LA RÉVOLUTION IRANIENNE MANQUE DE
LEADER
Par Jacques BENILLOUCHE
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La révolution iranienne ne peut pas réussir sans
l’avènement d’un leader charismatique capable de représenter la diversité de la
population. D’ailleurs l’échec des Printemps arabes était dû à l’absence
d’un relais politique pour remplacer les dictatures. Les manifestations en Iran
ont seulement révélé la situation conflictuelle existant entre les
Conservateurs qui tiennent réellement le pays et les services de sécurité et
les soi-disant modérés du président Rohani.
Khamenei et son Etat-major |
Il a fallu que le Guide suprême, Ali Khamenei, hausse le
ton le 2 janvier pour que le calme revienne aussitôt sachant que les forces de
sécurité ne sont pas des enfants de chœur. Et pourtant de nombreux rassemblements
ont eu lieu dans plusieurs villes, à Touyserkan dans l’ouest du pays où
six personnes ont été tuées, à Chiraz et à Kharadj, ville populaire et de classes
moyennes située en périphérie de la capitale, ainsi qu’à Téhéran. Depuis, les media
d’État ont dénombré au moins 21 morts tandis que plus de mille personnes ont été
arrêtées, dont 450 à Téhéran.
Les
manifestants n’avaient aucune chance de réussir. D’ailleurs l’ouverture
manifestée par le président Hassan Rohani, qui avait été sensible à la colère
de ceux qui dénonçaient la stagnation économique et politique du pays, a été
vite contrée par le Guide qui a marqué les esprits en accusant l’étranger
d’infiltrer la population et d’utiliser «l’argent, les armes, l’influence
politique et leurs services de renseignement pour peser sur les événements».
La maladresse de Donald Trump et du Département d’État,
qui se sont précipités à encourager les protestataires, a discrédité et effrayé
les contestataires et empêché toute propagation de la contestation. Même l’ex-président Mohammad Khatami, n’a rien pu
faire face à un mouvement sans leader et il a été forcé de condamner «les
fauteurs de troubles» et la «profonde duperie» des Etats-Unis
pour ne pas subir les foudres des autorités.
Bien que l’ensemble du monde occidental ait été pris au
dépourvu par le déclenchement soudain de manifestations à Mashhad, Qom et dans
d’autres villes de province, Donald Trump et Benjamin Netanyahou ont accueilli
la nouvelle avec emphase. Netanyahou a critiqué l’establishment
religieux : «Je souhaite au peuple iranien du succès dans sa noble quête de
liberté. De courageux Iraniens affluent dans les rues. Ils veulent la liberté.
Ils veulent la justice. Ils veulent les libertés fondamentales qui leur étaient
refusées depuis des décennies. Le régime cruel de l’Iran gaspille des dizaines
de milliards de dollars à propager la haine. Quand ce régime tombera enfin, et
un jour il tombera, les Iraniens et les Israéliens seront de nouveau de grands
amis». C’était un peu prématuré puisque la révolution a été
étouffée dans l’œuf. Dans une déclaration anticipée l’Américain et
l’Israélien ont obtenu l’effet inverse en suscitant l’appel au rassemblement de
toute la population contre les ennemis étrangers, ce qui est la
pierre angulaire des régimes dictatoriaux.
Maryam Radjavi,chef des Moudjahidine du peuple |
Les Moudjahidine du peuple, principal groupe d’opposition
en exil en banlieue parisienne, ont été peu entendus car ils ont reçu l’ordre du gouvernement français
d’éviter «d’encourager la violence» à la veille du voyage du président
Macron.
Le Tribunal révolutionnaire de Téhéran n’est pas allé de
main morte lui-aussi puisqu’il a menacé de la peine de mort les agitateurs qui
chantaient des slogans hostiles au guide et aux Conservateurs qui ont d’ailleurs
rejoint les critiques de la rue contre Rohani, accusé d’être responsable des mauvais
résultats économiques. Le président a effectivement déçu ceux qui croyaient que
l’accord de 2015 sur le nucléaire allait permettre une reprise économique. La
confiance dans sa capacité à résoudre les problèmes a disparu.
Mais les mouvements de protestations ne sont ni
organisés, ni dirigés par un vrai leader. C’est certes un problème pour les
manifestants mais aussi pour le pouvoir en place. Le mécontentement est diffus
et profond mais s’il n’est pas géré, il peut vite tourner en mouvement de
type révolutionnaire. En absence de leader, le régime ne voit pas de mot
d’ordre clair qui peut lui permettre de riposter avec efficacité.
En réalité, il suffisait de laisser mûrir cette perte de
confiance qui s’est développée entre les Conservateurs et les modérés. Des institutions
étatiques et des fondations religieuses ainsi que le clergé étaient vent debout
depuis que Hassan Rohani les avait frontalement accusés de piller les deniers
publics. Il avait demandé aux parlementaires de «réduire les financements
de ces institutions, dont personne ne sait qui a la charge».
La rupture est totale entre la population et
ses dirigeants de tous bords. Les élites sont
attaquées et l’on ne voit pas comment peuvent être engagées de véritables
réformes. Il est prématuré de mesurer les conséquences de ces troubles dans le
pays. Les
forces de sécurité ont entamé une contre-attaque qui a causé des morts car ils
savent qu’ils seront les premières victimes en cas de chute du régime.
Dans
l’attente d’un véritable leader de l’opposition, la technique consiste à se
montrer discret lorsque le régime semble vaciller.
Il ne faut pas l’aider à se distraire de ses problèmes. Sans intervention
extérieure, la population n’a pas d’autre choix que de se concentrer sur le régime qu'Israël et les États-Unis ont peut-être aidé à s’en sortir en intervenant; ils ont torpillé le mouvement de libération de l’Iran. Ces deux pays donnent
l’impression qu’ils s’adressent plus à leur public national qu’au public
iranien.
L’avenir
est incertain car les manifestants de 2017 sont complétement
différents de ceux de la révolution verte de 2009. Ceux d’aujourd’hui sont
largement non hiérarchisés, mécontents et apolitiques. Leurs demandes sont
radicales et contradictoires et pas canalisées par un chef incontestable. Soit les
manifestants arrivent à balayer tout sur leur passage comme un tsunami, soit,
comme en 2009, ils rentrent dans le rang et choisissent de se faire oublier
jusqu’à l’arrivée d’un Messie politique.
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