Par Jacques
BENILLOUCHE
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Mikve au Brésil après restauration |
Le rabbin Haïm Amsellem est connu pour
avoir pris position à la fois pour un judaïsme séfarade véritable et moderne,
non instrumentalisé par les Lituaniens, et pour une sélection rigoureuse dans
les écoles talmudiques pour aider seulement les meilleurs élèves et pour forcer
les autres à intégrer le monde du travail. Ses prises de position iconoclastes
l’ont poussé à quitter le parti Shass dont il était l’un des députés et à se
lancer seul dans le combat politique, avec peu de réussite pour l’instant tant
la vindicte est forte à son encontre. Mais en plus de ses activités politiques,
il s’est donné pour mission de défendre les Marranes du Brésil, dans le cadre
de son nouveau combat pour les intégrer au sein de la communauté juive
israélienne.
Marranes |
Les Juifs ont vécu en Espagne et au Portugal l’expérience
la plus dramatique de l’histoire de la Diaspora. Après quinze siècles de
présence dans la péninsule ibérique, ils furent jugés, en 1492, indésirables et
obligés, soit de rester fidèles à leur foi et de quitter l’Espagne, soit de se
convertir. Cinq ans plus tard, le Portugal à son tour ne donna qu’un seul choix
aux Juifs, celui de se convertir au catholicisme sous peine de perdre la vie. Un
décret draconien avait interdit aux Juifs de pratiquer leur langue et leurs
coutumes, de lire leurs livres sacrés, de prier dans leurs synagogues et de
célébrer leurs fêtes. Ils perdirent leurs noms tandis que leurs enfants leur
furent enlevés pour être élevés par des Chrétiens.
Isabelle la Catholique |
Face à ce changement radical et brutal, beaucoup de Juifs
furent souvent poussés au suicide ou à la confusion mentale. La plupart furent
contraints d’obéir au roi et de se convertir. Mais de nombreux Juifs
résistèrent à l’abandon de leur religion en la pratiquant de manière
clandestine avec tous les risques qui en découlaient. Ce sont les Marranes. Ils
eurent deux vies, celle publique et l’autre cachée dans le cadre d’un double
jeu qui dura 500 ans. Ils étaient devenus de nouveaux Chrétiens.
Les premiers Marranes commencèrent à arriver au Brésil au
début du XVIe siècle avec dans leur cœur un judaïsme qui palpite encore
aujourd’hui. Le marranisme au Brésil se distinguait de celui d’Europe parce
qu’il était situé dans un vaste continent, à proximité de la jungle, avec une
différence de climat et une lutte permanente pour la survie. Mais en arrivant
dans le nouveau continent, les convertis transportèrent avec eux leur bagage
culturel. Bien intégrés, ils adoptèrent
cependant une position critique à l’égard de la religion obligatoire qui les
poussa à devenir sceptiques, voire incroyants. Les Marranes n’avaient pas
d’autre choix que de quitter le Portugal, en raison des interdictions, pour fuir
vers le Brésil, leur seule destination possible. En effet, les navires quittant
les ports étaient pilotés par des Marranes ce qui leur facilita l’exil. Les
historiens ont constaté d’ailleurs que la population brésilienne était
constituée, au XVIIe siècle, aux trois quarts de Juifs.
Engenhos |
Le Brésil offrait de nombreuses opportunités
d’ascension sociale et politique. Les Marranes firent l’acquisition de terres
et de plantations de canne à sucre, les engenhos, défendues par de
véritables armées. Cela explique que le Tribunal de l’Inquisition ne s’est
jamais établi au Brésil. Les commerçants
accusés d’être judaïsant furent arrêtés mais jamais les propriétaires des
engenhos. Ils restèrent cependant toujours des parias, en raison de «l’impureté
de leur sang». Certains riches, à l’instar de Miguel Teles da Costa, furent
arrêtés et condamnés. Les crypto-juifs qui avaient adhéré à une autre foi,
continuaient à pratiquer secrètement leur judaïsme. Ils étaient protégés par
leurs puissantes fortunes qui les rendirent indispensables à la couronne et
leur permirent d’occuper des postes auprès du Gouverneur. Presque tous les
médecins étaient marranes. Quand, au XVIIIe siècle, le marquis de Lavradio fut
nommé vice-roi du Brésil, il amena avec lui, comme médecin personnel, le
docteur José Henriques Ferreira, accompagné de son père Antonio Ribeiro de
Paiva, chirurgien, judaïsant récemment sortis des prisons de l’Inquisition.
En vivant deux vies et deux religions, l’une
pénétrant l’autre, le syncrétisme ou la fusion de différents cultes, devint une
véritable nouvelle religion. Certains considéraient comme sacré le jour du
samedi dédié à l’amour de Notre-Dame et d’autres gardèrent les deux jours, le
samedi et le dimanche. Mais il y eu des exceptions dramatiques. Ainsi la
modeste Teresa Paes de Jesus, née à Rio fut brûlée à Lisbonne le 16 juin 1720, parce
qu’elle croyait à la fois en Moïse et en Jésus. Teresa fut brûlée non seulement
pour le fait d’être juive, mais pour son impertinence et son obstination.
Pour les Marranes, la plus grande honte était le
fait d’être chrétiens car nombreux furent ceux qui souhaitaient appartenir au
peuple juif. Durant les vingt-quatre années pendant lesquelles les Hollandais
occupèrent le Nordeste du Brésil, ce retour au judaïsme fut possible. Mais
intoxiqués par les doctrines de l’Église, il était difficile aux Marranes
d’accepter le judaïsme rabbinique car l’orthodoxie traditionnelle juive était
trop stricte à leurs yeux.
Les Juifs arrivés avec les Hollandais tentèrent de
convertir les Marranes installés depuis longtemps au Brésil pour qu’ils
reviennent au judaïsme. Nombreux furent ceux qui acceptèrent de devenir juifs
et intégrèrent la congrégation Zur Israël mais pour beaucoup, le retour
fut toutefois impossible. Ils éprouvaient une angoisse extrêmement profonde et
ne réussirent pas à s’adapter.
Le plus illustre des Marranes qui vécut au Brésil
au XVIIe siècle est le poète Bento Teixeira. Il communiait, confessait et
portait soutane, mais il se refusait à donner cours le samedi. Il avait une
connaissance profonde du judaïsme, mais il ne pratiquait pas les préceptes
judaïques. Connaisseur érudit de la littérature juive, il enseignait la Bible dans
la langue du pays. Mais comme d’autres Marranes, il fut arrêté pour être
crypto-juif et pour avoir lu des œuvres interdites.
Les Marranes du Brésil avaient hérité de certaines
traditions juives : ils enterraient leurs morts couverts d’un suaire, ils
ne mangeaient pas de viande de porc et autres aliments interdits, ils allumaient
des bougies les vendredis et ils posaient de petites pierres sur les tombes. Durant
ces dernières années, les secrets marranes commencent à être divulgués ;
on en parle de plus en plus ouvertement, des congrès sont organisés sur le
sujet, nombreux sont ceux qui étudient l’hébreu et certains ont déjà visité
Israël. Les plus aisés vivent isolés, leurs fils ont été circoncis et ils ont
édifié des synagogues privées dans leurs propres résidences. Toute leur famille
obéit aux rituels juifs. Toutefois, la majorité des Marranes appartient à la
classe sociale la plus pauvre. Actuellement, à Campina Grande, ils prient dans
une pièce dont la porte d’entrée est munie d’une mezouzah. Ils ont déjà commencé
à édifier une synagogue sur un terrain cédé par un membre du groupe. Le nombre
de Marranes augmente avec l’adhésion des Anoussim de toutes les régions du
Brésil. Anoussim est le terme employé dans la littérature rabbinique pour
désigner les Juifs convertis sous la contrainte à l'islam et au christianisme.
Rabbin Amsellem au Brésil |
Les Marranes souffrent depuis plusieurs siècles
d’un isolement complet, rejetés jusqu’à aujourd’hui par les orthodoxes qui ne reconnaissent
pas leur judaïsme. Ils parlent avec beaucoup d’amour d’Israël qu’ils voudraient
rejoindre si l’Agence juive leur donnait le feu vert. Les rabbins ne savent pas
comment considérer les Marranes et refusent de prendre leur responsabilité
comme l’avait fait le Grand Rabbin Ovadia Yossef avec la reconnaissance des Beta
Israël, les Juifs d’Éthiopie.
Le rabbin Haïm Amsellem estime qu’il est temps
d’accepter les Marranes comme des Juifs à part entière sans avoir à poser un
problème au Grand Rabbinat d’Israël et au Consistoire. Contrairement aux autres
rabbins, il veut trouver une solution pour leur retour officiel au judaïsme sachant
que de nouvelles communautés marranes ont été découvertes en Sicile, Cuba, El
Salvador, Texas et Nouveau-Mexique. Un véritable vivier pour Israël.
Brith mila au Brésil |
Les Marranes
ont toujours appartenu au peuple juif et selon la Halakha de Mordechai Elihaou,
ancien grand Rabbin Séfarade, les Bnei anoussim n’ont pas d’obligation de conversion.
Il faut noter qu’entre l’Espagne, le Portugal, l’Italie et l’Amérique Latine,
environ 100 millions de personnes sont descendantes de Marranes. C’est dire le
potentiel qui existe pour peupler Israël.
Maurice Ohana |
Haïm Amsellem s’est donné pour tâche d’aider les Marranes à se judaïser
légalement car sur le plan pratique ils pratiquent déjà la religion et édifient
des synagogues boudées par les autres Juifs. Parce qu’ils sont rejetés par les
orthodoxes, il s’est pris pour mission, avec l’aide financière de Maurice Ohana
de Shanghai, de se déplacer périodiquement au Brésil pour marier des jeunes,
pour procéder à des brith-mila (circoncisions), pour former des responsables de
la cacheroute et même de jeunes rabbins. C’est un travail de longue haleine qui
est mal perçu par ceux qui sont stricts sur «la pureté du judaïsme». Il
est incompréhensible qu’on refuse le retour dans la communauté à des fidèles
qui l’ont quittée malgré eux et qui gardent une ferveur juive inébranlable.
C’est en fait le combat de tous les Juifs.
Évidemment ! Les Bnei Anoussim sont les bienvenus dans la maison d’Israel. Les orthodoxes litvaks comptent, bien sûr, mais ne représentent pas le seul courant du judaïsme malgré ce qu’ils ont subi.
RépondreSupprimerles marins de Colomb étaient très souvent Juifs. Pas lui, mais ses armateurs oui, par exemple. Et ces gens qui fuyaient l'inquisition ont été rattrapés par les fous de buchers. L'histoire des Juifs, harcelés partout, massacrés souvent, convertis de force
RépondreSupprimerLe judaïsme déplace sa base européenne, après la Shoah vers les USA et Ia terre d'Israel, a disparu complètement des pays arabes. Le noyau, pour continuer, ne doit pas diluer a toutes les tendances. Une rencontre avec un marrane portugais, qui offrait, par un samedi pluvieux , d'accompagner en auto un fidèle a la synagogue se faire maltraite verbalement. Il y a trop de différences dans les appartenances juives.
RépondreSupprimerIl y cent millions de marraines ,ce serait stupide et borné ,pour ceux d’entre eux qui le désirent,de ne pas reconnaître leur judaïte
RépondreSupprimeret surtouts de perdre l’opportunité de renforcer la démographie du peuple juif qui a été décimé par les persécutions
Belle revanche à prendre sur les bourreaux !