LE PAPE PIE XII ET LE GRAND RABBIN CONVERTI
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Pie XII |
Surnommé «Le pape d'Hitler» par
certains historiens, l’action du pape Eugenio Pacelli va apparaître au grand
jour pour savoir qui était vraiment le pape Pie XII. Pour certains, il fut
complaisant avec les régimes nazi et fasciste ; pour d’autres, il fut un stratège
discret qui a sauvé des milliers de juifs et de catholiques. L’attitude du pape
Pie XII, longtemps controversée, va pouvoir être soulevée parce que son silence
a été jugé coupable alors que les Juifs étaient massacrés. Pourtant les
témoignages sur cette période tendent à remettre en cause ce que l'on croyait
des faits avérés pour rétablir la vérité. Le plus grand défenseur du Pape fut
une personnalité juive dont la trajectoire et l’itinéraire étaient originaux,
sinon exceptionnels, l’ex-Grand-Rabbin de Rome.
Zolli |
Israël Zoller est né le 17 septembre 1881 à Brody, un village de la
Galicie austro-hongroise. Juif bourgeois, son père était propriétaire d’une
soierie à Lodz, alors en territoire russe, qui fut nationalisée en 1888 par le
Tsar. La famille et les cinq enfants ont donc été contraints à l’exil. À sept
ans, Israël est entré à l'école primaire hébraïque, où les enfants se bornaient
à apprendre par cœur des passages de la Bible. Le goût de la connaissance
religieuse lui vient principalement de son père.
En 1904, il quitta sa famille qu'il ne reverra jamais. Sa mère, qui l’avait
poussé à devenir rabbin, est morte prématurément. Il a étudié la philosophie à
l'université de Vienne, puis à celle de Florence où il acheva un doctorat mais
parallèlement, il a poursuivi des études rabbiniques. Nommé en 1913,
vice-rabbin de Trieste, il a épousé Adèle Litwak, dont il aura une fille Dora.
À la fin de la première guerre mondiale, Trieste a été rattachée à l'Italie et
Israël Zoller fut nommé Grand Rabbin de la ville.
La perte brutale de sa femme en
1917 le transforma en mystique au point de le rapprocher paradoxalement du
christianisme : «un après-midi, tout d'un coup et sans savoir pourquoi,
comme en extase, j'invoquai le nom de Jésus. Je le vis comme en un grand
tableau. Je le contemplai longuement, sans agitation, ressentant plutôt une
parfaite sérénité d'esprit. Je me disais : Jésus n'était-il pas un fils de mon
peuple ?». Cette transformation n’a pas été préméditée mais elle a suivi un
cheminement progressif.
Il s’était remarié en 1920 avec
Emma Majonica qui lui donna une seconde fille, Myriam. De 1918 à 1938, il
enseigna l'hébreu et les langues sémitiques anciennes à l'université de Padoue
tout en s’intéressant au Nouveau Testament. Dès lors, il sera fortement
imprégné de l'Évangile et il découvrit le lien qui unissait les deux
Testaments. Il commença alors à douter et critiqua les Juifs pour qui «l'amour
de la Loi l'emporte souvent sur la loi de l'Amour». Il traduira en 1938 ses
préoccupations mystiques dans son œuvre capitale des vingt années passées à
Trieste, «Le Nazaréen». Il a été conduit à écrire : «Le Christ est le
Messie; le Messie est Dieu; donc le Christ est Dieu». Malgré ses textes
extirpés du profond de lui-même, il est convaincu mais n’a pas encore la foi.
Von Weizsäcker |
Le rapprochement de Mussolini et de
l'Allemagne hitlérienne entraîna, à la fin des années 30, des campagnes
antisémites en Italie, surtout à proximité des frontières du troisième Reich, à
Trieste en particulier où les Juifs étaient nombreux. Face aux lois discriminatoires
édictées contre les Juifs, Israël Zoller préféra changer son nom en Zolli, plus
italien. En 1940, les Juifs de Rome le nommèrent à la place vacante de Grand
Rabbin. En septembre 1943, après la
chute de Mussolini, Hitler envoya trente divisions allemandes occuper l'Italie
tandis qu’aussitôt la politique d'extermination des Juifs était entamée. Le
Grand Rabbin s'efforça de convaincre les Juifs de Rome de se disperser pour
éviter la déportation. L’ambassadeur allemand auprès du Saint-Siège, Von
Weizsäcker, secrètement hostile à la politique nazie, avertit le Pape de la
déportation imminente de tous les Juifs d'Italie.
Pie XII envoya alors une lettre
remise en mains propres aux évêques, leur ordonnant de lever la clôture dans
les couvents et monastères, pour que ces lieux deviennent un refuge pour les
Juifs. Selon Zolli : «Je connais un couvent où les religieuses dormaient
dans la cave, afin de céder leurs lits aux réfugiés juifs. Admirable exemple de
charité qui a su adoucir le destin tragique de tant de gens persécutés».
Zolli, entra en clandestinité et se cacha chez des amis chrétiens de sa fille
Dora pour échapper à la Gestapo. Mais il assistera impuissant à la déportation,
dans la nuit du 15 au 16 octobre, d’un millier de Juifs romains sur environ
8.000.
Le 4 juin 1944, la ville de Rome fut
libérée par les forces américaines et Israël Zolli, qui avait été démis de sa
charge, redevint Grand Rabbin de Rome. Il présida, en octobre 1944, les fêtes
de Kippour à la synagogue de Rome. Il avouera plus tard avoir été touché ce
jour-là par la grâce lors des prières du Grand Pardon: «Soudain, je vis avec
les yeux de l'esprit, une grande prairie, et, debout au milieu de l'herbe
verte, se tenait Jésus revêtu d'un manteau blanc... À cette vue, j'éprouvai une
grande paix intérieure, et au fond de mon cœur, j'entendis ces paroles : Tu es
ici pour la dernière fois. Désormais, tu me suivras».
Quelques jours plus tard, le Grand
Rabbin renonça à sa charge et alla trouver un prêtre afin de compléter son
instruction des vérités de la foi. Le 13 février 1945, Monseigneur Traglia conféra
le sacrement de Baptême à Israël Zolli qui était caché au Vatican et qui
choisit pour prénom chrétien celui d'Eugenio, en hommage de reconnaissance au
Pape Pie XII pour son action déterminante en faveur des Juifs pendant la
guerre. L'épouse de Zolli, Emma, reçut le Baptême avec son mari et ajouta à son
prénom celui de Maria. Leur fille Myriam suivra ses parents après un an de
réflexion personnelle. Le baptême d'Eugenio Zolli fut l'aboutissement d'une
longue évolution spirituelle. Nombreux de ses amis pensent qu’il s’est converti
par gratitude envers le Pape Pie XII.
À l'âge de soixante-cinq ans, Zolli
se trouva alors confronté à de graves problèmes financiers puisqu’il ne touchait
plus ses salaires de rabbin et de professeur lui faisant dire : «Les Juifs
qui se convertissent aujourd'hui, comme à l'époque de saint Paul, ont tout à
perdre en ce qui concerne la vie matérielle, et tout à gagner en vie de la
grâce». Il a cependant toujours réfuté l’accusation de trahison car selon
lui : «Le Dieu de Jésus-Christ, de Paul, n'est-il pas le Dieu même
d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ?»
Sur l'intervention du Saint-Père,
Eugenio Zolli fut nommé professeur à l'Institut Biblique Pontifical. En octobre
1946, il entra dans le Tiers-Ordre de Saint-François dont la caractéristique
est la pauvreté évangélique pratiquée par les laïcs dans le monde. Mais en
janvier 1956, il fut atteint d'une broncho-pneumonie. Sa femme Emma était, elle
aussi, malade et âgée. Une semaine avant sa mort, Eugenio confia à une
religieuse qui le soignait : «Je mourrai le premier vendredi du mois, à
quinze heures, comme Notre-Seigneur». Le vendredi 2 mars, dans la matinée,
il reçut la Sainte Communion. Tombé dans le coma, à midi, Eugenio Zolli remit
son âme à Dieu à trois heures de l'après-midi.
Il est ainsi confirmé que Zolli
parlait en parfaite connaissance de cause du pape en tant que Grand Rabbin de
Rome lors des persécutions de 1943. La thèse communément admise consistant à
affirmer que Pie XII savait et s’était tu parce qu’il agissait en homme
politique obnubilé par la menace communiste, par la survie de sa propre Église
et peut-être aussi, parce qu’il était raciste et antisémite. En fait, à travers
Pie XII, c’est l’Église qui était attaquée. Certes, de nombreux prélats et
prêtres français ont reconnu qu’elle avait failli par son silence.
Mais il n’y a aucun doute que 90 %
des Juifs d’Italie ont été cachés et protégés par l’Église, à savoir par des
prêtres, des religieux, des religieuses et des laïcs. À Rome même 40.000
réfugiés juifs furent cachés dans les églises, les couvents, et 7.000 dans la
cité du Vatican. Les plus menacés, qui étaient protégés dans les séminaires,
étaient revêtus de soutanes en cas de perquisition.
Pinhas Lapide |
En 1951, le consul d’Israël à Milan,
Pinhas Lapid, fut reçu par le Pape pour lui transmette «la gratitude de
l’Agence juive, qui était l’organisme du mouvement sioniste mondial, pour ce
qu’il avait fait en faveur des Juifs». Il avait alors estimé que 850.000
Juifs avaient été sauvés par les Catholiques dans toute l’Europe. Il avait même déclaré en 1963 : «Je
comprends très mal que l’on s’en prenne aujourd’hui à Pie XII tandis que
pendant de nombreuses années, on s’est plu en Israël à lui rendre hommage. Je
peux affirmer que le pape personnellement, le Saint Siège et les nonces ont
sauvé de 150.000 à 400.000 Juifs». Dans une interview au journal Le
Monde du 13 décembre 1963, il ne comprenait pas «pourquoi l’on s’acharne
contre Pie XII qui ne disposait ni de divisions blindées, ni de flotte aérienne
alors que Staline, Roosevelt et Churchill n’ont jamais voulu s’en servir pour
désorganiser le réseau ferroviaire qui menait aux chambres à gaz. Lorsque j’ai
été reçu à Venise par Mgr Roncalli qui devait devenir Jean XXIII et que je lui
exprimais la reconnaissance de mon pays pour son action en faveur des Juifs
alors qu’il était nonce à Istanbul, il m’interrompit à plusieurs reprises pour
me rappeler qu’il avait à chaque fois agi sur l’ordre précis de Pie XII».
Isaac Herzog |
Le rabbin de Jérusalem, Isaac
Herzog, s’était exprimé en 1944 : «Ce que votre Sainteté et ses éminents
délégués, inspirés par ces principes religieux éternels qui constituent le
fondement même de la civilisation véritable, font pour nos frères et sœurs
malheureux, en cette heure tragique de notre histoire, et qui est une preuve
tangible de l’action de la Providence en ce monde, le peuple d’Israël ne
l’oubliera jamais». En 1946, 12 rabbins venus d’Israël, d’Europe et des
États-Unis, vinrent à Rome, rendre un hommage officiel de gratitude au pape Pie
XII pour l’action de l’Église en faveur des Juifs pendant toute la guerre.
Enfin, Golda Meir, ministre des
Affaires étrangères d’Israël, déclara lors de la mort du pape en 1958 : «Nous
partageons la douleur de l’humanité pour la mort de Sa Sainteté Pie XII.
Pendant la décennie de la terreur nazie, quand notre peuple a subi un martyre
terrible, la voix du Pape s’est élevée pour condamner les persécuteurs et pour
invoquer la pitié envers leurs victimes. Nous pleurons un grand serviteur de la
paix».
Le 16 février 2001, le rabbin David
Dalin de New York, avait demandé que Pie XII soit officiellement reconnu comme
un «Juste entre les nations. Pie XII fut l’une des personnalités les plus
critiques envers le nazisme. Sur 44 discours que Pacelli a prononcés en
Allemagne entre 1917 et 1929, 40 dénoncent les dangers imminents de l’idéologie
nazie». Marcus Melchior, grand rabbin du Danemark, qui a survécu à la Shoah
estime que : «Si le pape avait parlé, Hitler aurait massacré beaucoup plus
que six millions de Juifs et peut-être 10 millions de catholiques. Toute action
de propagande inspirée par l’Église catholique contre Hitler aurait été un
suicide ou aurait porté à l’exécution de beaucoup plus de Juifs et de catholiques».
Il est donc important
de rétablir la vérité sur Pie XII dans l’intérêt des deux communautés tout en
rappelant l'épopée d'un converti.
on apprend des choses dans cet article certe, mais les nazis et collabos que le Vatican a facilité la fuite vers l'Amérique du sud et autre, on cache ça sous le tapis..?!
RépondreSupprimerCher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerMerci pour cet article qui devrait donner à réfléchir au-delà des schémas qui nous ont été imposés jusqu'ici, par les uns ou par les autres, sur l'action du pape
Pie XII. Il n'est que d'attendre le résultat des travaux des historiens sur les archives du Vatican.
Mais en revanche, comment ne pas être saisi d'émotion à l'évocation de ce Grand Rabbin converti à Jésus qui nous rappelle Paul de Tarse et sa Lettre aux Galates : "Lorsque Celui qui m'a mis à part dès le sein de ma mère et m'a appelé par sa grâce a jugé bon de révéler en moi son fils afin que je l'annonce parmi les nations..." Ne s'était-il pas, lui aussi, exprimé en termes de vision : "Il m'est apparu à moi !"
Voilà qui nous renvoie aux origines du christianisme qui n'était qu'un courant du judaïsme parmi d'autres. Ce n'est qu'après la destruction du Temple en 70, et pendant les Ier et IIème siècles, que les courants du judaïsme disparurent au profit du judaïsme rabbinique qui acta la rupture d'avec les nazaréens - les adeptes de Jésus de Nazareth - non pas tant pour la reconnaissance de Jésus comme Messie, mais pour la non observance des règles de pureté imposées par la Torah et remplacées par d'autres règles, et en particulier l'acceptation des non-juifs dans la nouvelle religion.
Très cordialement.
L'écrivain Curzio Malaparte félicitait l'ex grand Rabbin de Rome d'être reconnaissant à l'Eglise et de s'être converti avec sa famille.En Fance, dans les débris d'après la Shoah beaucoup de familles se convertirent comme Marcel Bloch D'assaut, Michel Debre, Drucker pour en finir avec l'antisemitisme. Le grand Rabbin Kaplan et le Rabbin Paul Roitman ont combattu pour préserver la religion juive. Avec le Pape Pie XII il y avait l'affaire Finaly et d'autres similaires et le sauvetage de nazis vers l'Amerique du Sud
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