LE QUAI D’ORSAY APPELLE ISRAËL À LA RETENUE
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Le Quai d'Orsay |
Fidèle à lui-même, le Quai d'Orsay rappelle «les
autorités israéliennes à leur devoir de protection des civils et leur demande
d'agir avec la plus grande retenue» à la suite de la mort de 16
Palestiniens dans la bande de Gaza. Paris a également dit rappeler le «droit
des Palestiniens à manifester pacifiquement» et dit souhaiter que «les
deux parties fassent cesser la crise humanitaire que traverse la bande de Gaza».
Le Quai d'Orsay suggère notamment que le blocus instauré par les autorités
israéliennes soit levé, de même que la «levée des mesures
restrictives».
Romain Nadal, porte-parole du Quai |
Les diplomates de l’ambassade de France
à Tel-Aviv n’avaient pas apprécié mon article publié chez Slate en
février 2018. Un passage les avait en particulier choqués :
«En froid depuis le vote de la France en faveur de la résolution condamnant la décision américaine de transférer son ambassade à Jérusalem, Français et Israéliens vont se retrouver en février autour de bons plats et de bons vins, pour réchauffer les cœurs, délier les langues et reprendre contact. Depuis les votes négatifs à l’Unesco et après le vote de la France en faveur de la résolution condamnant la décision américaine de transférer son ambassade à Jérusalem, les relations entre Israël et la France sont –c’est un euphémisme– très froides».
Les diplomates français ont estimé
qu’il y avait dans ces propos un contre-sens et que les relations
bilatérales étaient excellentes. Cela dépend en effet de quel bout de la
lorgnette on observe les faits. Si on se fonde sur les nombreuses visites de ministres
et hauts personnages français, alors la diplomatie française est active en
Israël, sans nier cependant que les relations entre la diplomatie française et
Israël ont toujours été extrêmement conflictuelles. Au moment où les
bouleversements géopolitiques, nés des révolutions arabes, sont perçus en Israël
comme le meilleur ou le pire, les péripéties de la diplomatie française sont
aussi suivies avec attention.
Les relations diplomatiques entre la
France et Israël subissent les turbulences d’un couple : l’idylle, la passion,
la haine, le divorce et finalement une normalisation née d'une certaine
lassitude. Il n’y a eu qu’une seule trêve entre les deux pays, du temps de la
gouvernance socialiste de 1948 à 1958, uniquement parce que les gouvernements
de l’époque ont tenu à l’écart le Quai d’Orsay. C’est le Quai qui avait en
effet bloqué la reconnaissance de l’État d’Israël décidée par David Ben Gourion
le 14 mai 1948. Alors que le Etats-Unis et la Russie reconnurent Israël, «de
jure», dès le lendemain, le gouvernement de la République française décida
de reconnaître le Gouvernement provisoire d’Israël comme gouvernement «de
facto» plusieurs mois après, le 24 janvier 1949, presque contraint et
forcé. Le Quai craignait déjà pour les relations avec les pays arabes.
L’épisode gaulliste de 1958 à 1968
fut la période la plus noire des relations franco-israéliennes. On reconnaît
d’ailleurs l'influence du Quai dans le discours du 28 novembre 1967 quand le
Général définit Israël comme «un État guerrier résolu à s’agrandir» et
s’en prit aux Juifs comme «peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur».
Lorsque de Gaulle perdit le referendum de 1969, l’ambassadeur à l’ONU,
Armand Bérard, exprima l’émotion du ministère des Affaires étrangères en
s’exclamant : «C'est l'or juif qui en est la cause !».
Claude Goasguen |
Le gouvernement français est libre
dans ses choix politiques et sa politique étrangère ne doit pas être soumise à
l’imprimatur d’Israël. Mais il semble évident que des relations privilégiées existent
avec les potentats arabes et que toute la politique de la France est fondée sur
un pragmatisme économique dans lequel Israël a peu de place. Ainsi, l’on ne peut
que croire l’affirmation du député Claude Goasguen qui nous avait affirmé lors
d’une interview : «En vérité la politique étrangère en France est réservée
à une poignée d’individus sans contrôle. Le président de la République, un
petit peu le ministre des Affaires étrangères qui n’a pas grand pouvoir et le
Quai d’Orsay. L’Assemblée nationale ne connaît rien de la politique étrangère
de la France. En tant que député, j’apprends tout par la presse, comme vous.
Nous sommes le seul pays à avoir un homme et un seul à l’Élysée, avec le secrétaire
général du Quai qui décide de tout et qui est par nature en dehors de toute
responsabilité politique»
Gaza comité de coordination |
Le Quai d’Orsay est dans son
rôle quand il publie son opinion à l’occasion des événements meurtriers de
Gaza. Mais le déséquilibre de sa déclaration affaiblit son influence en Israël
et lui enlève toute possibilité de se poser en arbitre dans le dialogue
israélo-arabe, n’en déplaise aux diplomates de l’ambassade dont le rôle est de gommer les aspérités. Pourtant, les Israéliens considèrent que la France est
un partenaire indispensable dans le processus de paix en raison de ses
relations amicales avec les pays arabes.
La mauvaise foi est caractéristique des
déclarations du Quai. En insistant sur la «levée des mesures restrictives»,
il feint d’ignorer qu’il existe en fait un double blocus égypto-israélien en
vigueur depuis 2007, année de la prise du pouvoir par le Hamas. Le terminal de
Rafah avec l’Égypte est totalement verrouillé tandis que des centaines de
camions traversent tous les jours les passages israéliens pour alimenter Gaza
en produits, à l’exception des armes et des matériaux de construction des
tunnels. Même les voitures Mercédès entrent librement dans la bande.
La
crise humanitaire que traverse la bande de Gaza n’est pas du seul fait
d’Israël mais en particulier de l’Autorité palestinienne. Le Quai n’a fait
aucune pression sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle verse les salaires
dus aux Gazaouis, pour que des liquidités en surnombre en Cisjordanie soient injectées
à Gaza et pour qu’elle résorbe le chômage de 50%. Le Quai n’a pas mis en garde
le
Comité de coordination pour la grande marche du Retour sur les risques d’un
débordement des émeutiers chauffés à blanc par des discours nationalistes inefficaces :
«Le Comité de coordination a identifié un certain nombre d'événements
populaires pour faire face à l'occupation et briser l'arrogance de la sécurité
israélienne qui a essayé d'être imposée à notre peuple et l'empêcher
d'approcher des frontières artificielles entre la bande de Gaza et nos terres
historiques occupées». Considérer que les frontières sont artificielles
c’est pousser les manifestants à les détruire et à envahir le territoire israélien.
Victimes "civiles" du Hamas |
Le
Quai n’a pas analysé la constitution du Comité de coordination, qui comprend
des forces nationales mais aussi des factions islamiques et djihadistes qui ne
sont pas des enfants de chœur. Quand le
chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, avertit que la «marche
du retour» ne s'arrêtera pas forcément à la frontière d'Israël, c’est
un encouragement à s’en prendre aux forces de l’ordre israéliennes qui garantissent
la sécurité du pays et de sa population, «Vendredi nous nous sommes
arrêtés à la frontière, la prochaine fois nous ne savons pas où la frontière
sera». Ces déclarations sont loin d’être pacifiques; elles enflamment les passions; mais le Quai veut les
ignorer dans sa position naturellement et historiquement anti-israélienne.
La conclusion revient à un diplomate
israélien, Arie Avidor, longtemps en poste à Paris :
«Le Quai d’Orsay décerne le label “manifestation pacifique” à la tactique agressive inédite du Hamas destinée, selon ses propres termes, à violer au moyen de gigantesques mouvements de populations la frontière d’Israël et à investir son territoire. Ni les objectifs déclarés ni les provocations du Hamas, dont le nom n’est même pas cité, ne sont condamnés dans ce communiqué. Préoccupation certes, appel à la modération soit, mais de là à accorder ainsi un blanc-seing aux visées d’une organisation terroriste, non ! En fait de réaction déséquilibrée, ce genre de communiqué en est une, propre à indigner et à désespérer les plus modérés (dont je suis)».
Israel a l'habitude depuis des decennies de cette constante réaction pavlovienne émanant du Quai d'Orsay ...au point de n'y accorder plus aucune importance, la France n'ayant plus l'influence qu'elle pense encore posseder au Moyen-Orient. La meilleure réponse d'Israel est silencieuse, adoptant la philosophie de Lao-Tseu :'quand une femme te parle souris lui et ne réponds pas" (à prononcer avec l'accent chinois pour faire son effet)
RépondreSupprimerCher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerLisant votre article intitulé : "Nous sommes imbattables sur le plan militaire", je pensais à ces batailles gagnées par la France où elle avait été "imbattable sur le plan militaire", mais où elle n'avait pas pu gagner la paix. Et je me disais que ce n'était certainement pas la France, dont Thierry de Montbrial dit qu'elle est "quelque peu lézardée" qui pourra aider Israël à gagner la paix. Car insiste-t-il : "Un pays dont l'identité est durablement et gravement fracturée peut difficilement mener une politique étrangère forte."
Très cordialement.
Bonne plume...👌
RépondreSupprimerFélicitations pour cet article qui résume fort bien les contradictions et les préférences flagrantes du quai d'Orsay.
RépondreSupprimerLe quai d'Orsay par essence n'aime pas Israel et je me retiens d'aller plus loin.
Demander à Israel de réduire ses réponses, c'est en même temps retourner le problème (ne pas demander au hamas de cesser ses provocations) et diaboliser ce pays.
Et ainsi de favoriser les actes extrémistes qui se passent en France.
On n'attends pas grand chose du quai d'Orsay et on observe la convergence d'une certaine droite et d'une certaine gauche.
Cordialement.
Pour une fois je ne vous suivrai pas, ni surtout la politique de Benanyahou (que je n'ai jamais suivie). Quelle que soit la provocation évidente du Hamas, personne au monde ne justifiera des tirs de snipers sur des gens sans armes. Réfléchissez-y froidement, car à ce train un jour ou l'autre plus personne ne vous soutiendra.
RépondreSupprimerC’est bien de rappeler le droit de manifester pacifiquement, mais avez-vous déjà vu le Hamas organiser quoi que ce soit de pacifique? Cette manif n’avait pas d’autre objectif que de faire le plus possible de morts.
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