Pages

dimanche 21 mai 2017

Elections en Iran : un succédané de démocratie



ÉLECTIONS EN IRAN : UN SUCCÉDANÉ DE DÉMOCRATIE

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

            

          Tous les quatre ans on reparle des élections présidentielles en Iran comme s’il s’agissait d’un exercice de démocratie alors que le pays est verrouillé depuis la révolution de 1979. Il n’y a aucune comparaison entre l’élection en France et celle de l’Iran. C’est presque une mascarade de démocratie liée à la nature même du régime et à sa structure. Les trois pouvoirs classiques, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire sont détenus par un seul homme omnipuissant.



Khamenei et Rohani

            Le guide suprême, Ali Khamenei, occupe la fonction de chef de l’État et de chef suprême du régime. Il ne se borne pas à inaugurer les chrysanthèmes, au contraire. Désigné par l'Assemblée des experts composée de 80 religieux, il fixe, avec le Conseil de discernement, les orientations du régime. Il est partie prenante dans le processus législatif du pays puisqu’il le contrôle à travers le Conseil des gardiens de la Constitution. Il accapare le pouvoir judiciaire en nommant lui-même les plus hautes instances de la justice. Il est maître de tous les pouvoirs militaires et policiers et contrôle en plus une puissante garde prétorienne affectée à son service exclusif.
            Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un maximum de deux mandats de quatre ans. Hassan Rohani vient d’être réélu pour un deuxième mandat. Mais cette élection ne permet pas à tout citoyen de s'y présenter. Un filtre est effectué par le Conseil des gardiens de la Constitution qui décide des candidatures selon ses critères stricts. Le guide suprême doit par ailleurs ratifier la candidature, ce qui laisse un doute sur la liberté d’action et de pensée du candidat. 
          Le président, chef du pouvoir exécutif et du gouvernement composé de membres du Parlement, n’a aucun pouvoir sinon virtuel puisque le guide suprême dispose d'un droit de regard et du droit de bloquer toute décision présidentielle. C’est pourquoi la qualification de «modéré» ou de «réformateur» est abusive pour un homme politique sous contrôle total.
            Le Conseil des gardiens de la Constitution, composé de 12 membres désignés pour 6 ans, comprend 6 religieux nommés par le guide suprême et 6 juristes élus par le Parlement. La principale fonction du conseil est de veiller à la compatibilité des lois du Parlement avec les principes de la Constitution et de l'islam. Il dispose des pouvoir du Conseil Constitutionnel en France. Les lois votées par le Parlement (Madjalis) passent par le filtre du Conseil des gardiens de la Constitution qui décide de leur application ou pas.


Conseil de discernement

            Le Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime a été créé en 1988 par l’imam Khomeiny pour arbitrer les litiges entre le Parlement (Madjalis) et le Conseil des gardiens de la Constitution. Il est composé de juristes, de politiciens élus et de membres désignés par le guide suprême. Le conseil comprend six membres religieux du Conseil des gardiens ainsi que les chefs des pouvoirs législatif et judiciaire, le président de la République et une dizaine d'autres personnalités. Il peut imposer des solutions de son cru aux problèmes portés devant ses instances. Le guide suprême, intervenant directement dans le processus des nominations au conseil, il est évident qu’il reflète l'ensemble de ses volontés.  
Ahmed Jannati

              L’Assemblée des Experts, présidée par Ahmed Jannati, est composée de 80 religieux élus au suffrage universel direct pour une durée de 8 ans. Elle désigne le guide suprême et chef de l'État avec le pouvoir de le démettre de ses fonctions. Mais son rôle est purement théorique puisque le Guide suprême est nommé à vie.
            Le Parlement (Madjalis) représente le pouvoir monocaméral. Les 290 députés qui composent le Parlement sont élus pour 4 ans au suffrage universel direct. Le Parlement dispose des droits de voter les lois ainsi que d'approuver ou de renverser les gouvernements et le président. Mais il n’a aucune emprise sur les décisions relevant du guide suprême ou des organes sous son contrôle. Le Madjalis est étroitement sous la surveillance du Conseil des gardiens et du Conseil de discernement.

            Cette structure du régime iranien montre que le président élu n’a aucune latitude pour agir librement. Lors de sa première élection, les commentateurs internationaux ont été unanimes pour nous annoncer l’arrivée d’un «réformateur» à la présidence de l’Iran, qui promettait du changement et une autre méthode de gouvernance. Mais à l’usage, à l’exception d’une modération dans sa sémantique, le nouveau président Rohani suit les traces de ses prédécesseurs, mais avec un turban blanc en plus.
            Les signes d’ouverture n’ont pas été visibles à l’occasion de son investiture du 4 août 2013 puisque les États-Unis n’avaient pas été invités à sa cérémonie contrairement aux autres pays, Grande-Bretagne incluse. Il a utilisé la même dialectique fanfaronne qu’Ahmadinejad vis-à-vis d’Israël : «Cela nous fait rire. Qui sont-ils, ces sionistes pour nous menacer. La réaction promise par l'Iran dissuaderait Israël». Il est vrai que Benjamin Netanyahou n’avait pas fait dans la dentelle en qualifiant Rohani de «loup en peau de mouton qui se rapproche de la ligne rouge mais qui ne l’a pas encore franchie».
Hossein Moussavi

            On nous avait prédit qu’il serait le disciple des «modérés», de la lignée des Rafsandjani et Khatami mais il n’a toujours pas élargi les figures du printemps iranien, parmi lesquels Mohamed Hossein Moussavi, qui sont toujours en résidence surveillée. Il démontre en fait qu’il n’a pas les mains libres et que ses prérogatives sont limitées. Certains l'assimilent même à une marionnette présentable aux mains des véritables maîtres de l'Iran. S'il a gagné contre les Conservateurs, on ne voit pas de différence dans la politique qu'il a menée. A la rigueur un seul aspect positif de son élection : l'accord nucléaire historique signé avec l'administration Obama et d'autres puissances mondiales en 2015 ne sera pas remis en cause pendant son mandat.



            Certes l’Histoire ne bégaie pas mais les ayatollahs d’Iran n’ont pas tous été nuisibles pour leur pays. Rohani aurait pu prendre exemple sur les ayatollahs progressistes et clairvoyants qui ont influencé la vie politique de l’Iran. En particulier, l'ayatollah Abdullah Behbahani a été un des acteurs notables de la révolution constitutionnelle en Iran de 1906. Il s’était allié dès la première heure au mouvement d'opposition contre le Shah, qui pourtant le consultait sur les problèmes politiques du pays. Il s’était permis d’adresser un message au Shah, resté célèbre : «Vous pouvez m'assassiner mais vous devez me respecter». Il avait un véritable charisme et une proximité avec le peuple.
            Les optimistes, qui avaient jugé Rohani intelligent, instruit et d’une certaine manière progressiste, espéraient le voir marquer l’histoire de l’Iran en axant sa politique sur l’amélioration du niveau de vie de ses compatriotes. Or il a préféré continuer la course aux armements et aux machines de mort. Ils espéraient aussi le voir réorienter la politique iranienne vers une approche laïque pour réduire l’influence des idéologues islamistes et pour éviter le gâchis socio-économique. Après quatre ans, l'objectif n’a pas été atteint.
Liesse dans Téhéran

            Il n’a pas compris que les grandes idéologies n’ont plus cours dans notre monde de plus en plus matérialiste et attaché au bonheur terrestre. Ceux qui n’ont pas pris ce virage sont condamnés à l’échec. La Chine a compris qu’il fallait plus de souplesse dans son idéologie communiste et elle est devenue le symbole du succès. La Russie a refusé d’appliquer réellement le changement et elle symbolise aujourd’hui l’échec d’une politique. Le nouveau président iranien ne pourra gagner le pari de l’avenir de l’Iran que s’il rétablit le pluralisme et s’il conduit son pays vers une laïcité juridique sinon, à moyen terme, le système implosera comme tous les systèmes totalitaires qui imposent l’arbitraire. Il lui appartient donc de choisir la bonne direction mais il en prend-il le chemin ?

1 commentaire:

  1. C'est vrai, il y a contradiction entre "Iran" et "Démocratie".
    Les Candidatures sont "filtrées", les seuls Candidats sont des Religieux.

    RépondreSupprimer