PARADOXALEMENT LES DÉFAVORISÉS ISRAÉLIENS VOTENT POUR LA DROITE
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Contrairement aux pays occidentaux, les défavorisés
d’Israël, en majorité des Orientaux issus des pays arabes, votent en masse pour
la Droite et le Likoud en particulier. Pourtant par tradition, la Gauche est réputée
pour être plus sensible aux questions sociales, aux principes d’égalité et de
solidarité et à la répartition des richesses du pays tandis que la Droite prône
le libéralisme économique, les valeurs d’ordre, de sécurité, de conservatisme
et d’autorité.
Begin a signé la paix avec l'égyptien Sadate |
Mais cette distinction ne s’applique pas aux Israéliens car le paradoxe
du vote des Orientaux date de l’année 1977 lorsque Menahem Begin est arrivé au
pouvoir en Israël après 30 années de domination travailliste. Le règne sans
partage des Ashkénazes avait alors pris fin. Depuis cette période, à l'exception de l'entracte d'Itzhak Rabin, la gauche
n’a plus réussi à attirer à elle ceux qui sont laissés sur le bas de la route
par l’ultralibéralisme gouvernemental.
Pour
l’ensemble du pays, le Likoud a obtenu 26,46% le 9 avril 2019 et 25,1% le 17
septembre 2019. Pourtant, les dernières statistiques des élections, qui
seront confirmées le 2 mars 2020, ont montré que les villes en développement et
celles du sud les plus pauvres et les plus soumises au tir des missiles de Gaza
votent en majorité pour la droite. Dans
les villes côtières d’Ashkelon et d’Ashdod, le Likoud est arrivé en tête avec
respectivement 40,5 % et 31,2 % des suffrages. Au Néguev, où dans les années
1960 les populations ont été contraintes de s'y installer par les autorités de l’époque, sont vent debout pour la droite : Dimona
avec 55,2%, Yerucham avec 41,7%, Sdérot avec 42,1%, et Eilat avec 42,2%. Plus
au nord d’Israël, Kiryat Shmona a voté à 52,6% pour la droite tandis que Nahariyya
s’est exprimée à 41,8% des voix.
Le
Likoud est très bien implanté dans ces localités défavorisées avec ses maires
et ses conseillers municipaux au point que Netanyahou, même durant les événements
les plus dramatiques, n’a pas trouvé d’intérêt à se rendre dans ces zones pour
soutenir le moral de ses électeurs qui n’ont pas bénéficié d’une justice
sociale appropriée à leur sort.
Militants du Likoud |
Malgré la politique dure ultralibérale du gouvernement, les Orientaux ont
choisi de voter contre ce que la Gauche définit comme leurs intérêts. En fait,
le pays est scindé en deux blocs identitaires qui s’affrontent en permanence.
Le bloc de gauche perçoit Israël en termes d’État juif et démocratique et
l’ordre politique est présenté en termes laïc. Ce bloc imagine Israël comme un État
occidental moderne, avec une simple teinte juive. Le bloc de droite veut donner
à Israël une identité juive plutôt que démocratique, une identité liée au
peuple juif parce que la religion occupe une grande place dans leur vie avec un
grand fatalisme. Cela explique que les populations, qui se plaignent de vivre
souvent dans des abris anti-bombes et de souffrir d’une situation économique
terrible, votent «rak Bibi» (seulement Bibi). Si elles ont la certitude de
souffrir, en revanche elles ont le sentiment de se sacrifier pour le bien
du pays. Elles font confiance aux dirigeants au sommet de l’État et bien sûr au
Ciel.
En
Israël la Gauche, longtemps contrôlée par les dirigeants historiques ashkénazes, a manqué d’humilité, s’estimant au-dessus de ces populations qui
n’avaient aucune chance d’évoluer selon eux. Elle ne comprenait pas pourquoi «les
pauvres», matraqués en permanence par des missiles, ne votaient pas pour
elle. En fait, la Gauche a trop montré sa répulsion pour la croyance religieuse
qu’elle estime anachronique dans le monde moderne. Elle n’a pas cherché à
rassurer ceux qui sont attachés à leur identité juive et a accentué le profond
clivage entre les deux blocs de population, les laïcs et les religieux.
Yerouham |
Les
gens de gauche se sont toujours considérés à part, comme des élites modernistes
parlant avec logique et raison et n’échangeant des idées que dans le cadre
d’une discussion cultivée de haute tenue. Alors les Orientaux ont été objets de
mépris et de révulsion au point d’avoir été éliminés des institutions
gouvernementales parce qu’ils sont «le visage hideux d’Israël». Cela
explique qu’arrivés dans les années 1960, ils ont été parqués loin de la
civilisation, dans des trous de développement où ils n’avaient au mieux que
l’espoir d’être des ouvriers. En effet, seules des écoles primaires étaient
construites à l'époque pour favoriser de la main d’œuvre à bon marché ; l’exemple de Yeruham
est symbolique de cette discrimination.
L’élite israélienne n’a pas compris que
les parents arrivés d’Irak ou du Maroc, totalement illettrés, ont poussé leurs
enfants aux études jusqu’à des niveaux inespérés pour devenir médecins,
sociologues, universitaires ou cadres industriels. Elle n’a pas compris que
le temps de la discrimination était révolu et qu’il fallait que les partis
intègrent les Orientaux au rang qui est le leur. La crainte d’être débordés
était révolue.
Jusqu’en
1977, malgré les brimades qu’ils ont subies, malgré les manifestations de rue
réprimées sauvagement contre les Panthères noires, les séfarades ont fait
partie d’un monde à part parce qu’ils étaient considérés comme irrécupérables.
La morgue ashkénaze s’exprimait au paroxysme. Menahem Begin et le Likoud,
certes par intérêt politique, ont compris qu’ils pouvaient s’appuyer sur eux
pour conquérir le pouvoir. Les travaillistes ont alors subi une défaite
mémorable.
David Levy le maçon devenu ministre des affaires étrangères de Begin |
Begin avait modifié son logiciel politique pour éviter une alliance
entre deux catégories de défavorisés, les Orientaux et les Arabes, deux
communautés brimées qui pouvaient surgir contre les «bolchéviques
sionistes». Se dessinait par ailleurs le risque d’alliances
internationales, en particulier avec les Noirs des États-Unis, qui
apporteraient le désordre en Israël. Le leader du Likoud avait un sens
politique très poussé, et à ce jour, son parti n’a pas été abandonné par ceux
qu’il a élevés au rang de citoyens à part entière.
Aujourd’hui,
le sectarisme séfarade-ashkénaze n’est plus de mise car il y a eu des mixages
et des évolutions économiques qui ont effacé les différences. Cependant la
Gauche ne s’est pas modifiée de l’intérieur pour pouvoir réussir. Il ne suffit
pas de mettre un Oriental à sa tête pour faire évoluer les mentalités. La
preuve a été qu’Avi Gabbay, dont les parents sont originaires du Maroc, a
échoué. Être séfarade n’est pas une condition pour réussir en politique de gauche. La
question de l’identité prime. Gabbay avait pourtant fait un bon diagnostic mais
il a été écrasé par les lourdeurs d’un passé persistant : «La
gauche a oublié ce que c’est que d’être juif. Il y a ici une population dont la
loyauté envers les valeurs juives et l’identité juive de l’État est très
profonde et ne doit pas être dénigrée». Mais il n’a rien pu modifier pour entraîner
une grande métamorphose dans un parti historiquement bolchévique afin d’attirer
à lui les populations défavorisées.
- Où classer le programme de Gabbay - je le verrais bien dans le rayon fantaisie |
Ceux
qui souffrent d’inégalité ne votent pas pour Netanyahou pour des raisons économiques
ou pour des raisons sécuritaires. Ils refusent les thèses politiques de la
gauche sociale qui prédit en permanence le naufrage de l’économie et
l’isolement d’Israël auprès des chancelleries étrangères. Ils ne se contentent plus d'études universitaires dépassées par la politique et la religion qui leur ouvrent de
meilleures perspectives. On comprend mieux pourquoi l’alliance des Travaillistes
avec Meretz n’a pas eu les effets escomptés parce qu’elle a symbolisé une
menace pour l’identité communautaire juive. Les élections du 2 mars 2020 ont
montré qu’il était trop tard et que la Gauche est morte de sa belle mort.
Très bonne analyse de la situation en ISRAEL et je me posais la question : quand les "12 tributs d'ISRAEL" seront unis dans un même élan..?
RépondreSupprimerPour l'instant, le chemin est encore long mais soyons optimistes.."la vie n'est pas un long fleuve tranquille"...
Est-il vrai que Ben Gourion en parlant des juifs séfarades qui arrivaient du Maroc, disait d’eux » les juifs primitifs » ?
RépondreSupprimerL’histoire de l’Etat d’Israël prouve qu’il n’y a pas de connections absolues entre niveau culturel et sens politique.
La gauche s’est effondrée en Israël parce que le communisme , le socialisme, le travaillisme sont des régimes exaltants à envisager mais qui ne fonctionnent jamais nulle part . Seul le libéralisme permet de créer à coup sûr des richesses ...le plus souvent mal réparties ce qui explique que le système soit efficace mais cruel . D’où la tentation de rêver à un système qui concilierait le plein emploi, des revenus suffisants pour tous et la fin de l’ Histoire ! Mais les plus défavorisés savent mieux que tous qu’il s’agit d’une utopie dont ils seraient les seules victimes , les plus instruits s’arrangeront toujours pour les « cornaquer « à distance en les traitant de primitifs !
André Simon Mamou
Tribune juive
Cher Jacques,
RépondreSupprimerMerci pour cette analyse intéressante à laquelle je souscris. Un bémol cependant : c'est le Hamas qui a tué la gauche israélienne en organisant des faits de guerre (attentats...) chaque fois que la moindre lueur d'espoir pour un règlement du conflit israélo-palestinien émergeait.
Daphna Poznanski-Benhamou