

L’ADIEU À L’ARTSAKH

Chronique d’un papy flingueur Albert NACCACHE



Le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian

La défaite

L’annonce d’un cessez-le-feu accablant, qui consacre les victoires militaires azerbaïdjanaises dans le Haut-Karabagh après six semaines de combats meurtriers, est un revers majeur pour l’Arménie. Sans l’intervention de Poutine, qui a sifflé la fin de partie, la victoire de l’Azerbaïdjan sur les Arméniens aurait été totale, après la chute de Chouchi, joyau et haut lieu de la culture arménienne avec sa cathédrale de Ghazanchetsots. 



Cathédrale de Ghazanchetsots

       La prise de Chouchi, ville stratégique située à 15 kilomètres de Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh, a sonné le glas des espoirs arméniens. D’immenses convois de civils fuient désormais. Des milliers d’habitants du Haut-Karabagh (femmes, enfants, vieillards) se réfugient en Arménie voisine. Sur les 150.000 habitants du Haut-Karabakh, 90.000 personnes sont déjà réfugiées en Arménie. Les civils sont les grands perdants : certains ont perdu la vie, d’autres des proches, et pour la plupart leur maison et tous leurs biens.  Les Arméniens ne reviendront pas vivre dans leurs maisons, sauf un immense mouvement patriotique peu probable aujourd’hui. Cette guerre aurait fait plus de 5.000 morts avec plus de 1.300 morts arméniens (le nombre de morts azerbaïdjanais n’est pas indiqué).

Des portraits d’Arméniens morts dans le conflit au Haut-Karabakh

L’accord de cessez-le-feu

Nouvelles lignes

L’accord de cessez-le-feu au Haut-Karabakh signé le 9 novembre 2020 à Moscou, entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sous l’égide de la Russie - maître du jeu dans le Caucase du Sud- entérine la victoire militaire azerbaïdjanaise. L’Azerbaïdjan annexera les parties de la République d’Artsakh capturées par son armée, le nord, le sud et une partie de l’est du Haut-Karabagh. Des casques bleus russes seront stationnés dans la partie restante. En effet, la Russie déploie sur place 2 000 soldats de la paix ainsi que 90 blindés pour garantir la sécurité des Arméniens du Karabagh, s’il en reste ! Les soldats russes seront présents sur la dernière ligne de contact du front et le long du corridor de Latchine qui relie le Karabagh à l’Arménie.

Karabagh : Une colonne de véhicules blindés russes


Mais le principal gain pour Ankara se trouve dans la clause 9 de l’accord de cessez-le-feu, qui engage l’Arménie à mettre en place un «corridor» pour permettre tous les déplacements de véhicules à travers son territoire entre sa frontière avec l’Azerbaïdjan et l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan qui est frontalière de la Turquie. Cet axe qui longera la frontière iranienne coupera l’Arménie de l’Iran, son principal partenaire énergétique. Ainsi se réalise en partie le rêve néo-ottoman de jonction des territoires turcs et azerbaidjanais. Le bouchon arménien a sauté ! De sorte qu’il existe désormais une liaison terrestre directe d’Istanbul à la mer Caspienne et, au-delà, vers les régions turcophones d’Asie centrale : Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizistan. C’est la fête à Bakou.

Scènes de liesse à Bakou


La nouvelle a déclenché des scènes de joie en Azerbaïdjan, le président Ilham Aliev se réjouissant d'une «capitulation» arménienne. Tout le pays a vécu une authentique ferveur populaire.  Extrait de la déclaration de victoire du président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, à la télévision : «Nous avons forcé [le premier ministre arménien] à signer le document, cela revient à une capitulation. J’avais dit qu’on chasserait [les Arméniens] de nos terres comme des chiens, et nous l’avons fait».

Et la colère à Erevan

Des manifestants devant le Parlement arménien à Erevan


Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a annoncé la signature «incroyablement douloureuse pour moi et pour notre peuple» du cessez-le-feu. Il avait en effet le choix entre le cercueil ou la valise et a opté pour la valise. Les Arméniens constatent avec amertume leur échec. À Erevan, capitale de l’Arménie, le siège du gouvernement et le Parlement ont été envahis par des émeutiers en colère. Les partis d’opposition ont qualifié cet accord de «page la plus honteuse de l’histoire arménienne» et réclamé la démission de Pachinian.

 

L’Ouest est marginalisé

 

La France et les Etats-Unis, qui co-président avec la Russie le «groupe de Minsk», constitué depuis plus de vingt-cinq ans pour mettre un terme au conflit, seront restés aux abonnés absents au cours de cet épisode crucial. La France qui se dit très liée à l’Arménie, a été inexistante malgré ses grandes déclarations d’amitié. Plus surprenant encore, le mutisme des chrétiens de France comme CDM Chrétiens de Méditerranée ou L’Oeuvre d’Orient… qui sont restés bien silencieux. Mais Erdogan ne chôme pas et annonce que «L’appel à la prière sera de nouveau lancé» à Choucha (nom azéri de Chouchi). Dans la Cathédrale de Ghazanchetsots ? transformée en mosquée comme Sainte Sophie d’Istanbul. 

L’Artsakh, terre arménienne depuis des millénaires méritait pourtant de vivre séparée de l’Azerbaïdjan. Son petit peuple martyrisé il y un peu plus d’un siècle, par les maîtres de la Turquie s’est battu à nouveau pour sa survie. À Chouchi, à l'été 1919, 700 chrétiens de la ville furent massacrés par les Tatars. Puis du 22 au 26 mars 1920, toujours à Chouchi, environ 20.000 Arméniens furent massacrés et les quartiers arméniens entièrement détruits.



Dans mon ouvrage – «Suis-je le gardien de mon frère ? La tragédie des Chrétiens d’Orient» (aout 2019) qui a fait l’objet d’une recension de Jacques Benillouche sur ce blog, je décris les trois importantes communautés chrétiennes d’Orient qui ont survécu à ce jour, en Arménie au Liban et en Égypte. Les deux premières sont en danger aujourd’hui.


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