LES ÉGYPTIENS ONT RATÉ LE COCHE AVEC LEURS
JUIFS
Par Jacques BENILLOUCHE
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Trois
pays arabes au moins ont raté le coche avec leurs Juifs : la Tunisie, l’Égypte
et la Libye. Le suivisme arabe n’a pas permis à ces pays arabes de reconnaître
la création de l’État d’Israël en 1948. Cette décision aurait rassuré les
nombreux Juifs très intégrés depuis des siècles dans ces pays sans aucune
intention de les quitter, malgré la propagande sioniste intense de l’époque. Ils
ne voyaient aucune raison majeure de quitter leur pays natal. Aujourd’hui la
question légitime se pose de comprendre comment la communauté juive d’Égypte,
installée avant les Arabes et bien avant l’ère chrétienne, a pu ainsi totalement disparaître du paysage local.
Juifs égyptiens |
Les
Juifs égyptiens constituaient pourtant la plus vieille communauté juive du monde
en dehors d'Israël. Dans les papyrus d'Éléphantine, couvrant la période de 495
à 399 av. J.-C, il est fait mention d'une communauté de soldats juifs chargés
de garder la frontière égyptienne pour le compte de l'Empire achéménide. L'histoire
des Juifs alexandrins date de la fondation de la ville par Alexandre le Grand
en 332 av. J.-C, à laquelle ils ont participé. Mais cette grande communauté
fut pratiquement anéantie par l'armée de Trajan, lors d'une révolte en 115-117.
L'invasion
arabe de l'Égypte fut soutenue par les Coptes et les autres Chrétiens, mais
aussi par les Juifs, en délicatesse avec l'administration corrompue du
patriarche Cyrus d'Alexandrie. En effet, les Juifs avaient souffert avec les
anciens maîtres de l'Égypte. En 629, l'empereur Héraclius avait chassé les
Juifs de Jérusalem, entraînant leur massacre d'un bout à l'autre de l'empire, y
compris en Égypte. Le Traité d'Alexandrie du 8 novembre 641, qui scella la
conquête arabe de l'Égypte, stipula expressément que les Juifs étaient
autorisés à rester dans la ville. Lors de la conquête de la ville, Amru ben
al-As, dans sa lettre au calife, relata que 40.000 Juifs y vivaient. Rien n’a
été écrit sur les Juifs sous les califes omeyyades et abbassides (641-868),
mais le règne des Fatimides fut dans son ensemble favorable aux Juifs. Des
écoles talmudiques furent crées tandis que des Juifs purent accéder à des
positions élevées dans la société égyptienne, comme Ya'qub Ibn Killis.
Au
commencement du XIIe siècle, un Juif du nom d'Abu al-Munajja ibn Sha'yah, fut
nommé à la tête du département de l'agriculture. Il avait construit l’écluse du
Nil en 1112 qui porta son nom «Bahr Abi al-Munajja». Le
vizir Al-Afdhal (1137) avait nommé un Juif comme ministre des finances. La vie
des communautés juives d'Égypte au XIIe siècle fut relatée par les témoignages
d’érudits juifs et par des voyageurs. Ainsi vers 1160, Benjamin de Tudèle porta
un témoignage sur les communautés juives rencontrées en Égypte précisant qu’au
Caire vivaient 2.000 Juifs, à Alexandrie 3.000, à Damiette 200, à Bilbeis 300
personnes et à Damira 700.
Benjamin de Tulède |
L'orthodoxie
rigide de Saladin (1169-1193) n’avait pas affecté les Juifs de son royaume. En
1166, Maïmonide se rendit en Égypte et s'installa à Fostat, première capitale
de l’Égypte, en tant que médecin. Il soigna la famille de Saladin et de ses
successeurs ce qui lui permit d’obtenir le titre de «Raïs al-Umma»
(chef de la Nation). Il y écrivit son Mishné Torah (Répétition de la
Torah) en 1180 et le Moré Névoukhim (Guide des égarés).
Sous
la dynastie mamelouke des Baharites (1250-1390), les Juifs menèrent une
existence relativement paisible, bien qu'ils fussent obligés de payer de
lourdes taxes pour l'entretien des équipements militaires, et qu'ils fussent harcelés
par les musulmans rigoureux. Le 22 janvier 1517, le sultan turc, Selim Ier,
prit le pouvoir en écrasant Tuman Bey, le dernier sultan mamelouk. Il effectua
des changements radicaux dans l'organisation des communautés juives et nomma
Abraham de Castro «Maître de la Monnaie».
L'invasion
de l'Égypte par Napoléon en 1798, avec son apport d'idées et de technologies
nouvelles de l'Occident, marqua un tournant dans l'histoire des Juifs du
Moyen-Orient. Les Juifs européens devinrent une sorte de modèle, tandis que la
modernité pénétra dans les mœurs. Les puissances européennes jouèrent un rôle
de plus en plus important dans la protection des Juifs et des autres minorités.
Alors que la guerre civile aux Etats-Unis entraîna l'arrêt des exportations du coton américain,
l'Égypte devint vers 1860 un exportateur majeur de coton vers la France et
l'Angleterre. L'enrichissement considérable qui s'ensuivit lui permis
d'entreprendre de grands travaux, comme la construction du canal de Suez en
1869. À cette occasion, le pays attira de nombreux hommes d'affaires, y compris
des Juifs, et la population juive s'accrut. Les crises économiques et
politiques consécutives à une modernisation trop rapide conduisirent à
l'occupation pure et simple de l'Égypte par l'Angleterre afin d'assainir son
économie. Elle se transforma en protectorat en 1914 qui ne prit fin qu'avec son
indépendance, en 1936. La condition juive changea à partir de 1919, lorsque les
Anglais accordèrent une indépendance nominale au pays tout en gardant le
contrôle sur différents domaines, notamment la protection des droits des
minorités, et donc des Juifs.
La
communauté juive comprenait environ 7.000 personnes au milieu du XIXe siècle et
25.000 au tournant du XXe. On dénombrait 60.000 Juifs vers 1918, et environ 80.000 vers la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L'essor démographique des Juifs
s'expliqua en partie par les migrations sépharades à partir de divers pays de
l'Empire ottoman. Celles des Achkénazes d'Europe de l'Est connurent un net
accroissement lorsque 11.000 Juifs ashkénazes chassés du Yichouv par les Ottomans
en 1914-1915 vinrent grossir leur nombre en Égypte. Tous ces émigrés Juifs
s'installèrent au Caire et à Alexandrie.
Les
Juifs d'Égypte se caractérisaient par une hétérogénéité culturelle parce qu’ils
avaient conservé intacte la marque de leurs origines historiques et
géographiques. Au plus bas de l'échelle socio-économique, les Juifs indigènes
(15%) avaient intégré la culture égyptienne et parlaient l'arabe égyptien, ils
étaient concentrés dans le quartier Juif du Caire. Au même échelon, les Juifs
originaires de pays arabes de l'Empire Ottoman, d'Afrique du Nord et du Yémen,
restés fidèles à leurs traditions et usages, étaient regroupés dans les quartiers
pauvres d'Alexandre et de Port-Saïd. Quelques familles d'Afrique du Nord, de
Syrie ou d'Irak, actives dans le commerce international, appartenaient aux
classes moyenne et supérieure, elles avaient assimilé la culture des classes
égyptiennes supérieures. La communauté comprenait, en outre, des Juifs de la
péninsule Ibérique, des Juifs grecs et des Juifs italiens fortement identifiés
à la culture italienne même sous le régime fasciste de 1942-1944.
Juifs égyptiens |
Les
Sépharades, divisés en groupes différenciés socio- économiquement, faisaient
partie de la communauté juive dans son ensemble tout en conservant leur
identité propre dans leurs rites, leurs synagogues et leurs organisations.
Comme les Sépharades, les Achkénazes formaient des sous-groupes, chacun avec
ses coutumes et la langue particulière au pays d'origine, soudés toutefois par
une langue commune, le yiddish, parlée par 90% d'entre eux.
Après
la Première Guerre Mondiale, les Juifs rejoignirent le parti politique de
gauche Wafdt et d'autres œuvrant pour l'indépendance de l'Égypte et la fin de
l'occupation britannique au risque de leur vie pour certains, comme David
Hazan, condamné à mort par les Anglais en 1923. Le Parti communiste égyptien,
fondé au début des années 1920, s'enracinait dans le mouvement socialiste juif
Bund, crée en 1905 par les Juifs ashkénazes au Caire. Les Juifs adhéraient au
discours politique égyptien prônant une solution marxiste aux problèmes de la
société et une identité nationale fondée sur la laïcité. Certains faisaient
partie du Parlement égyptien jusqu'en 1960, notamment le grand rabbin Haïm
Nahum.
L’arrivée
au pouvoir d'Hitler en 1933, bouleversa cet équilibre entre Juifs et Égyptiens.
La propagande antijuive nazie gagna du terrain parmi la communauté allemande en
Égypte, ce qui suscita la formation d'associations juives luttant contre
l'antisémitisme qui eurent un succès limité car l'Allemagne était un partenaire
économique important de l'Égypte. Avec la poussée allemande en Afrique du Nord
vers l'Égypte, les Juifs cherchèrent refuge au Caire. Ils participèrent à
l'effort de guerre, soit en combattant dans les armées alliées, soit en prenant
part à la défense civile.
Au
lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la communauté manifestait aucun intérêt
pour le sionisme mais les Egyptiens n’en tinrent pas compte. Et pour preuve ;
en réponse aux violentes manifestations du 2 novembre 1945 en faveur de la
Déclaration Balfour, et aux émeutes accompagnées de l'incendie de synagogues et
du pillage de magasins juifs au Caire, le grand rabbin de l'époque réagit, dans
une lettre au Premier ministre d'Égypte, en se dissociant de la revendication
d'un État juif en Palestine. L'activité sioniste légale fut faible jusqu'en
1947 en raison des désaccords liés aux écarts socio-économiques, aux tensions
ethniques entre Sépharades et Achkénazes et au pluralisme linguistique.
Les 80.000 Juifs, qui vivaient en Egypte en 1948, quittèrent le pays en trois vagues. La
situation des Juifs d’Égypte s’était peu à peu dégradée après 1948. Ils furent
suspectés d’être des sympathisants sionistes et de nombreuses personnes furent
emprisonnées et leurs biens séquestrés. Environ 20.000 Juifs quittèrent
l’Égypte entre mai 1948 et janvier 1950 et beaucoup partirent pour Israël. La
chute du roi Farouk ne rassura pas une communauté déjà visée par le
gouvernement égyptien. Le coup d’État qui avait instauré la république épargna
dans un premier temps la communauté mais l’arrivée au pouvoir de Gamal Abdel
Nasser qui nourrissait des desseins nationalistes et panarabistes inquiéta
encore un peu plus la communauté juive du pays. Alors que Nasser ambitionnait
de réduire l’influence européenne à l’intérieur du pays, la crise du canal de
Suez d’octobre 1956 fut l’occasion d’expulser une partie des populations
étrangères, y compris les Juifs égyptiens dont les biens avaient été
confisqués. Mais Israël ne fut pas la destination privilégiée. Le choix de la
France fut une évidence pour de nombreux juifs d’Égypte par suite d’un attachement
culturel au pays.
Nasser et la Guerre de Six-Jours |
À la
suite de la Guerre des Six-Jours de 1967, le gouvernement
égyptien envoya des Juifs, plus de 500, dans des prisons et des camps de
prisonniers. Même le Grand Rabbin d'Alexandrie avait été
arrêté. Enragés de leur incapacité à vaincre l'État juif, les Égyptiens
ont transformé leur colère contre les Juifs qui ont été enfermés pendant de
long mois après la fin de la guerre, certains jusqu’en 1970.
Synagogue au Caire |
Aujourd’hui les synagogues sont
vides et six femmes âgées vivent encore au Caire, une douzaine à Alexandrie
sous la responsabilité de Youssef Gaon. L'Égypte compte une dizaine
de synagogues et d'innombrables objets religieux, souvent délaissés. Les
Arabes n’avaient pas compris que les Juifs, en majorité apolitiques,
n’entrevoyaient pas de vivre ailleurs qu’en Égypte parce qu’ils se qualifiaient
d’abord d’Égyptiens et qu'ils étaient viscéralement attachés à leur pays natal. S’ils avaient épargné les Juifs comme dans tous les autres
pays occidentaux, le cours de l’Histoire de l'Egypte aurait, peut-être, été changé.
RépondreSupprimerJacques Benillouche nous raconte ou plutôt nous conte la vie des Juifs en Égypte depuis l'Antiquité.
Cette Communauté fut florissante de certains de ses Membres occupèrent des Postes de Première Importance.
Maintenant, pouvons-nous parler de "Communauté Juive Égyptienne", alors qu'elle est réduite à quelques Personnes Âgées ?
je regrette l'utilisation du terme arabe pour désigner les 'Autres' égyptiens. c'est assez flagrant dans un document qui dénombre la diversité culturelle et les différentes communautés juives qui comptent quelques dizaines des milliers de personnes; et met 200 millions des 'Autres' sous une même étiquette, presque péjorative. ça aura été, à mon avis, bcp plus pertinent de parler d'égyptiens et non pas d'arabes.
RépondreSupprimerA part ça, j'ai beaucoup appris en lisant cet article
Ils ne furent pas les seuls à ne pas tenir compte de nos communautés dans ce pays d'Egypte et du moyen-orient en général, hélas.
RépondreSupprimerMaintenant il est trop tard !
Il est intéressant de savoir un peu plus sur les Juifs de l'Algérie, mon pays où j'y vis, en tant qu'Algérien de souche profonde, depuis ma naissance. Les faits historiques connus permettent de bien apporter la clarté, s'agissant de la présence des Juifs en Afrique du Nord, lorsqu'on est face aux anti-sémites locaux, sevrés encore au biberon de l'arabo-islamisme désuet , poison anti-juif importé du Proche Orient.
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