ISRAËL ET LA FRANCE: DES RELATIONS TUMULTUEUSES
Nous nous sommes tant aimés
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Par Jacques BENILLOUCHE
Israël et la France ont constitué un véritable couple au vrai sens du terme, avec ses dérives et ses turbulences. Ils sont passés par toutes les phases : le flirt, l’idylle, l’amour fou, la passion, la querelle, la haine, l’indifférence, la séparation, la réconciliation et le divorce. L’histoire de ce couple a progressivement pris l’allure d’un véritable thriller. Voici la première partie de cette longue histoire.
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L’idylle
Israël doit sa création à l’affaire
Dreyfus qui joua le rôle de déclic salutaire en suscitant l’éveil juif. Le
journaliste autrichien Theodor Herzl, sensibilisé et révolté par l’accusation,
exposa son rêve d’un État juif qui fut concrétisé par David Ben Gourion le 14
mai 1948. La France avait apporté sa contribution minimum à la création de cet
État.
En ce
temps, l’allié principal d’Israël était l’URSS qui apporta son soutien
psychologique et moral, ses dogmes et son idéologie et qui a confié aux pays de
l’Est le soin de fournir des armes et des munitions. L’URSS était alors
impressionnée par la vivacité du socialisme israélien qui avait trouvé une
application concrète sur le terrain. Les pionniers de l’époque, tous issus des
pays de l’Est, étaient imprégnés de l’idéologie marxiste.
Gromyko |
C’est ce qui avait poussé Andreï Gromyko
à déclamer son discours, en 1948, à la tribune de l’ONU avec un magnifique
vibrato : «Pour ce qui concerne l’État juif, son existence est un
fait, que cela plaise ou non. La délégation soviétique ne peut s’empêcher
d’exprimer son étonnement devant la mise en avant par les États arabes de la
question palestinienne. Nous sommes particulièrement surpris de voir que ces
États, ou tout au moins certains d’entre eux, ont décidé de prendre des mesures
d’intervention armée dans le but d’anéantir le mouvement de libération juif.
Nous ne pouvons pas considérer que les intérêts vitaux du Proche-Orient se
confondent avec les explications de certains politiciens arabes et de
gouvernements arabes auxquelles nous assistons aujourd’hui».
La France a eu du mal à digérer
l’indépendance d’Israël au point de mettre plusieurs mois avant de reconnaître
le nouvel État. Les États-Unis et la Russie l’ont fait, le 15 mai 1948, dès le
lendemain de la résolution de l’ONU. Le président Truman avait signé lui-même
cette reconnaissance dans une courte lettre où les États-Unis reconnaissaient,
de jure (de droit) et non de facto (de fait), le gouvernement provisoire.
En revanche, les relations diplomatiques
avec la France ne furent établies que le 24 janvier 1949, sept mois plus tard,
par une lettre conditionnelle, signée par un fonctionnaire du Ministère des
affaires étrangères : «J’ai l’honneur de vous faire connaître que le
gouvernement de la République française a décidé de reconnaître le Gouvernement
provisoire d’Israël comme gouvernement de fait. Cette décision ne préjuge pas
de la délimitation définitive par les Nations-Unis du territoire sur lequel il
exercera son autorité».
Déjà à ce
moment, le Quai d’Orsay, dont certains membres étaient prêts à voter contre la
résolution, refusait la création d’un État juif. Dans une position médiane, il
proposa que la France s’abstienne lors du vote historique du 29 novembre 1947 à
l’ONU. Le ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, sensible aux
arguments de son administration, tenait à préserver les relations avec la Syrie
et le Liban. Mais les pressions conjointes du nouveau président du
Conseil, Robert Schuman, et de l’ancien chef du gouvernement provisoire, le
très influent Léon Blum, avaient fait basculer le vote de la France, en
dernière minute, au grand dam de certains diplomates du Quai d’Orsay, dont
certains n’avaient pas hésité à qualifier leur propre pays de «république
bananière».
Certes l’hésitation de la France pouvait
se justifier alors car elle jugeait d’un mauvais œil les liens privilégiés
d’Israël avec le bloc communiste qui fournissait alors la majorité des armes
utilisées contre le mandataire britannique, l’allié qui avait permis la
libération de la France. Par ailleurs, l’État juif était pratiquement
considéré, par son idéologie communiste, comme un satellite de l’URSS. Le
danger d’être catalogué comme un pays du rideau de fer n’avait pas échappé au
visionnaire David Ben Gourion. Il opéra un changement stratégique brutal en
appuyant les États-Unis contre la Corée (1950-1953) soutenue par l’Urss. Ce
soutien sonna le glas des relations avec les pays de l’Est et mit Israël dans
une situation d’isolement dramatique au moment où les besoins en armement
devenaient vitaux face aux raids meurtriers menés par les fédayins
palestiniens.
Les jeunots Peres et Dayan
Le problème algérien et Nasser vinrent à
point nommé pour orienter une frange politique française, pas forcément
socialiste, vers le soutien au sionisme. Vincent Auriol, premier président de
la IV° République, fut l’instigateur en 1954 de la signature d’un important
contrat d’armement entre le jeune Shimon Peres et le ministre Catroux,
préfigurant ainsi une alliance tacite contre Nasser. Le président justifia
ainsi sa décision : «En ce qui concerne la question palestinienne, la
donnée fondamentale pour nous est que nous ne pouvions pas admettre la défaite
d’Israël. Une victoire arabe se serait traduite par un accroissement de
l’agitation en Afrique du Nord. Un État juif au centre du monde arabe était
pour nous une garantie de sécurité et d’équilibre».
Bourgès-Maunoury |
Le colonel Nasser avait fait son coup
d’État le 23 juillet 1952 avec l’idée de devenir le champion du panarabisme.
Depuis 1954, les Français étaient embourbés dans la guerre d’Algérie. Guy
Mollet, président du Conseil, et Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de la
Défense, étaient persuadés que le cœur du FLN était au Caire et qu’en abattant
Nasser, ils pouvaient mater la révolte algérienne. La nationalisation du canal
de Suez, un véritable camouflet, persuada les Anglais et les Français que des
mesures militaires étaient inéluctables. Ils se tournèrent alors vers Israël
car ils savaient que le jeune et bouillant chef d’État-Major de 41 ans, Moshé
Dayan, rêvait d’en découdre avec les fedayins qui traversaient la frontière en
apportant avec eux la mort dans les kibboutzim des frontières.
Ainsi,
bien avant la crise de Suez, du 11 avril à la mi-mai 1956, des contrats avaient
été signés à l’insu du ministère français des affaires étrangères. De cette
période idyllique date le début de l’animosité avec le Quai d’Orsay qui
abritait des diplomates issus d’une vieille aristocratie catholique,
profondément pro-arabe, parfois antisémite. Le ministre de la Défense
Bourgès-Maunoury avait ainsi rapporté qu’en «raison de nos litiges et
nos chicanes avec le Quai d’Orsay, il fut convenu que, dans la politique
relative à Israël, l’administration du Quai n’y serait en aucun cas mêlée». Cette
mise à l’écart avait été mal ressentie par le Quai d’Orsay qui n’eut de cesse
que d’obtenir sa revanche.
Le 28 septembre 1956, un bombardier
français conduisit en France une délégation secrète composée de Moshé Dayan,
Shimon Peres, Golda Meir et Moshe Carmel, le ministre des transports. Le 1er
octobre 1956, ils furent reçus dans l’appartement de Louis Mangin, conseiller
de Bourgès-Maunoury, parce que le chef d’état-major français craignait que le
secret soit éventé : «je ne peux pas recevoir dans mon bureau le
général Dayan, grand mutilé de guerre; il porte un bandeau noir sur l’œil
gauche et il n’est pas facile à camoufler».
Tandis que Peres, Dayan et même Begin, de passage «par hasard» à Paris, s’affichaient dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés, le Général Beaufre, aidé de l’amiral Barjot, planifiait la campagne de Suez de 1956 qui pris le nom de code «Kadesh». Le général Challe, qui se distingua plus tard en Algérie, raccompagna Dayan en Israël, ce qui leur permit de tisser, durant le voyage de retour, des liens étroits professionnels.
Moshé Dayan |
Tandis que Peres, Dayan et même Begin, de passage «par hasard» à Paris, s’affichaient dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés, le Général Beaufre, aidé de l’amiral Barjot, planifiait la campagne de Suez de 1956 qui pris le nom de code «Kadesh». Le général Challe, qui se distingua plus tard en Algérie, raccompagna Dayan en Israël, ce qui leur permit de tisser, durant le voyage de retour, des liens étroits professionnels.
Mais les dirigeants français étaient
décontenancés par l’équipe de «jeunots» israéliens conduite
par Moshé Dayan, 41 ans, et le gamin Shimon Peres, 33 ans, alors que l’état-major
français comptait des vieux militaires illustres qui s’étaient distingués sur
les champs de bataille de la Seconde Guerre Mondiale. Ils exigèrent donc
d’avoir la caution personnelle du premier ministre israélien qui se rendit
secrètement à Sèvres, le 21 octobre 1956, avec Moshe Dayan, «le borgne
qui fait peur aux arabes», Golda Meir et Shimon Peres pour rencontrer
Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de la Défense. Guy Mollet, le chef du
gouvernement, les rejoignit un peu plus tard pour finaliser l’expédition
militaire de Suez.
Dans une atmosphère pesante, Ben
Gourion, qui n’était pas un va t’en guerre, estimait à juste titre que le
conflit avec Nasser concernait d’abord la France et la Grande-Bretagne. Il
hésita à entrer en guerre sauf s’il recevait des garanties et des
contreparties. Dans le dos du chef de la diplomatie française qui avait été
écarté, Ben Gourion s’était laissé persuader, le 21 octobre, de lancer les
paras de Dayan dans le Sinaï en échange d’un engagement de la France de donner
la bombe nucléaire à Israël. Les Israéliens obtinrent aussi une couverture
navale et aérienne de leur territoire grâce à plusieurs avions français, peints
aux couleurs israéliennes, mais pilotés par des aviateurs français jusqu’en Israël.
C’est à cette occasion qu’une étroite
coopération franco-israélienne s’amorça grâce aux efforts de Shimon Peres qui
réussit à acquérir, auprès de la France, le premier réacteur nucléaire de
Dimona et, auprès de l’avionneur français Dassault, le Mirage III, un avion de
combat à réaction le plus évolué de l’époque. Ben Gourion accepta de donner sa
caution personnelle à l’expédition éclair qui devait mener les troupes
israéliennes, le 29 octobre, sous la conduite du général Dayan et d’un jeune
colonel de 28 ans, Ariel Sharon, jusqu’au Canal de Suez avec la protection
aérienne franco-anglaise. L’opération n’ira pas à son terme car le président
Eisenhower, à peine élu et soumis à la menace nucléaire russe, préféra faire
plier les alliés en les obligeant à évacuer l’Égypte.
Fin de l’idylle
L’idylle franco-israélienne dura dix ans
dans l’intérêt des deux pays, alors dirigés par des socialistes, à la fois pour
le développement des échanges commerciaux et pour la collaboration des
industries de haute technologie. L’entente se poursuivit pour atteindre son
apogée à l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle qui décida d’y mettre fin.
Couve de Murville |
Les relations d’Israël avec la France
durant les septennats du général de Gaulle, de Georges Pompidou et de Valéry
Giscard d’Estaing sont faciles à analyser, il n’y en eu pas. Dès son arrivée en
1958, le général de Gaulle donna l’ordre à son ministre des Affaires
étrangères, Couve de Murville, de vider le Quai d’Orsay de ses éléments
socialistes et pro-Algérie française. Il décréta un embargo sur les armes en
pleine guerre de Six-Jours. Son successeur Georges Pompidou le prolongea.
L’incident de la fuite des cinq vedettes de Cherbourg, commandées et payées par
Israël, donna le coup de grâce aux relations idylliques. Le président Giscard s’était
rapproché de l’Iran en acceptant sur le sol français, en octobre 1978,
l’ennemi du Shah, l’ayatollah Khomeiny, avec l’espoir d’être payé en
retour en pétrole devenu rare après la guerre du Kippour de 1973.
Les mandats de François Mitterrand puis
de Jacques Chirac avaient permis un rééquilibrage de la politique française
vis-à-vis d’Israël. D’ailleurs François Mitterrand avait consacré sa première
visite officielle en Israël. Selon les sondeurs, la défaite de Giscard en 1981
avait été due au vote massif des amis d’Israël bien que le vote juif,
contrairement aux États-Unis, n’existe pas en France. François Mitterrand
s’était entouré de nombreux ministres juifs. Il avait des relations
particulières et personnelles avec le premier ministre de droite, Menahem
Begin. Si François Mitterrand avait beaucoup insisté sur l’attachement de la
France à la reconnaissance et à la sécurité d’Israël, sa politique était
cependant empreinte de grande continuité. Le gouvernement avait les yeux fixés
sur la ligne de la balance commerciale extérieure, axée sur la diversification
des échanges. Son ministre des Affaires étrangères pro-arabe Claude Cheysson
avait favorisé des contrats avec les pays arabes et un rapprochement avec la
Syrie et l’OLP (Organisation de libération de la Palestine).
Arafat et l’OLP
Les Israéliens, qui attendaient beaucoup
de François Mitterrand, furent déçus du soutien de Paris aux revendications
nationalistes palestiniennes. Il soutenait en effet le droit des Palestiniens à
un État et s’était posé en protecteur de l’OLP, lors de l’opération Paix
en Galilée lancée par Israël contre le Liban en 1982. Pendant
l’opération, grâce à la médiation française, Yasser Arafat et les dirigeants de
l’OLP avaient pu s’exiler en Tunisie. Mitterrand entreprit un resserrement des
relations avec l’organisation en invitant notamment Yasser Arafat à Paris en
mai 1989 lui donnant ainsi une véritable légitimité. Mais cette proximité avec
l’OLP ne lui a pas permis de jouer un rôle central dans le processus de paix
d’Oslo commencé en 1993, durant lequel la France est restée exclue par la
volonté israélienne.
La
révélation du passé trouble du président sous le gouvernement de Vichy provoqua
de nouvelles tensions non seulement avec Israël mais également avec la
communauté juive de France.
à suivre…
Cher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerNous voilà, une fois de plus, conviés à retourner soixante-dix ans en arrière !
Mais dans quel intérêt pour Israël ou pour la France, puisque les Israéliens et les Français savent bien qu'aucune décision d'importance ne peut être prise ni par Israël, ni par la France, sans qu'elle n'ait obtenu l'aval de Washington ?
Très cordialement.