Mon propos est en premier lieu destiné aux
jeunes. Nous comptons sur vous pour assurer la continuité de la mémoire de la
Shoah.
Capitaine Henri PIERRET |
Jeudi 16 juillet 1942, huit heures. Commandant
la 6ème compagnie des sapeurs-pompiers, place Violet à Grenelle, le
capitaine Henri Pierret procède au rassemblement habituel de ses hommes dans la
cour de la caserne pour leur donner ses instructions. Un message téléphonique
lui demande de se rendre d’urgence au Vélodrome d’hiver. Surpris de toute
façon, car aucune manifestation n’y était naturellement prévue à cette période
de l’année, Henri Pierret envoie aussitôt un petit détachement de cinq sapeurs.
Il le rejoint peu après, pour découvrir une panique indescriptible,
terrifiante.
Comme le montre le film La Rafle, il
éconduit sèchement le jeune officier de la garde républicaine qui voulait refuser
la distribution de l’eau et ordonne l’ouverture des vannes. C’est la ruée, inexprimable.
Consommant quotidiennement jusqu’à deux paquets de cigarettes, il avait arrêté
de fumer dès le retour en août 1940 de sa famille bloquée en Provence depuis
l’été 1939. Tout était bon pour nourrir les siens, une épouse, sept enfants.
En ce même mois de juillet 1942, son supérieur
évoque ainsi : un «officier chargé de famille, distrait parfois par de
sérieux soucis domestiques». Mais il conclut : «À surveiller de très
près». De fait, le 14, il avait, comme l’année précédente, fait hisser le
drapeau au son du clairon et des tambours afin, écrira-t-il plus tard au
colonel du régiment, «de maintenir le moral de mes subordonnés».
Récidivant en 1943, il sera durement sanctionné
et muté en banlieue. Les vacances viennent de commencer. Mes frères font la
moisson chez des camarades de leur pensionnat meldois, ma sœur aînée est en
colonie. Les trois dernières, dont Marie-France, sont avec moi dans notre
appartement. Nous attendons le déjeuner, moi tout particulièrement. Ce jour-là,
j’ai douze ans. Midi passe. L’impatience et la faim croissent.
Toujours rigoureux sur les horaires, notre père
arrive seulement vers 14 heures, bouleversé, visage défait. Il nous raconte
brièvement ce qu’il vient de vivre. Des centaines d’enfants hurlant, réclamant
de l’eau, des mères désespérées les cherchant, les odeurs. Nous en saurons
davantage grâce au compte rendu détaillé que Fernand Baudvin, membre du
détachement, adressera en mai 2007 à Simone Veil dont je salue la mémoire.
Discrètement, les sapeurs ramassent les messages
qui leur ont été remis en cachette et en bourrent leurs sacs ; 144 pour lui,
rapporte-t-il, environ 800 en tout. Le lendemain matin, Henri Pierret prend ses
hommes à part. Il leur distribue des tickets de métro, leur remet des enveloppes
et des timbres, et leur recommande de poster ces lettres dans divers quartiers
de la capitale. Combien ont-elles atteint leurs destinataires ?
Fernand Baudvin décoré par Alain Pierret |
Puis il garde Baudvin : «Tu connais bien
Ruben, lui dit-il, va le trouver et fais-le passer en zone libre». Caporal,
son camarade avait été démis de ses fonctions par ordre des autorités allemandes
et renvoyé dans ses foyers le 3 juillet, comme 27 autres sapeurs d’origine
juive. Ruben reviendra. Je remettrai la Légion d’honneur à Baudvin.
Les archives de la brigade ignorent la Rafle,
pas une ligne, pas un mot. Du moins directement, car un drame retient mon
attention. Les pompiers ont été appelés à Belleville, des habitants
s’inquiétaient d’une odeur de gaz. Dans la cuisine d’un appartement ils découvrent,
inertes, une femme et quatre jeunes enfants, de 12, 10, 6 et 4 ans. Son mari
ayant été arrêté et déporté par le convoi n° 4 du 25 juin, peut-être informée
par des rumeurs de ce qui se tramait, la mère avait sans doute ressenti un
funeste pressentiment. Transférés à l’hôpital Tenon, échappant à la rafle, ils
seront sauvés. Madame Cynober sera néanmoins arrêtée et déportée à son tour en
septembre. Elle ne reviendra pas, son mari non plus.
Notre père ne nous reparlera plus de ce qu’il
avait vécu ce 16 juillet 1942. Pour autant, il n’oubliait pas. Plusieurs fois
par la suite, il m’a demandé de l’accompagner au Vel’ d’Hiv’ pour suivre une
rencontre sportive – et revoir ces lieux. Sans jamais évoquer ce passé
douloureux. Quarante-cinq ans plus tard, à l’été 1987, il vient chez nous à Tel
Aviv où j’avais été nommé un an plus tôt. Je l’emmène au mémorial de Roglit
édifié par Serge Klarsfeld au pied des collines de Judée. Sur trente-cinq
mètres des panneaux portent les noms des 80.000 disparus dans la tourmente de
la Shoah. Il en cherche visiblement quelques-uns, ne me dira rien. J’ai toujours
respecté son silence.
Chef de bataillon, Henri Pierret se retirera à
Velaux, jolie localité surplombant l’étang de Berre. Le 24 avril 2011, une
stèle à sa mémoire y fut inaugurée par le maire. L’année suivante, la promotion
des élèves de l’École nationale supérieure d’officiers des sapeurs-pompiers, implantée
dans le voisinage à côté du Camp des Milles, tristement célèbre lui aussi, l’a
pris pour parrain. À Paris le 18 février 2014, Bertrand Delanoë a dévoilé une
plaque à sa mémoire sur l’espace arboré qui précède la caserne de Grenelle et
s’appelle désormais «Esplanade Capitaine Pierret».
Serge Klarsfeld nous avait exprimé sa
reconnaissance : «Alain, le 16 juillet 1942, votre père représentait la
France».
C'est un épisode peu connu mais lumineux au cours de la période noire qu'a connue la France.
RépondreSupprimerMerci.
Gérard Zeitoun
Je vous remercie de me faire rencontrer ce genre d'homme. On désespère un peu moins de l'humanité. Ça réchauffe le cœur un peu comme une eau de vie. J'avais juste besoin de cela ce matin.
RépondreSupprimerLes rappels historique sont toujours importants, je ne connaissais pas l'histoire, merci !
RépondreSupprimerQue la mémoire de votre père soit vivante à jamais ; il a été « la France « quand d’autres ont rejoint l’Allemagne nazie. C’est un immense symbole de « Juste des Nations « .FHessel
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