LA NOUVELLE
ALLIANCE TURQUIE, IRAN ET IRAK
Par Jacques BENILLOUCHE
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Manoeuvres Turquie-Irak |
Le
referendum kurde a eu pour conséquence la formation d’une nouvelle alliance
hybride, entre la Turquie, l’Iran et l’Irak, qui pourrait modifier l’équilibre
politique et militaire de la région. Les temps changent et les prises de
position évoluent en fonction des intérêts du moment. Cette alliance improbable
risque de se retourner contre Israël car c’est le seul pays occidental à
soutenir ouvertement les Kurdes, à les financer et à les armer. Emmanuel
Macron a
choisi cet instant pour inviter le 5 octobre à Paris le premier ministre
irakien Al-Abadi, dans un contexte où le récent referendum des Kurdes pour
l’indépendance risque de déstabiliser son pays. Ce soutien affiché pourrait
être interprété comme un revers contre les Kurdes.
Armée turque en mouvement |
Pourtant,
dans une interview à la chaîne RTP portugaise en juin 2017, Erdogan avait eu
des mots durs à l’encontre de l'expansionnisme iranien et irakien au
Moyen-Orient : «La Syrie est-elle un théâtre pour
l'expansionnisme sectaire iranien ? Oui, ça l'est. L'Irak est-il aussi un
théâtre ? Oui, ça l'est. Je considère cela comme un expansionnisme perse plutôt
que comme un sectarisme. Je dirais expressément que je n'approuve pas cet
expansionnisme persan». Il ne pouvait pas être plus clair et cependant,
il a organisé avec les troupes irakiennes un exercice militaire conjoint
près de la frontière turco-irakienne à Silopi, en Turquie, le 26 septembre
2017.
Le
referendum kurde a tellement concentré les rancœurs que les adversaires d’hier
se retrouvent dans le même camp. En décembre 2015, Erdogan avait pourtant accusé les
gouvernements iranien et irakien de faire du sectarisme dans la région : «Aujourd'hui,
nous sommes un pays qui est en plein visage du sectarisme. Qui font le
sectarisme ? L’Iran et l’Irak. Malheureusement, l'Irak coopère maintenant
avec l'Iran au titre du sectarisme».
Il
s’agit en fait d’un nouveau traité Saadabad, pacte de non-agression signé par
l'Iran, la Turquie, l'Irak et l'Afghanistan le 9 juillet 1937. Il avait duré
cinq ans et avait été mis à profit pour lutter contre les soulèvements kurdes. Les
pays qui ont signé le pacte s’étaient engagés à «agir de manière conjointe
et coopérative par la protection et la protection des intérêts mutuels». Mais
la mémoire politique est courte puisque le Premier
ministre irakien Haider al-Abadi s’était élevé avec vigueur contre la présence
militaire turque près de Mosul. Cela n’a pas empêché la Turquie et l’Irak de
faire vibrer leurs drapeaux à l’occasion de manœuvres symboliques à la
frontière avec le Kurdistan irakien.
Turcs et Irakiens en opération |
Outre
les menaces visant à fermer la frontière, la contribution de la Turquie au
nouveau partenariat inclut la suspension des vols commerciaux à Erbil et à Sulaymānīyah
pour couper le dialogue avec le gouvernement régional du Kurdistan de Massoud
Barazani (KRG) ainsi que la suppression de trois chaînes de télévision kurdes
d'un satellite turc. Israël suit avec intérêt ce nouveau partenariat bien qu’il
soit sceptique sur sa solidité et sur sa durée car il contrevient aux intérêts
réciproques des signataires. Plus de 4.000 entreprises turques font des affaires
au Kurdistan irakien. Les sanctions économiques auraient certainement un impact
sur les Kurdes irakiens, mais cela entraînerait aussi de lourdes pertes à la
Turquie, puisque selon les propres termes réalistes du ministre turc de
l'économie Mehmet Şimşek : «Parler d'embargos économiques est une rhétorique
dangereuse. Lorsque vous mettez des embargos en place, vous cessez de faire des
affaires».
ministre_finances_turc. Mehmet Şimşek, ministre turc des Finances. |
De leur côté, la Turquie et l’Iran ont encore des litiges et sont
séparés par une certaine rivalité. En 2011, les deux pays avaient accepté
d'affronter conjointement un ennemi commun, les militants armés du PKK et son extension
iranienne, PJAK. Lorsque l'Iran avait lancé des opérations contre les militants
PJAK dans les montagnes du Qandil dans le nord de l'Irak, la Turquie avait
choisi de ne pas se battre contre le PKK, car elle négociait alors un éventuel traité de paix. Téhéran n’avait pas apprécié la méthode et n’avait pas pardonné
ce désengagement.
L’Iran
et la Turquie ont par ailleurs des intérêts financiers qu’ils doivent prendre en compte. Les
produits iraniens dominent le marché dans les régions proches de la frontière
iranienne, et les biens turcs dominent les zones proches de la frontière
turque. Cette concurrence économique impose à l’Iran une certaine retenue
avant d’appliquer des sanctions. Par ailleurs la rivalité entre la Turquie et l’Iran
est vivace. Pendant des années la Turquie contrebalançait le poids de l'Iran au
Kurdistan.
Guidéon Saar et Netanyahou |
En
cherchant à isoler les Kurdes, ces deux pays risquent d’impliquer de plus en
plus Israël dans la région. Selon l’ancien ministre Gidéon Saar : «si
une majorité vote pour l'indépendance, Israël sera le premier État à
reconnaître l'indépendance du Kurdistan». Il n’est pas le seul
dirigeant israélien à souhaiter l’indépendance des Kurdes contrairement à la
Turquie, l'Irak, l'Iran et surtout les Etats-Unis qui rejettent la création
d'un État kurde indépendant. Un long lien historique existe entre Israël et les
Kurdes qui ont ensemble de nombreuses années de coopération.
Le
ministre des communications Ayoub Kara estime que «le referendum kurde permettra
d'accélérer un accord global au Moyen-Orient, et corriger l'accord historique
Sykes-Picot, qui n'a pas tenu compte des besoins d'un grand nombre des
minorités, dont 40 millions de Kurdes». Le centriste Yaïr Lapid a affiché son soutien : «Les Juifs savent comment lutter pour avoir une
patrie. Les Kurdes ont un droit moral à leur propre État. La destinée commune
du peuple juif et des Kurdes du nord de l'Irak, ajoute une composante
émotionnelle profondément enracinée».
Ron Prosor |
Ron
Prosor, ancien ambassadeur israélien aux Nations Unies, a expliqué l'importance
stratégique de créer un Kurdistan indépendant et a affirmé qu'il serait
judicieux pour les États-Unis de soutenir l'indépendance kurde parce que l'État
kurde contribuerait à la guerre contre l'État islamique. Il est persuadé que le
soutien des États-Unis à un Kurdistan indépendant serait une victoire pour les
valeurs démocratiques, l'auto-détermination et les droits des minorités. Il a
même rappelé le régime brutal de l'ancien dictateur irakien Saddam Hussein, qui
a attaqué les Kurdes avec des armes chimiques il y a 30 ans, en le citant comme
preuve d'une obligation morale de soutenir les Kurdes dans leur quête
d'indépendance.
Benjamin
Netanyahou «appuie les efforts légitimes des Kurdes pour réaliser leur
propre État». La ministre de la Justice, Ayelet Shaked, a pris une
position ferme à la Conférence de Herzliya : «Il est dans l'intérêt
d'Israël et des États-Unis qu'un État kurde soit établi. Les Kurdes sont
engagés envers la démocratie ; les longs liens entre le peuple juif et les
Kurdes et leurs intérêts communs, sont plus apparents que jamais. Ils se
battaient tous deux contre les forces radicales, en particulier contre Daesh,
contre qui les Kurdes d'Irak et de Syrie se battaient sans relâche». Shaked
a ensuite soutenu que la situation représentait une chance rare de remodeler le
caractère et l'avenir du Moyen-Orient et qu’il ne fallait pas la manquer.
Lt. Colonel Sagi avec Mustafa Barazani. |
Depuis
les années 1960, Israël fournit aux Kurdes un soutien et une formation. Le
général de réserve Tzuri Sagi a rappelé qu'il avait été envoyé pour former
l'armée kurde en 1966 et qu’il avait passé de longues années au Kurdistan, avec
des représentants du Mossad, du Corps médical de Tsahal et des officiers de
combat israéliens. À l’époque ils étaient entrés dans la région par la
frontière iranienne puisque l'Iran avait à l'époque des relations diplomatiques
chaleureuses avec Israël. Il souhaite l'indépendance kurde «malgré la
colère et la fureur du monde entier».
Le
partenariat d'Ankara avec Bagdad repose sur un terrain fragile, marqué par un
fossé de méfiance. Les Irakiens sont persuadés que la Turquie a soutenu Daesh
et qu’elle parie sur la carte sunnite. Son refus de retirer ses troupes de
Bashiqa, l'opposition d'Erdogan à l'entrée des milices chiites à Mossoul et ses
commentaires sévères à leur propos ont eu un impact très négatif en Irak. Cela prouve que les liens Ankara-Bagdad sont artificiels, non fondés sur un terrain sain.
Enfin de son
côté, le kurde Barazani fait preuve de pragmatisme et multiplie ses efforts pour
apaiser la colère de ses voisins. Mais le Kurdistan, qui a hanté les esprits pendant
des décennies, connaît une nouvelle ère et il ne tient qu'aux Occidentaux pour que les Kurdes puissent enfin avoir leur État.
Les mêmes qui réclament une indépendance d'un état palestinien au nom de l’auto-détermination sont pretes a tout pour empecher l'auto-determination des Kurdes et des Catalans.
RépondreSupprimerSi les Américains n' interviennent pas, c'est cuit...
RépondreSupprimerPourtant les Kurdes méritent l'aide occidentale..!
encore des histoires de pétrole qui empêche un peuple d'être libre..
Sans oublier l'occupation illégale de Chypre par l'armée turque... et la république de colons.
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