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lundi 23 avril 2018

Poutine, Erdogan, Rohani : le nouvel ordre au Moyen-Orient



POUTINE, ERDOGAN, ROHANI : LE NOUVEL ORDRE AU MOYEN-ORIENT

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps


            
          Les frappes aériennes américano-franco-britanniques, contre l'infrastructure des armes chimiques de Bachar El-Assad, ne présagent d’aucune modification de la stratégie de Donald Trump dans la région. Il maintient intacte sa décision de retirer les forces américaines du Moyen-Orient et de perdre définitivement la Syrie en y abandonnant à leur sort tous les groupes d’opposants qui se battent avec courage pour leur liberté.



Organisation pour l'Interdiction des Armes Chimiques


            Ce n’est pas le cas des présidents Poutine de Russie, Rouhani d'Iran et Erdogan de Turquie qui, au cours d’un sommet, ont décidé de consolider leur pouvoir et leur influence au détriment des Américains. Ils ont entériné la modifcation de l’ordre mondial dans la région. Les images parlent d’elles-mêmes et elles rappellent étrangement la réunion de Yalta du 8 février 1945, durant laquelle le président américain Franklin Roosevelt, le premier ministre britannique Winston Churchill et le premier ministre soviétique Joseph Staline ont organisé les lendemains de la victoire de la Seconde Guerre mondiale. Roosevelt avait alors confirmé le leadership américain en minimisant les divergences entre Churchill et Staline.
            La nouvelle photo montre la victoire du fanatique religieux turc Erdogan serrant la main du tsar Vladimir Poutine et du théocrate fondamentaliste iranien Hassan Rouhani. Le symbole du nouvel ordre au Moyen-Orient s’affiche aux yeux du monde. D’ailleurs l’iranien Rohani n’a pas manqué de condamner immédiatement les Etats-Unis pour leur «présence illégale et leur ingérence en Syrie» en feignant d’ignorer que l’Iran est de plus en plus présent avec les milliers de miliciens du Hezbollah libanais et les nombreux groupes de mercenaires chiites, armés et financés par son gouvernement.



            On ne comprend pas la politique étrangère de Washington consistant à laisser le champ libre à trois dictatures féroces et à affaiblir les quelques pans de démocratie encore branlants. Il consolide ouvertement l’échec américain. Les dirigeants israéliens sont optimistes et pensent qu’il n’est pas trop tard pour modifier la situation avec la «Stratégie de sécurité nationale» de l'administration américaine. Donald Trump avait dévoilé en décembre 2017 sa nouvelle stratégie en politique étrangère susceptible de traduire son slogan fétiche, «l'Amérique d'abord». La Chine et la Russie y étaient décrites comme des «puissances révisionnistes». Il avait ainsi présenté les quatre piliers de cette stratégie : protéger le territoire américain, promouvoir la prospérité américaine, utiliser la force pour préserver la paix et faire progresser l’influence américaine dans le monde.
            Rien ne serait perdu. Les Etats-Unis peuvent encore avoir un rôle constructif ; ils l’ont prouvé dans le passé. En 1905 le président Theodore Roosevelt avait encouragé Moscou et Tokyo à signer le traité de Portsmouth pour mettre fin à la guerre russo-japonaise. Le plan Marshall de Harry Truman avait permis à l'Europe de se reconstruire et de créer l’Allemagne de l'Ouest démocratique. La position ferme de Ronald Reagan vis-à-vis de l'Union Soviétique avait abouti à un traité de réduction des armes nucléaires avec à la clef la chute du rideau de fer. Bill Clinton, enfin, avait été à l’initiative de la fin des massacres dans les Balkans en favorisant les Accords de Dayton entre la Serbie, la Croatie et la Bosnie Herzégovine.
Reagen et Gorbachev

            Les Etats-Unis ont ainsi toujours prouvé qu’ils pouvaient agir pour la paix et pour la liberté des peuples. La situation a certes évolué avec le désengagement croissant de Barack Obama qui, par sa passivité, a laissé proliférer les groupes terroristes islamiques et djihadistes. Il avait fixé à Assad des lignes rouges à ne pas dépasser, l’utilisation des armes chimiques. Les lignes ont été transgressées maintes fois sans susciter une intervention américaine, donnant le signal aux Russes, aux Iraniens et aux Turcs qu’ils avaient affaire à «un tigre de papier». L’Iran a pris pied non seulement en Syrie et au Liban, mais à présent en Irak et au Yémen. Pour des raisons inexpliquées, les Kurdes, les seuls qui avaient freiné l’expansion de Daesh, ont été abandonnés à leur triste sort. La «pax americana» a laissé place au chaos, à la destruction et au désespoir.
            Bien sûr, Trump avait lancé il y a un an 59 Tomahawks sur une base aérienne syrienne d’où provenaient les attaques chimiques. Bien sûr, les Alliés ont à nouveau attaqué le sol syrien le 13 avril 2018 avec 105 missiles. Mais l’opinion occidentale a considéré ces attaques comme symboliques sans que l’on sache d’ailleurs leur effet dévastateur parce qu'elles n’ont pas ébranlé le régime syrien et, surtout, parce qu'elles n’ont pas engendré la colère russe. Quelques frappes chirurgicales n’ont pas redoré le blason américain. Au contraire elles ont poussé Assad à éradiquer le dernier bastion de l’opposition syrienne, déjà presque décimée.
            Donald Trump donne l’impression d'agir avec esbrouffe. Par deux fois, il a laissé le champ libre aux Russes, en particulier au sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique au Vietnam, pour privilégier un accord de paix afin de justifier le rapatriement des troupes américaines. Or la Stratégie de sécurité nationale des États-Unis semble caduque. Alors qu’elle était censée «contrer la subversion russe, lutter contre le principal État sponsor du terrorisme et neutraliser l'influence maligne iranienne», ce ne furent que de belles paroles puisque Moscou, Téhéran et Ankara continuent à décimer, chacun avec son intérêt personnel, les troupes anti-Assad et les Kurdes.

            La Russie a même retiré ses troupes dans le nord-est de la Syrie pour laisser les Turcs libres d’envahir la zone kurde. Elle a renforcé sa base navale dans le port méditerranéen de Tartous et sa base aérienne à Hmeimim, pour avoir la plus grande base de la région. Et pendant ce temps, à force de privilégier artificiellement la paix, les Américains observent, passifs, les Russes armer la Syrie, l’Iran et la Turquie avec des systèmes de défense antimissiles S-400. Les Russes s’infiltrent partout, même en Égypte où ils ont obtenu des droits d'atterrissage sur les bases militaires égyptiennes.
Qasem Soleimani

            Le général Qasem Soleimani, commandant iranien de la Force Qods, défie ouvertement l’ONU. Il est partout. À Moscou pour rencontrer Poutine, en Irak comme «conseiller militaire» des forces chiites Hashd al-Shaabi qui, avec le Hezbollah, ont nettoyé ethniquement de vastes étendues de territoire. Il a permis l’édification d’un couloir iranien à travers l'Irak, la Syrie et le Liban vers la Méditerranée. Israël y voit une nouvelle voie terrestre pour la fourniture d’armement au Hezbollah mais aussi pour réduire les distances permettant à l’Iran de l’attaquer sur tous les fronts, terrestres, aériens et maritimes.
            L’Iran et la Turquie, autrefois ennemis dans la lutte sunnites-chiites, se retrouvent avec des objectifs communs qui leur font oublier leurs divergences. Il s’agit de neutraliser et d’écraser les Kurdes, de soutenir le Qatar contre l'Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis et d’affronter Israël. Le défenseur des Frères musulmans sunnites fondamentalistes, Erdogan, n’a aucune moralité quand il faut avancer vers son rêve, à savoir l’émergence d’un nouvel Empire ottoman, grâce à son alliance avec l'Iran radical chiite. 
            Craignant de subir le même revirement d’alliance que les Kurdes, les Israéliens ont compris qu’ils ne pouvaient plus compter totalement sur Donald Trump. Alors ils assurent leur propre protection en attaquant des installations de recherche sur les armes chimiques et en détruisant la base iranienne en construction en Syrie. Le risque est grand qu’Israël et l’Iran s’affrontent militairement en Syrie car les Israéliens refusent d’abandonner leurs alliés kurdes, sacrifiés à l’aune d’un règlement déséquilibré du conflit syrien.
Convoi turc contre les Kurdes

            La Stratégie de sécurité nationale de Trump devrait pourtant empêcher Moscou, Téhéran et Ankara de construire un nouveau Moyen-Orient, taillé à leurs mesures, afin de remettre en selle le leadership américain. Pour l’instant il ne s’agit que d’une illusion.

3 commentaires:

  1. Les USA ont, de facto, abandonne le Moyen-Orient. Il y a une raison a cela: ils n'ont plus besoin des ressources energetiques de ces regions et exportent deja leurs propres productions. Trump sait tres bien qu'il ne pourra proposer un plan de paix quelconque. Il maintiendra son aide militaire a Israel, sans la presence d'un seul Americain.
    Dans une autre partie du globe, Trump est entrain de faire pire: en Coree. En acceptant de rencontrer le dictateur nord-coreen il lui donne la legitimite que celui-ci cherchait en dehors de la Chine. Il est possible que la Coree du Sud tombe, voire meme le Japon. Cela permettrerait a l'industrie automobile americaine de renaitre de ses cendres. Et Trump realiserait ainsi son motto: "America first".
    Je ne suis pas tres sur qu'Hillary Clinton aurait fait autre chose.
    Les USA sont entrain de perdrf leur hegemonie mondiale en faveur d'une nouvelle super-puissance, agissnt discretement, dans l'ombre, la Chine.

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  2. Marianne ARNAUD21 avril 2018 à 09:53

    @ Georges KABI

    Pour répondre à votre question : "Je ne suis pas très sûr qu'Hillary Clinton aurait fait autre chose", je vous propose la réponse de Poutine : "Si les présidents des États-Unis changent, la politique américaine reste toujours la même."
    Je me permets de vous renvoyer à ces vidéos passionnantes de conversations entre Poutine et Oliver Stone entre 2015 et 2017 :

    https://www.youtube.com/watch?v=4DzAwLN8cTs

    Très cordialement.

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  3. Les acteurs de l'affrontement annoncé sous le nom de code GOG OU MAGOG se mettent en place. On va vivre une époque formidable. Espérons que nous serons à même de mériter à nouveau des miracles.

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