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jeudi 22 juin 2017

Les vrais dessous de la mise à l'écart du Qatar


LES VRAIS DESSOUS DE LA MISE À L’ÉCART DU QATAR

Par Jacques BENILLOUCHE
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L'émir du Qatar

          Tout a été dit sur la proximité du Qatar avec les organisations terroristes et avec l’Iran pour justifier sa mise à l’index par les pays arabes. En fait d’autres raisons du domaine de la lutte des clans royaux et des révolutions de palais expliquent cette décision collégiale. La politique vengeresse des Émirats et les manigances du prince héritier saoudien pour devenir roi sont à la base de la décision du Bahreïn et de l'Égypte, imitant l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) qui ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar.



            Les mesures de rétorsion sont significatives puisque ces pays ont annoncé qu'ils fermaient leur espace aérien et leurs voies navigables aux avions et navires qataris. Par ailleurs, l'Arabie saoudite, qui partage la seule frontière terrestre du Qatar, a fermé l’unique passage frontalier qui constitue la porte d'entrée pour les produits alimentaires entrant au Qatar. L'Iran a d’ailleurs relevé le défi en envoyant cinq avions de produits alimentaires au Qatar. C’est la première fois de l’Histoire qu’un État du Golfe impose un siège total à l’un des siens.
Al Jazeera

            L’Arabie saoudite et les EAU ont exigé la fermeture de la chaîne d’information Al Jazeera, l'expulsion de l’ancien député arabe israélien chrétien Azmi Bishara et le bannissement de personnalités des Frères musulmans. Mais le problème de l’appui aux terroristes est un alibi. Les Émirats veulent renverser l’Émir du Qatar tandis que le prince héritier saoudien veut immédiatement monter sur le trône du royaume.
            Le 24 mai 2017, la télévision d’État Al Jazeera avait eu la maladresse de critiquer le président Trump, d’exprimer son soutien à l’Iran, de confirmer sa proximité inconditionnelle avec le Hamas mais aussi, et paradoxalement, sa volonté de collaborer avec Israël. L’Émir du Qatar avait dû dans l’urgence démentir ces informations. Mais cela a suffi aux chaînes Al Arabiya et Sky News Arabia pour demander au peuple du Qatar de se soulever contre l’Émir. La fracture entre les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) prenait une toute nouvelle dimension. Il s’agissait de galvaniser l’opposition contre Cheikh Tamim.
Manifestations en Tunisie

            Or cette volonté de déstabilisation a pour fondement une vengeance liée aux «Printemps arabes» de 2011. Les manifestations de rues de l’époque avaient trouvé des oreilles attentives dans certains pays arabes parmi ceux qui soutenaient les soulèvements. La démission contrainte du président égyptien Hosni Moubarak avait fait l’effet d’un tremblement de terre qui s’était propagé jusqu’aux Émirats. L'Arabie saoudite, l'Égypte et les Émirats arabes avaient condamné cette révolution, à l’exception du Qatar qui avait choisi de soutenir les Frères musulmans, leaders du Printemps arabe. Abou Dhabi avait considéré ceci comme une trahison, ou du moins comme un refus de solidarité, non seulement parce que Doha adoptait une politique étrangère différente de celle acceptée par tous les autres membres du CCG, mais aussi parce que les EAU considèrent les Frères musulmans ainsi que d’autres mouvements politiques de la région comme une menace existentielle contre leur système politique féodal avec un risque d’effet domino. Ils n’ont pas compris l’attitude suicidaire du Qatar de se lier aux révolutionnaires et de jouer contre Moubarak, l’allié indéfectible du fondateur des Émirats, Zayed ben Sultan Al Nahyane.
Zayed ben Sultan Al Nahyane.

            Les préoccupations des Émirats, dont le but est de punir le Qatar, sont distinctes de celle de l’Arabie où se joue une lutte de pouvoir feutrée et où se prépare une révolution de palais. Le roi d’Arabie saoudite, Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, âgé de 81 ans, est malade et les médecins ne lui donnent plus que quelques mois à vivre. C’est le dernier fils du père fondateur du pays. Deux hommes sont sur les rangs pour monter sur le trône : son neveu, Mohammed Ben Nayef, prince héritier et vice-Premier ministre, et son fils, Mohammed Ben Salmane (MBS), 31 ans, actuel ministre de la défense.
Mohamed Ben Salman

            Ce dernier a une ambition démesurée. Il conduit la guerre du Yémen qui a pratiquement détruit tout le pays, et il est donc prêt à toutes les manœuvres pour devenir roi. Il a tous les soutiens extérieurs et il n’attend que l’imprimatur des États-Unis pour devenir monarque d’Arabie. Il semble aussi prêt à renverser le régime du Qatar, mis au ban de la région dans un premier temps, pour s’attirer les faveurs des EAU. MBS veut entériner la position de Donald Trump du 9 mai : «La nation du Qatar, malheureusement, a historiquement financé le terrorisme à un très haut niveau». Les États-Unis disposent d’une base militaire stratégique sur le sol qatarien, d'où ils peuvent lancer des opérations contre les djihadistes.

            On pense que cette décision de rupture avec le Qatar est consécutive à la visite de Donald Trump à Ryad. Les EAU ont promis à MBS, en échange d’une action contre le Qatar, une campagne d’influence et de relations publiques de grande envergure auprès des Américains pour lui garantir le soutien de Washington. Les États-Unis s’intéressent aux plus gros exportateurs mondiaux de pétrole et de gaz et à la plus importante base militaire américaine au Qatar indispensable à la lutte contre Daesh. Mohammed Ben Salmane l’a compris ; il a réalisé surtout que les EAU ont une grande influence dans la politique étrangère américaine. La lutte entre les deux prétendants au trône s’exprime dans le secret des alcôves. Le Qatar semble devoir en payer le prix.

          Les relations du Qatar avec Israël sont devenues ambiguës. Alors que des relations commerciales avaient été établies avec Israël en 1996, son bureau commercial a été fermé par les autorités en 2000. Le Qatar a définitivement rompu les relations commerciales avec Israël en 2009 à la suite de la guerre de Gaza. En 2010, le Qatar avait offert par deux fois de rétablir les relations commerciales avec Israël et de permettre la réintégration de la mission israélienne à Doha, à condition qu'Israël l'autorise à envoyer du matériel de construction et de l'argent à Gaza pour réhabiliter les infrastructures. Israël avait refusé craignant que ces approvisionnements soient utilisés par le Hamas pour construire des bunkers et des positions renforcées. Il ne voulait pas non plus s'impliquer dans la concurrence entre le Qatar et l'Égypte. Israël se veut donc neutre pour l’instant.

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