STRATÉGIE MILITAIRE D'ISRAËL
1/2 ÉVOLUTION
Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
Deux roquettes ont frappé le 22 septembre 2017 l'aéroport de Damas à l'aube, tirées selon la télévision libanaise par des chasseurs israéliens en dehors de l'espace aérien syrien. Elles visaient à déjouer les expéditions d'armes iraniennes vers les forces du Hezbollah au Liban. À cette occasion nous analysons la pensée stratégique israélienne. Nous consacrons donc deux articles, l’un sur l’évolution de la stratégie militaire de Tsahal et l’autre sur les deux unités militaires les plus secrètes, unité 8200 et unité 81.
Eizenkot avec la brigade Golani |
La stratégie israélienne est tiraillée entre une vision pragmatique et réaliste conçue par les stratèges militaires et une vision idéologique d’une classe politique qui a tendance à prendre le pas sur l’institution militaire, longtemps respectée au temps du sionisme historique. En fait, il n’existe qu’une seule pensée stratégique car seul le rapport des forces compte. Les dirigeants israéliens estiment que pour être respectés, ils doivent afficher leur puissance et parfois s’en servir. Dans son traité de stratégie militaire, le général prussien Carl von Clausewitz estimait que «la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens».
Mais
les dirigeants restent prudents puisqu’ils privilégient le statu quo en
refusant l’anticipation. Ils donnent l’impression d’adopter une pensée
offensive sur le plan tactique et défensive sur le plan stratégique, ce qui
conduit au syndrome permanent de la «citadelle assiégée». Ce
sentiment est renforcé par l’aggravation de la guerre en Syrie, le changement
d’attitude des États-Unis au Moyen-Orient et la réinsertion de l’Iran dans le
concert des nations occidentales. Quitte à souffrir d’isolement, Israël a
choisi de revenir à ses fondamentaux.
Massada, citadelle assiégée |
Au
lendemain de l’opération Plomb durci de 2008/2009, Israël était persuadé
d’avoir rétabli sa position dissuasive, mise à mal par la guerre du Liban de
2006 durant laquelle tous les objectifs n’avaient pas été atteints. Les Printemps
arabes avaient pris les dirigeants israéliens par surprise en leur donnant
l’impression qu’à nouveau les menaces s’exerçaient sur tous les fronts, avec en
particulier l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Égypte. Mais le retour
des généraux égyptiens et le démantèlement de l’arsenal chimique syrien les avaient rassurés. Aujourd’hui le ministre de la Défense et le chef d’État-major sont astreints à concevoir une défense tous azimuts, face à l’Iran, face au
Hezbollah retranché au Sud-Liban, face aux combattants djihadistes présents en
Syrie, en Irak et dans la péninsule du Sinaï, face au Liban et à la Jordanie
qui pourraient basculer à leur tour dans la tourmente, face au Hamas qui rêve
de soulever une nouvelle fois le peuple palestinien, et face à l’Irak.
Le
pouvoir israélien est donc passé d’une situation gérable où il n’avait que
trois menaces potentielles, à des menaces multiples venant des territoires
palestiniens, du plateau du Golan, de la péninsule du Sinaï et plus
généralement des voisins arabes. Paradoxalement, l’Iran venait second plan.
Tsahal doit donc penser à une guerre tous azimuts et se préparer à toutes
formes d’affrontements : raid en profondeur, guerre urbaine, guerre mécanisée
de haute intensité, interception de missiles, action navale.
Pour relever ces défis, Tsahal a donc changé en se dotant d’armement sophistiqué et en développant un nouveau savoir-faire pour revenir aux principes fondamentaux qui lui ont assuré le succès initial : frapper fort, loin, le premier et par surprise, mobiliser rapidement les troupes, porter les combats en territoire adverse, diviser ses ennemis, conduire une guerre rapide, sanctuariser le territoire israélien et punir l’adversaire pour qu’il ne recommence pas.
Aéroport de Damas |
Pour relever ces défis, Tsahal a donc changé en se dotant d’armement sophistiqué et en développant un nouveau savoir-faire pour revenir aux principes fondamentaux qui lui ont assuré le succès initial : frapper fort, loin, le premier et par surprise, mobiliser rapidement les troupes, porter les combats en territoire adverse, diviser ses ennemis, conduire une guerre rapide, sanctuariser le territoire israélien et punir l’adversaire pour qu’il ne recommence pas.
L’armée
a toujours fait confiance à ses chefs qui ont réimposé un entraînement exigeant
pour regagner la maîtrise du combat d’infanterie et du combat urbain, pour retrouver
les synergies du combat interarmes et pour renforcer les capacités de frappe à
très longue distance. Le département C4I (Command, Control, Communications,
Computers and Intelligence) de Tsahal a été réinventé pour mieux synchroniser
les manœuvres d’effectifs disposant d’une plus grande puissance de feu.
Sur le plan stratégique, Les forces spéciales et l’aviation ont été entraînés pour intervenir aussi bien sur le territoire israélien et palestinien qu’au-delà des frontières, dans des raids en profondeur, à l’image de ce qui s’est fait contre Osirak, contre les leaders terroristes à Tunis, contre le site nucléaire syrien d’Al Kibar en septembre 2007, contre les convois d’armes du Soudan en 2009 et enfin, contre l’usine d’armement de Khartoum.
Avec des officiers du C4i |
Sur le plan stratégique, Les forces spéciales et l’aviation ont été entraînés pour intervenir aussi bien sur le territoire israélien et palestinien qu’au-delà des frontières, dans des raids en profondeur, à l’image de ce qui s’est fait contre Osirak, contre les leaders terroristes à Tunis, contre le site nucléaire syrien d’Al Kibar en septembre 2007, contre les convois d’armes du Soudan en 2009 et enfin, contre l’usine d’armement de Khartoum.
Tsahal
est en constante évolution pour amener en son sein les jeunes les plus
brillants et les plus volontaire, un grand nombre de volontaires juifs de la
Diaspora qui sacrifient leurs études pour donner trois ans de leur vie à
l’armée. Au point qu’aujourd’hui, elle a du mal à satisfaire les demandes de
ceux qui ne veulent pas être des jobnik, des planqués, et est contrainte
de multiplier les unités de forces spéciales.
Dix unités sont responsables de la lutte antiterroriste, de la reconnaissance et de l’action en profondeur :
Shaldag |
Dix unités sont responsables de la lutte antiterroriste, de la reconnaissance et de l’action en profondeur :
-Shaldag, unité d’élite des forces spéciales
de l’Armée de l’Air, spécialiste des missions CSAR (Combat Search And Rescue) recherche
et sauvetage de soldats au combat,
-Shayetet 13, unité d'élite de la Marine
israélienne spécialisée dans les incursions terrestres par la mer, le sabotage,
le contre-terrorisme, l'intervention sur prise d'otage en milieux maritime,
l'exécution d'opération spéciale et la guerre non conventionnelle.
-Egoz, front Nord, L’unité avait pour mission
de réaliser des missions loin derrière les lignes ennemies. Elle s’est spécialisée
dans la guérilla, le combat en terrain difficile, le scoutisme, le camouflage
et les techniques d’embuscade.
-Duvdevan, front Centre, directement
subordonnée à la zone de Cisjordanie. L'unité mène des opérations
anti-terroristes dans les régions urbaines de Cisjordanie en procédant à des
actions d'arrestations rapides et ciblées, réalisées sous couvertures, contre
les terroristes palestiniens. Ils sont amenés à porter des vêtements civils
arabes en guise d'un déguisement.
-Rotem, front Sud, commando d’élite déployé dans le sud d’Israël
-Tzanhanim, unité de parachutistes,
-Yahalom, unité spéciale d'ingénierie de
combat, chargée des démolitions précises, des désactivations et des
éliminations des bombes, des mines terrestres et des munitions non explosées.
Elle procède à du sabotage maritime, à la recherche et à la destruction de
tunnels de contrebande.
-Commando Rimon : commando d’élite déployé dans le sud
d’Israël consacré à la lutte anti-terroriste.
-Sayeret Maglan ou unité 212, spécialisée dans les
actions derrière les lignes ennemies en utilisant des technologies et des
armements de pointe. Il s’agit d’une unité relativement nouvelle, fondée
en 1986, mais rendue publique en 2006.
-Sayeret Matkal, l’élite de l’élite ou commandos
du chef d’État-major de Tsahal à qui on confie les missions jugées les plus
risquées ou les plus importantes. Ses principales fonctions sont la lutte
contre le terrorisme, la reconnaissance et le renseignement militaire. L'unité
est cependant d'abord et avant tout un moyen de collecte de renseignements,
notamment derrière les lignes ennemies.
Sayeret matkal |
Certains
raids mystérieux, non revendiqués par Israël, touchent des convois d’armes en
Syrie pour rappeler au Hezbollah et à l’Iran que le gouvernement israélien agit
partout où bon lui semble, pour empêcher ses adversaires de se renforcer. Tant
que la situation politique reste bloquée, Israël accélère la construction de
murs de protection autour du territoire israélien. C’est le cas au Sud où la
nouvelle barrière de sécurité, entre Israël et l’Égypte, vise à empêcher
l’infiltration de terroristes en provenance du Sinaï. La frontière avec Gaza
est presque hermétique même si parfois le sud du pays reçoit des tirs de
missiles. Au centre, le mur séparant Israéliens et Palestiniens est en cours d’achèvement
ce qui a réduit les attentats en Israël. Certains n’hésitent plus à considérer
cette ligne comme la future frontière en cas de création d’un État palestinien.
Au nord, la barrière de sécurité longeant la frontière syrienne a été
totalement reconfigurée et modernisée. Elle a été systématiquement grillagée,
renforcée, rehaussée et équipée de capteurs sophistiqués pour s’opposer aux
djihadistes du plateau du Golan. Enfin, la barrière séparant Israël du Liban
est en entretien constant pour empêcher toute infiltration en territoire
israélien.
Le
budget des forces terrestres a donc subi des financements prioritaires. En fait
Israël ne conçoit pas ces mesures comme des actions offensives mais comme une
volonté de crédibiliser sa stratégie de dissuasion. Il veut convaincre ses
adversaires, le Hamas ou le Hezbollah, de l’inutilité d’entamer les hostilités.
Le général Gadi Eizenkot, chef d’État-major,
est le père de la «doctrine Dahya» qui concerne la stratégie
militaire de la guerre asymétrique, prévoyant la destruction de l'infrastructure
civile des régimes considérés comme hostiles. Cette mesure a été conçue pour
refuser aux combattants l'utilisation des infrastructures locales. Elle approuve
l'emploi d'un «pouvoir disproportionné» pour garantir cette fin. L’intitulé
de la doctrine vient du quartier Dahieh de Beyrouth, où le Hezbollah avait
installé son siège au cours de la guerre du Liban de 2006. Ce fief avait été
fortement endommagé par Tsahal et ravagé par les bombardements israéliens lors
du conflit.
Dahyieh Beyrouth |
Gadi Eizenkot
voulait transmettre un message simple. Puisque le Hezbollah fait partie
intégrante du gouvernement libanais, c’est l’État libanais dans son ensemble qui
sera visé par d’éventuelles frappes israéliennes si la milice chiite déclenchait
à nouveau les hostilités contre Israël. C’est également le sens des frappes
aériennes ponctuelles en Syrie qui ont pour but d’éviter que des armes
chimiques ou sophistiquées, à l’instar des missiles balistiques, antichars, anti-aériens
ou antinavires, ne tombent entre les mains du Hezbollah.
Shimon
Peres, le père du programme nucléaire, n’avait pas hésité à lancer un
avertissement sibyllin sur le plan non conventionnel : «je suggère à nos
ennemis de ne pas sous-estimer nos capacités militaires, qu’elles soient
visibles ou dissimulées». En effet, la presse militaire étrangère prétend
qu’Israël disposerait de 80 ogives atomiques, ce qu’aucun Israélien n’a jamais confirmé.
Mais
Israël fait face à un paradoxe. Alors qu’il n’a jamais disposé d’un outil
militaire aussi puissant et technologiquement aussi avancé, il lui difficile de
garantir la sanctuarisation du territoire israélien vulnérable aux tirs de
roquettes et de missiles. La population civile comprend mal que Tsahal soit
incapable d’intercepter de vulgaires roquettes et obus de mortier, alors même
que le concept de sanctuarisation est l’un des piliers de la pensée stratégique
israélienne et que pendant les guerres israélo-arabes, aucune bombe n’est
tombée sur une grande ville israélienne à l’exception de quelques Scuds
irakiens. Pour marquer l’opinion publique et s’imposer à la table des
négociations, les adversaires d’Israël n’ont plus besoin d’abattre un avion ou
détruire un char ; il leur suffit de harceler la population israélienne.
Implantation |
Le
gouvernement a donc été contraint d’adopter une logique asymétrique dans une double
stratégie politique et technologique. D’un côté, il relance les implantations pour
donner des gages aux ultras israéliens et pour montrer aux terroristes
palestiniens que les tirs de roquettes sont contre-productifs. De l’autre, il
accélère la mise en place d’une défense antimissile à plusieurs niveaux pour
protéger la population urbaine de tous types de projectiles et qui repose sur
le système «Dôme de fer» qui intercepte les roquettes et missiles de
moyenne portée mais qui a un coût très élevé : chaque missile vaut environ 40.000 dollars. À l’échelon du front, les batteries de
missiles Hawk améliorés et les missiles Patriot PAC 2 assurent la défense anti-aérienne
du territoire israélien. Ces missiles
vieillissants sont progressivement remplacés par le nouveau système «Fronde
de David» (David’s Sling). À l’échelon stratégique, l’interception
stratosphérique de missiles balistiques de longue portée, qui pourraient être
tirés d’Iran ou de Syrie, est confiée aux missiles Arrow 2 capables de détruire
leur cible à 150 km du territoire israélien. Il s’agit de missiles sol-air
autonomes de dernière génération conçus conjointement par l’israélien Rafael et
l’américain Raytheon.
Système Arrow |
Mais
aujourd’hui la priorité a été donnée à la cyberdéfense. Un nouveau système, à
double vocation défensive et offensive, l’unité 8200 du service de
renseignement militaire que nous aborderons dans la partie-2, en étroite
association avec l’unité «Lotem» de la division informatique de l’État-major général.
8200 |
Tsahal est en constante évolution.
Les impératifs sécuritaires lui dictent d’être au sommet par rapport aux armées
ennemies car il en va de la survie de l’État d’Israël en particulier, et du
peuple juif en général.
Shana Tova Jacques
RépondreSupprimerArticle très intéressant et bien documenté
Mais surtout qu'elle belle conclusion :
Tsahal .... assure la survie de l'état d'Israël et du peuple juif dans son ensemble
L'année 5778 commence bien
A bientôt
Luc de Nice
Très bon article comme toujours. J'attends le second avec impatience. A git yor jacques
RépondreSupprimerShana Tova Mr Jacques,
RépondreSupprimerc'est remarquable ce travail de professionnel du journaliste,
Grâce à vos articles, on apprend quelque chose,
Merci