LE HAMAS DANS
LES BRAS DE L’ÉGYPTIEN AL-SISSI
Par
Jacques BENILLOUCHE
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John Kerry et le président Al-Sissi |
En
refusant de signer un accord avec les Palestiniens, proposé par le trio John
Kerry, l’Égypte et la Jordanie, Netanyahou a poussé le Hamas dans les bras d’Al-Sissi.
Certes le président égyptien pourrait jouer le rôle de modérateur dans le conflit mais cette nouvelle alliance risque d’affaiblir le flanc sud d’Israël. La visite au Caire d’Ismaël Haniyeh, qui a remplacé Khaled Mechaal comme directeur politique, semble avoir
porté ses fruits puisque, après des semaines de guerre larvée, l'Égypte et le
Hamas sont parvenus à des accords sécuritaires, politiques et économiques.
Chars égyptiens au Sinaï |
Al-Sissi
avait intérêt à calmer le jeu s’il voulait briser tout lien du Hamas avec Daesh
au nord-Sinaï mais son accord n’a pas été bradé puisqu’il avait imposé des
conditions qui ont été acceptées. Le Hamas s’engage à cesser toute contrebande
d’armes, à contrôler l’infiltration d'hommes armés le long de frontière et à ne
plus utiliser la bande de Gaza comme base d’attaques terroristes. Il s’engage
surtout à ne pas chercher à organiser le retour au pouvoir des Frères
musulmans. Les modalités de l’ouverture plus fréquente du passage frontalier de Rafah ont été définies en commun.
Depuis
la chute du président Morsi en juillet 2013, les relations entre l’Égypte et le
Hamas s’étaient détériorées et avaient entraîné une connexion idéologique et
opérationnelle du Hamas et des Frères musulmans avec les groupes djihadistes de
la péninsule du Sinaï. Ismaël Haniyeh
était considéré comme le chef du bras armé des Frères musulmans accusés d’activités
terroristes comme l’assassinat du procureur général égyptien Hicham Barakat en juillet
2015.
Procureur Hicham Barakat |
Il
existe en fait des convergences d’intérêts sur plusieurs axes. L’Égypte ne peut pas se permettre de subir régulièrement la perte de centaines de soldats tués dans
le Sinaï et a intérêt à interdire les foyers de formation de djihadistes à
destination du Sinaï. Al-Sissi veut par ailleurs reprendre le leadership du monde arabe
pour unir les rangs palestiniens et entrevoir avec eux la reprise du processus
de paix. Compte tenu des rivalités dans la région, il veut empêcher le Hamas de
rejoindre ses rivaux, la Turquie, le Qatar et l’Iran pour l’amener
progressivement à un accord politique avec Israël.
Al-Sissi
veut reprendre son rôle de médiateur entre Israël, le Hamas et le Fatah pour tenter
une paix sur de nouvelles bases. Mais pour cela, il doit améliorer sa stature
régionale en stabilisant le Moyen-Orient pour apparaître comme incontournable
auprès de la nouvelle administration américaine. De son côté le Hamas a compris
qu’il ne pouvait pas contourner l’Égypte et que l’aide régionale passait
impérativement par Al-Sissi. Sur le plan politique, la situation a beaucoup
évolué. Une crise est apparue avec l’Autorité palestinienne en raison du réchauffement
de ses relations avec le Qatar et la Turquie et du refus de Mahmoud Abbas de
faire alliance avec Mohamed Dahlan, le leader du Fatah sur lequel compte l’Égypte
pour une alternance pacifique.
Mohamed Dahlan et Mahmoud Abbas |
Après
des années de tensions, l'Égypte fait miroiter des concessions sur la liberté
de commerce et de circulation en échange de mesures contre les insurgés du
Nord-Sinaï affiliés à l'État islamique. De plus, l’Égypte a mesuré le danger de
maintenir le blocage économique de Gaza et prône la libre circulation des
marchandises. Son objectif est donc de réduire la crise économique des régions
situées à la fois du côté égyptien et du côté de Gaza , touchées par l'absence d'échanges commerciaux. Par ailleurs il est indispensable de limiter l’aide
fournie par le Hamas à la branche islamique au Sinaï afin de tuer dans l’œuf la contestation.
De son côté, malgré la permanence des points de passage entre Israël et Gaza, le Hamas a compris que l’accès aux marchés extérieurs impose
l’utilisation du passage frontalier de Rafah.
Enfin
l’Égypte compte sur ses nouvelles bonnes relations avec le Hamas, proche des Frères
musulmans, pour reconquérir sa légitimité auprès de la population égyptienne
qui accuse Al-Sissi de collaborer avec Israël et de fermer les yeux sur la
détresse économique des Palestiniens. Alors Al-Sissi a conçu une stratégie pragmatique, qui signifie nullement que les deux parties se retrouvent sur une même position politique. En effet, il n’est nullement question pour les Egyptiens de
mettre fin à la lutte féroce contre les Frères musulmans. Une pause dans le
combat est acceptée sans pour autant choisir un rapprochement idéologique contre Israël. La suspicion et la méfiance entre Gaza
et l’Égypte restent les sentiments qui prédominent dans des relations intéressées.
Ces
dernières semaines, le Caire avait déjà assoupli les restrictions contre l'enclave
palestinienne, en autorisant des camions de vivres et de fournitures à pénétrer
dans la bande côtière. Israël, de son côté, observe non sans inquiétude ce
rapprochement qui conditionnera la coopération future avec l’Égypte. Les
échanges sécuritaires sont à la base de la lutte contre le terrorisme au Sinaï. Israël
tolérera toutes les ouvertures politiques à condition qu’elles ne se traduisent
par une augmentation de la contrebande d’armes qui pourrait se faire à son
détriment. Selon un haut dirigeant du Hamas : «Nous voulons
coopérer dans le contrôle des frontières et des tunnels, dans la remise des
auteurs d'attaques armées et dans un boycott des Frères musulmans. Nous voulons
ouvrir la frontière et augmenter les échanges. Cela a débuté, mais de manière
partielle. Nous espérons que cela va se poursuivre».
Le Hamas déployé à la frontière égyptienne |
Le
Hamas a déjà pris des mesures préventives. Il a commencé à
renforcer les mesures de sécurité le long de sa frontière avec le Sinaï, en
déployant des centaines de gardes et en installant des tours d'observation. Il
a annoncé être prêt à agir contre les activistes opposés à l'accord de
cessez-le-feu qu'il a conclu en 2014 avec Israël, par l'intermédiaire de l'Égypte.
Mahmoud Al-Zahar, haut responsable du Hamas, a mis de l’eau dans son thé :
«Si l'on compare notre situation à
celle d'il y a un an, les choses se sont améliorées, mais pas encore comme il
faudrait. Notre peuple a de grands besoins, pour voyager, poursuivre des études
ou suivre des traitements médicaux et commercer librement avec l'Égypte».
Si
l’Égypte joue le jeu sérieusement, alors ses intérêts et ceux d’Israël
pourraient être comblés. L’économie égyptienne reprendra des couleurs grâce au
tourisme. Les couvre-feux, les points de contrôle et les bombardements aériens
ont dévasté le paysage du Nord-Sinaï, qui attirait autrefois des touristes sur
ses rives. Le Caire aspire au retour à la normalité pour attirer les investisseurs,
qui ont fui depuis 2011. L’amélioration de la situation économique et
humanitaire à Gaza évitera une flambée militaire qui risque d’enflammer le
sud. Alors les groupes djihadistes
seront neutralisés et le terrorisme du Sinaï jugulé parce qu’ils ne pourront
plus proliférer sur le terreau de la misère. Seule la reconstruction économique
et l’amélioration de la vie de la population de Gaza pourront mettre fin à la
lutte violente.
Centre commercial de Gaza |
Avigdor
Lieberman, le ministre de la défense, avait anticipé ce revirement politique.
Il a proposé d'investir dans la bande de Gaza en promettant un port, un aéroport,
et la création d’une zone industrielle génératrice de milliers d'emplois à Gaza.
Bien sûr il exige le retour des trois civils israéliens capturés et des corps
de deux soldats de Tsahal. Il n'est pas dirigeant à s'exprimer à la légère. Ce qui est certain à présent, le centre de gravité du Proche-Orient est à nouveau dirigé vers le Caire.
Une chose sûre est que l'Egypte est incontournable dans la solution des problèmes au Proche Orient et notamment celui Israélo-arabo/palestinien. L'Egypte quoi qu'on dise, demeure le pivot de cette sphère des pays arabe/arabophones. En outre son voisinage avec ISRAEL, son bellicisme dans le passé à l'égard de ce dernier, ayant entraîné des guerres et leurs lots de pertes importantes, humaines et matérielles, font que l'Egypte s'accroche au pivot qu'elle fut, en termes de puissance régionale, face à une Turquie prédatrice, à un Iran hégémonique considéré comme une menace à l'égard de l'autre pivot pétro-dollars et idéologique qu'est l'Arabie saoudite. Dans le passé, l'on a vu que ce qui est "bon" pour l'Egypte est également "bon" pour le reste des pays de la Ligue dite arabe. La mise en quarantaine et le déplacement du siège de la Ligue dite arabe vers la Tunisie, après le voyage de Sadate en ISRAEL ont mis en évidence la situation d'orpheline dans laquelle se trouvait la Ligue, sans le pays des Pharaon appelé "oum eddounia". En outre l'Egypte n'est plus concurrencée, comme ce fut dans le passé, par un Irak baatiste "fanfaron", repu de pétro-dollars d'un coté et d'un autre d'une Syrie hégémonique se voulant gardienne du temple du même baatisme.HAm
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