BIÉLORUSSIE, LE PRIX DE LA DÉMOCRATIE
Par Francis MORITZ
Maria koleshnikova
La
répression se poursuit. Maria Koleshnikova, seule à ne pas s’être réfugiée en
Ukraine a été arrêtée et incarcérée à Minsk. Son avocate L. Kasak indique
qu’elle est accusée de divulgations de secrets et de tentative de coup d’État,
qu’elle subit des menaces physiques et des pressions. Maxime Snak, juriste
membre du comité, a également été arrêté, tandis que l’écrivaine prix Nobel
Svetlana Aleksievitch est actuellement hors du pays.
Dans le
même temps, Minsk a transmis à l’OSCE et non à l’UE, une proposition pour
résoudre la situation ; le président Loukachenko martèle que la voie du
changement passe uniquement par un référendum en 2022 en vue d’une réforme
constitutionnelle. Dans une interview aux médias russes et après son
entretien de lundi 14 avec Vladimir Poutine, il a même laissé entendre qu’il
serait peut-être resté un peu trop longtemps au pouvoir…, qu’une nouvelle
élection pourrait être envisagée. Il s’agirait notamment de limiter le
pouvoir présidentiel vis à vis du gouvernement et du parlement et de renforcer
le système des partis, puis d’organiser de nouvelles élections.
Ces
propositions ont déjà fait l’objet de discussions entre les ministres des
affaires étrangères biélorusse et russe à Moscou le 3 septembre, dans l’attente
de la rencontre des deux présidents. On sait clairement qu’aucune proposition
ne peut aboutir sans accord de la Russie. Les opposants n’y voient cependant
pas un véritable changement démocratique, car l’autocrate de Minsk évoque des
réformes depuis 2016, sans suite.
Dans le
même temps, la chancelière Merkel, qui préside l’UE, manœuvre dans un contexte
complexe et peu favorable. Déjà outrée par l’attitude de Poutine, l’affaire
Navalny l’exaspère encore un peu plus. En accusant la Russie d’être responsable
de l'empoisonnement, le président français, qui avait entamé un processus de
rapprochement avec le président russe, a sérieusement refroidi l’atmosphère.
Symétriquement le bon fonctionnement du groupe de Normandie pour régler le
conflit du Donbass semble à l’arrêt car c’est le président russe qui a le pied
sur le frein. Ce n’est sans doute pas un hasard si des tirs sont échangés dans
la zone grise, au moment où la Russie a repris à Vienne des négociations avec
les États-Unis sur le traité de non-prolifération. Alors, quand on connaît la
prédilection du président Trump pour les opérations de troc, tout est possible.
Réaliste,
l’autocrate de Minsk a modifié sa stratégie. Il est passé d’une répression
globale et brutale à une action très ciblée, contre les principaux
responsables. Son objectif est de les intimider, les menacer et les pousser à
s’exiler afin de décapiter la contestation pour la réduire à minima.
Officiellement, A. Loukachenko et V. Poutine considèrent que les manifestations
sont inspirées et organisées par des forces extérieures et rappellent qu’ils
sont liés par un accord de défense mutuelle. Ce qui constitue un signe fort de
soutien au régime de Minsk. Les deux dirigeants présentent les événements comme
un conflit géopolitique avec l’OTAN dans lequel Minsk voulait entraîner le
Kremlin qui semble y souscrire. Moscou ne peut accepter la forme de
démocratisation revendiquée par la contestation. Le soutien russe qui tend d’ailleurs
à se renforcer en est la démonstration, car V. Poutine, regarde ce conflit plus
comme une question de politique intérieure qu’une affaire étrangère. Les dix
millions de Biélorusses ne veulent, ni ne peuvent, se détourner de la Russie.
Les deux pays sont imbriqués depuis toujours.
Dans le
même temps, l’UE n’agit qu’en soft power, sans stratégie affirmée, elle est aux côtés de la contestation et
propose ses services pour établir des négociations. Elle rejette le
résultat de l’élection, condamne la répression ciblée et promet des
sanctions. C’est le contraire de la non-ingérence proclamée. Ce qui n’est
pas sans poser de nouveaux problèmes, dont les effets réels restent à
démontrer. Les seules véritables sanctions qui vaillent contre la Russie, seraient
d’abord l’arrêt des fournitures de gaz, ensuite l’interruption du projet de
gazoduc Nordstream2. L’Allemagne et l’UE peuvent elles se le permettre ?
Une
telle décision n’est pas à la portée du conseil européen, vu le manque de
cohésion et de leadership actuel et les très nombreux sujets que l’UE ne traite
déjà pas. Régionalement, les échecs rencontrés sur les dossiers de la Crimée et
du Donbass doivent nous rappeler que sur ce terrain, le tsar du Kremlin reste
le maître des horloges. Toutes ces manœuvres donnent l’impression que, faute de
cohérence et d’unanimité, l’UE se cherche et recherche à l’extérieur des
dossiers où elle pourrait jouer un rôle, faute de pouvoir s’attaquer aux sujets
internes. Le drame de Lesbos et le G7 Méditerranée, qui voient la Grèce membre
de l’UE et la Turquie, encore membre de l’OTAN s’affronter, sont des
révélateurs de cette impuissance et trompeuse impatience.
Enfin,
lundi 14 Loukachenko a rencontré Poutine à Sotchi pour finaliser la position
qu’il sera contraint d’adopter, prix de sa survie personnelle. Le moment de
payer est arrivé. Il a été obligé de consentir à des compromis, dont une
forme d’alliance-intégration avec la Russie et l’organisation d’une réforme
constitutionnelle. Sans doute aussi l’acceptation d’une présence
militaire russe sous une forme qui reste à définir pour ne pas heurter les
citoyens, respectivement alimenter l'inquiétude des voisins, base
d'entraînement mutuelle par exemple, Officiellement la Russie a consenti un
prêt de 1,5 milliard de dollars et donné quelques conseils. Nul n’aura la
naïveté de croire que le tsar du Kremlin a octroyé ce prêt sans les
contreparties qu’il réclamait depuis longtemps. Le maître des échecs du Kremlin
est plus habile que le joueur de poker de Minsk. Il serait temps que le Quai
d’Orsay renouvelle ses références.
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