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mardi 18 août 2020

Mohamed Dahlan, le Palestinien des Emirats


MOHAMED DAHLAN, LE PALESTINIEN DES ÉMIRATS

Par Jacques BENILLOUCHE
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MbZ et Dahlan

          L’ouverture des relations entre les Émirats et Israël vont remettre au devant de la scène  Mohamed Dahlan qui n’a jamais abandonné son projet de prendre la direction de l’Autorité palestinienne. Né en 1961 dans le camp de réfugiés de Khan Younes à Gaza, il a été emprisonné onze fois entre 1981 et 1986 par les Israéliens pour son appartenance au Fatah. Il a appris l’hébreu pendant son incarcération ce qui facilita plus tard ses relations directes avec ses adversaires. Il était revenu à Gaza avec Yasser Arafat en 1994, en tant que chef des Forces de Sécurité Préventive de la bande de Gaza ce qui lui donnera une expertise sécuritaire.



Certes on ne l’entend pas souvent mais, sans gesticulations politiques, il est l’homme le plus courtisé par de nombreux pays arabes, mais aussi par les Américains et les Israéliens. On l'accuse d’être l’homme du Mossad et de la CIA mais il s’en défend bien sûr. L’Autorité palestinienne l’a exclu du Fatah en 2011 et l’a contraint à s’exiler aux Émirats Arabes Unis où il est devenu l’un des conseillers du souverain MbZ et son conseiller le plus écouté. S’il se fait discret sur la situation en Cisjordanie, il intervient sans cesse dans les forums internationaux sponsorisés par les grands pays arabes. Il est le Palestinien le plus présent sur les scènes internationales en raison de son charisme et de son expertise sécuritaire et diplomatique.
            Dahlan avait participé le 19 novembre 2015 à une conférence sur la sécurité tenue à Bruxelles sous les auspices de l'OTAN : «Cooperative security & interconnected threats». Il avait pris la parole pour attaquer les mouvements islamiques et pour accuser la Turquie de soutenir l'État islamique. Il avait ainsi anticipé la situation actuelle. En décembre 2015, il avait aussi participé à la préparation du Forum culturel international à l’occasion du 70ème anniversaire de l’UNESCO. Ce forum, qui s’était tenu à Saint-Pétersbourg, a été l’occasion pour lui d’être aux côtés du président russe Vladimir Poutine lors de son ouverture.

            Le journal turc Gercek Hayat l’avait accusé d’avoir fomenté un coup d'État contre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avec l’aide des Émirats Arabes Unis (EAU), soutenus par la Russie, du 15 au 16 juillet 2016. Enfin le 13 mars 2016, il avait participé au Caire à la conférence constitutive du mouvement d’opposition syrien, Ghad al-Suri (Lendemain de la Syrie) présidé par Ahmed Jarba et d'autres opposants syriens.
Dahlan n’est plus le chef d’une bande de miliciens palestiniens à Gaza ; il a acquis une stature internationale. Les relations étroites de Dahlan avec les Émirats Arabes Unis et son important carnet d’adresses lui permettent d’agir en tant que diplomate de haut niveau, capable de transcender la cause purement palestinienne. Il a ainsi pris une envergure internationale qui lui donne une crédibilité dépassant de loin sa seule influence à la Mouquata.
Dahlan, Al-Sissi et MbZ

          L’Autorité palestinienne a beaucoup perdu en l’éliminant de sa direction. Mahmoud Abbas aurait pu se crédibiliser lui-même, comme l’avait fait Arafat, en lui donnant une audience internationale. D’ailleurs à défaut, Dahlan a acquis un grand poids politique en conseillant, sur le plan sécuritaire, le Cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyane (MbZ) des Émirats Arabes Unis qui viennent d’ouvrir des relations diplomatiques avec Israël.
            Usant aussi de sa proximité avec le président égyptien Sissi, il peut dépasser le seul niveau de la scène palestinienne en développant des relations apaisées avec tous les acteurs modérés de la région, ceux qui pourraient compter dans une ouverture diplomatique avec Israël. Il est certainement intervenu auprès de Yossi Cohen, patron du Mossad, pour concrétiser les relations entre MbZ et Israël. 
       L’Europe n’est pas insensible au personnage qui rassure parce qu’il évite de parler de lutte armée et d’éradication de l’État juif. Il a gardé les faveurs des jeunes du Fatah et a maintenu des relations étroites avec le prisonnier palestinien le plus célèbre, Marwan Barghouti, et avec l’ancien premier ministre Salem Fayyad, sans compter les membres du Comité central qui n’osent pas afficher au grand jour leur préférence pour éviter de subir des sanctions allant jusqu’à l’exclusion des postes de direction. La stratégie de Dahlan est d’éviter l’affrontement direct avec Mahmoud Abbas sans pour autant renoncer à son ambition palestinienne.
Avec Sharon

            Des Israéliens, des deux bords et des plus célèbres, souhaitent le voir remplacer le président palestinien. Avigdor Lieberman l’avait rencontré de manière secrète dans plusieurs capitales européennes, à Paris en particulier en 2015. Amos Harel de Haaretz avait estimé que  «Dahlan est proche du ministre de la défense Avigdor Lieberman. Il serait même la carte secrète aux mains de Lieberman qui l’utilisera le moment opportun». En janvier 2016, Yossi Beilin, architecte des accords d’Oslo avait été certain que Dahlan était "apte à faire un bon président car il est pragmatique et intelligent".
Pour constituer un groupe de partisans amis parmi la population de Palestine il distribue discrètement, en projets de charité, une partie de ses millions de dollars. Il n’a jamais fait mystère de son opposition aux islamistes d’une manière générale et aux Frères musulmans en particulier et cela ne date pas d’hier. Quand il était étudiant à Gaza en 1981, il avait déjà organisé la lutte contre la Fraternité. A la tête des services de sécurité de Gaza, il avait arrêté entre 1995 et 2000 des centaines de membres du Hamas impliqués dans des opérations militaires contre Israël. Mais, pragmatisme oblige et face aux rivalités Fatah-Hamas, il vient de renouer une alliance avec le Hamas contre Mahmoud Abbas afin d’augmenter ses chances d’accéder au poste suprême.
            Il a été l’instigateur de l’union des dirigeants arabes contre l’Iran qui craignent l’expansion des chiites prêts à attiser la lutte armée pour étendre leur zone d’action et d'influence et pour parvenir rapidement aux pays du Golfe. Ils ont donc trouvé donc un chef d’orchestre sécuritaire capable de neutraliser le danger.  

            Dahlan, malgré son âge relativement jeune, 59 ans, a des états de service qui font de lui un dur tout en étant un bon diplomate. Il fut impliqué dans les négociations secrètes qui menèrent aux Accords d'Oslo en 1993 et à la création de l’Autorité palestinienne. Ces accords l’avaient hissé au poste de conseiller sécuritaire de Yasser Arafat ; l’homme des bons et mauvais coups. Il fut l’homme fort à Gaza où il disposait de troupes acquises à sa personne. Dans ces fonctions, il avait tissé des liens étroits avec les officiers de Tsahal chargés de la coordination sécuritaire, qui l’avaient introduit auprès des Américains qui ont vite compris l’usage qu’ils pouvaient en faire. Il fut d’ailleurs accusé d’avoir émargé à la CIA.
            Il fut contraint à l’exil en 2011, sur les ordres de Mahmoud Abbas qui l’avait accusé de corruption alors qu’en fait il s’agissait de se débarrasser d’un concurrent gênant. Dahlan profita de cette liberté forcée pour rencontrer tous les dirigeants arabes avant de s’installer aux Émirats Arabes Unis. Ses voyages lui ont appris à jouer le rôle de médiateur dans des conflits inter-arabes, au Yémen en particulier où on lui a prêté la direction d’opérations à Taez. Ainsi en mars 2015, il avait joué un rôle majeur de médiateur dans l'accord signé par l’Égypte, l'Éthiopie et le Soudan concernant la construction en Éthiopie du plus grand barrage d’Afrique avec deux centrales hydro-électriques. Le président égyptien al-Sissi lui avait assigné la mission épineuse de négocier ce projet Renaissance Dam. Il était même intervenu auprès du colonel Kadhafi à la demande des Occidentaux. Très présent au Liban dans les camps palestiniens, il y dispose toujours d’une aura acquise au combat contre Israël.
            Ces contacts tous azimuts font de lui l’homme de la situation, capable de faire consensus pour remplacer Mahmoud Abbas arrivé au terme de son mandat. Les États-Unis sont prêts à miser sur lui et ils n’en font pas mystère. En 2003 déjà, le secrétaire d’État Colin Powell l’avait remarqué en déclarant au président syrien Bachar el-Assad : «Il faut que Mahmoud Abbas montre son potentiel en tant que dirigeant à côté de Mohamed Dahlan afin de mettre fin aux activités terroristes».
            Les Israéliens ne sont pas indifférents à Mohamed Dahlan avec qui ils pourraient s’entendre. D’ailleurs ils envisagent avec l’Égypte, l’Arabie saoudite et la Jordanie une action politique conjointe pour porter Dahlan à la présidence de l’Autorité le moment venu.
            La position de Dahlan, complexe, génère cependant certaines inimitiés. En tant qu’irréductible opposant aux Frères musulmans, il est très présentable auprès des Égyptiens mais suspect vis-à-vis du Qatar, fervent soutien du Hamas. Il ne voit pas Erdogan d’un bon œil dans sa course au leadership arabe et ce dernier le lui rend bien puisqu’il l’accuse d’avoir financé le coup d’État raté qu’il aurait monté avec l’opposant Fethullah Gülen.
            Enfin, on attend de Dahlan une méthode pour neutraliser l’Iran qui représente autant la crainte d’Israël que des pays arabes. Il s’agit avant tout de freiner l’introduction de l’Iran au Proche-Orient via le Hamas et pour cela les Égyptiens sont pour la méthode forte. Ils sont prêts à aider Dahlan à reprendre pied dans son ancien fief à Gaza où il a gardé beaucoup d’amis qui lui sont redevables. Avec l’aide de l’armée égyptienne, le soutien financier de l’Arabie saoudite et des Émirats et l’aide tacite du Fatah et de la Jordanie, Dahlan serait en mesure de mettre fin au régime du Hamas à Gaza pour affaiblir l’Iran et l’axe chiite en Syrie. C’est d’ailleurs l’objectif des Israéliens selon le général israélien Amos Yadlin : «l’intérêt d’Israël réside dans la destruction de l’axe chiite en Syrie, et l’affaiblissement de l’Iran et du Hezbollah. Nous voulons que la Syrie soit sunnite laïque, sinon, on permettrait à notre pire ennemi de venir s’installer juste à la frontière avec le Golan».
Les relations entre Poutine et Dahlan sont excellentes. Les Russes avaient confié à Dahlan le soin d’organiser des négociations entre Palestiniens, Israéliens et pays arabes pour mettre fin au conflit israélo-palestinien. Grâce aux Émirats, une première étape positive vient d’être franchie. Il ne semble pas que l’Autorité palestinienne veuille profiter de cette occasion historique. 


3 commentaires:

  1. Marianne ARNAUD16 août 2020 à 10:10


    Cher monsieur Benillouche,

    Donc, et si je vous ai bien lu, vous nous expliquez que les Israéliens "envisagent avec l'Égypte, l'Arabie saoudite et la Jordanie une action politique conjointe pour porter à la présidence de l'Autorité" un "bon diplomate" qui dispose toujours dans les camps palestiniens au Liban "d'une aura acquise au combat contre Israël" !
    J'en reste sans voix !
    Mais cela me ramène à la "Diplomatie du petit coq", que vous avez complaisamment relayée ici. Or il semblerait que le "petit coq", fait lui aussi des siennes en Méditerranée :

    https://www.asafrance.fr/item/relations-intrernationales-le-pentagone-s-inquiete-du-deploiement-militaire-francais-en

    Avouez que c'est assez plaisant, même si on sait que le Pentagone n'aime pas s'inquiéter trop longtemps !

    Très cordialement.

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  2. Elizabeth GARREAULT16 août 2020 à 10:11

    Passionnant article - Merci Jacques.
    Cela dit, quid de Bargouti?
    Nous risquons un scénario que nous avons connu en France et ailleurs dans le monde d'une compétition entre un leader de l'extérieur et un de l'intérieur. Reste à savoir lequel des deux, auprès de la population palestinienne aura le plus de légitimité.

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  3. Personnage fascinant où la réalité dépasse la fiction; au Moyen Orient,beaucoup de carrières ont été arrêtées par des assassins.

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