TSAHAL FRAGILISÉ PAR LES NATIONALISTES JUIFS
Par Jacques BENILLOUCHE
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Eizenkot et Netanyahou |
La
seule institution qui a toujours été à l’abri des critiques, l’Armée de Défense
d’Israël plus connue sous son acronyme de Tsahal (Tsva Haganah le Israël), est
actuellement déstabilisée. L’armée populaire de jeunes conscrits qui donnent
trois années de leur vie à l’État, ou cinq années pour les candidats officiers
est contestée alors qu’elle était unanimement reconnue comme le creuset de l’élite
sociale.
Cliquer sur la suite pour voir la vidéo de Azria
Le pays qui, depuis sa création en 1948 vit en état de siège permanent
avec de rares pauses, connaît aujourd’hui des doutes et cela est grave pour la
sécurité d’Israël. Depuis la guerre d’indépendance de 1947/49, qui avait fait
6.000 morts représentant 1% de la population de l’époque, le pays a tout
investi pour consolider sa défense afin de limiter ses pertes parmi la fine
fleur de sa jeunesse. L’une des meilleures armées du monde est à présent dans
la tourmente.
Tsahal
ne peut pas se permettre une quelconque rupture avec le peuple parce qu’il constitue le lieu
où les populations venues du monde entier parviennent à s’intégrer grâce à son
rôle de melting pot identitaire. 200.000 soldats sont mobilisés en
permanence et 500.000 réservistes peuvent immédiatement entrer en guerre le cas
échéant. Tsahal joue la carte de la jeunesse pour permettre le renouvellement. D’ailleurs
les jeunes généraux partent à la retraite jeunes mais occupent ensuite souvent dans le
civil une place de premier rang soit dans la politique, soit dans les grandes
institutions de l’État.
Tsahal et la cyberguerre |
Tsahal est une armée de combattants et son succès est
tel qu’une seule candidature sur quatre est acceptée dans les unités de choc
tandis qu’une minorité de conscrits s’oriente vers les postes de «cols
blancs» à savoir dans l’informatique, le renseignement et la cyberguerre.
Rares sont les jeunes jobnik qui choisissent des postes planqués à
l’arrière, loin du risque de la guerre. La raison essentielle est que l’intégration
à une unité combattante permet souvent un ascenseur social qui compense un
handicap social.
Mais
toute cette structure risque de s’effondrer à la suite de l’affaire du sergent Elor
Azria que les nationalistes ont adoubé comme symbole de leur lutte. Azria a été
condamné, sur la foi d’une vidéo et des témoignages de ses supérieurs, pour
avoir achevé à froid, le 24 mars, un terroriste blessé à terre et désarmé, Yusri
al-Sharif. Tsahal justifie cette décision car il a toujours défendu une
véritable éthique dans ses rangs pour que, même en temps de guerre, les soldats
aient un comportement digne. L’extrême-droite, souvent raciste à l’égard des
Arabes, est partie au combat pour exiger l’acquittement du soldat qu’on ne peut
pas accuser d’avoir éliminé un tueur.
Une
scission s’est créée parmi les dirigeants israéliens. D’une part, Netanyahou a pris fait et cause
pour Azria en faisant perdre à Tsahal la bataille de l’éthique. Il a été
jusqu’à demander la grâce présidentielle avant même que le tribunal ne se soit
prononcé sur la peine finale. D’autre part, tous les chefs militaires sont
respectueux de la décision du tribunal militaire qui, a l’unanimité des trois
juges, a considéré le sergent «coupable d’homicide involontaire», faisant
d’ailleurs abstraction que l’acte avait été délibérément effectué devant
témoins.
La
famille du soldat a été mal conseillée par une extrême-droite qui voulait en
découdre en exploitant cet acte à des fins politiques. La publicité qui en a
été faite a nui à la sérénité du procès. L'affaire aurait pu se régler simplement dans le secret des prétoires sachant que les tribunaux sanctionnent certes les
coupables mais en faisant preuve, solidarité oblige, d’une certaine indulgence.
Mais face à l’opinion internationale et aux pressions du clan nationaliste, les
juges ont appliqué la loi avec rigueur.
Le nationaliste Michael Ben-Ari manifeste pour Azria |
Convoqué
par la Commission des affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, le
chef d'État-major Gadi Eizenkot a tenu à avertir la classe politique que la
plus grande menace qui pèse sur Tsahal ne provient pas des armées étrangères
mais de la perte de confiance du public dans l'armée et ses chefs. Le ministre
de la défense, Avigdor Lieberman, qui avait au départ été hésitant, a rejoint
les chefs militaires en exhortant les citoyens à rester silencieux sur le
verdict sans oublier cependant de rappeler qu’Azria était un «excellent soldat et que
le terroriste est venu à assassiner des Juifs. Nous faisons tout pour protéger
les valeurs de l'armée israélienne tout en protégeant simultanément Alor Azria.
Tout le reste peut causer des dégâts».
Eizenkot avec à droite Eyal Zamir |
Tous
les chefs militaires ont entériné les réquisitions du procès. Le commandant
de la région sud, le général de division Eyal Zamir, a commenté le verdict «en
affirmant qu’Azria avait commis une infraction pénale et que l'armée
israélienne ne peut pas compromettre ses valeurs, ou perdre sa moralité. En
tant qu’officiers, nous ne devons pas avoir peur de faire des déclarations
morales claires. Un soldat prête allégeance à l’État et à ses institutions. Ce
serment ne comprend pas l’allégeance aux réseaux sociaux», allusion à la
campagne sur Facebook.
Dans
cette affaire, tous les observateurs ont noté le faible soutien que Gadi
Eizenkot a reçu de la part du premier ministre. Pour la première fois, des hauts
responsables politiques tentent de délégitimer la position du chef de l’armée,
pour des raisons strictement politiques, afin de donner un gage aux
nationalistes du gouvernement. La campagne d’incitation est lancée, suivie de menaces
à l’extérieur du Tribunal. Fait inédit, des gardes du corps protègent les trois
juges contre des actions de Juifs tandis que des menaces de mort sont
ouvertement proférées par une foule en délire : «Gadi! Gadi! Fais
attention! Rabin est à la recherche d'un ami!» en référence à l’assassinat
de Rabin en 1995.
Manifestation et menaces à l'extérieur du Tribunal |
Netanyahou
a pris des risques en suscitant une fracture au sein de la population parce qu'il ne soutient pas ouvertement l’armée du peuple. Devant ce silence, la capitaine Ziv Shilon qui a
perdu ses deux bras dans une action militaire à Gaza en 2012 s’est élevé contre
la passivité du premier ministre : «Je ne pleurais jamais dans les
moments les plus difficiles, moments que je ne souhaite à personne. Mais
aujourd'hui, je suis assis là et brisé par mes sanglots. Je pleurais pour le
peuple d'Israël, qui est lui-même déchiré en lambeaux avec cette haine sans
précédent. Je pleurais pour les mains que j’ai laissées à Gaza. Et je me suis
demandé, pour la première fois dans ma vie, si cela valait la peine se battre
pour une nation qui se hait».
Capitaine Ziv Shilon |
Mais
Gadi Eizenkot n’est pas seul puisque les cinq précédents chefs d’État-major, unanimes,
Benny Gantz, Shaoul Mofaz, Gabi Ashkenazi, Dan Haloutz et Moshe Yaalon, le
soutiennent. Les généraux israéliens
prônent la fidélité aux valeurs de l’armée. Ils ont défendu le verdict prononcé
et appelé les soldats israéliens à conserver un comportement moral. Des anciens
officiers de l’unité d’élite de commando Matkal ont réagi : «Nous
soutenons le chef d’État-Major qui se tient debout face aux lignes de front, en
défendant l'esprit et les valeurs de l'armée israélienne. Nous tendons nos bras
pour le soutenir car il fait face à ceux qui le menacent». Le ministre
de la défense Avigdor Lieberman a
insisté, face à l’incitation des politiciens de droite, pour respecter la décision du tribunal
militaire et pour que l’armée reste en dehors des joutes politiques. En effet
derrière cette volonté d’absoudre Azria se profile une mobilisation générale,
travaillistes exclus, pour justifier l’action du gouvernement dans les
territoires.
Anciens chefs d'Etat-Major |
Mais
les nationalistes, qui traitent les juges de «gauchistes», ont utilisé ce
procès pour détourner la réalité de la définition de la légitime défense. Ce fut le
cas lors de l’attentat perpétré à Jérusalem contre un autobus de soldats qui
ont été pris par surprise et qui ont mis un temps à réagir. Les partisans d’Azria
ont alors estimé que la crainte des poursuites avait dissuadé toute velléité de
riposte du côté des militaires qui étaient en danger et qui devaient réagir. C’est une affirmation sans fondement car il
existe des règles précises d’engagement qui excluent de tirer sur un homme
désarmé, même s’il vient de commettre un attentat. Jusqu’à présent l’armée s’y
est conformée. Des officiers ont rappelé qu’ils n’avaient jamais succombé à la
vengeance lors de la Guerre du Kippour de 1973 alors que durant les premiers
jours il y eut une hécatombe parmi leurs amis : «Après des batailles
sanguinaires, au cours desquelles un grand nombre de nos camarades ont perdu la
vie, nous nous sommes retrouvés face à nos ennemis qui avaient levé leurs mains
et étaient tombés sur les genoux. Nous sommes consciencieusement restés fidèles
à la valeur de la pureté des armes, qui est un élément central de notre pouvoir
et nous distingue de nos ennemis. Les victoires de l’armée israélienne sur le
terrain sont basées, avant tout, sur la moralité et l’éthique qui caractérisent
les opérations des soldats comme de leurs commandants».
Cette
fracture d’une élite nationaliste de droite avec l’armée risque d’entraîner des conséquences
dramatiques car l'avenir d’Eizenkot dans l'armée israélienne risque d’être
affecté alors qu’il met en œuvre son plan pluriannuel de sa conception. On
parle de lui comme de l’un des meilleurs chefs d’État-major qu’Israël a connu.
C’est un professionnel qui a reconfiguré l’armée israélienne pour les
prochaines guerres. Il a obtenu tous les matériels dont elle avait besoin et il
a montré une efficacité à toute épreuve en lançant des attaques audacieuses
contre le Hezbollah en Syrie mais en restant digne des valeurs de l’armée et en
se tenant loin de la politique.
Mais
la haine se répand. Dans une sorte de représailles, aucun membre du
gouvernement n'avait pris part aux funérailles des militaires assassinés dans
l'attentat de Jérusalem. C’est la preuve que tout est brisé.
La triste
conclusion a été tirée par l’ancien ambassadeur d’Israël, Arie Avidor : «Il
est révoltant de constater la volonté de certains d'exploiter ce lâche attentat
à des fins de propagande afin de dénigrer, par des arguments mensongers, la
décision des juges dans le procès Elor Azria. J'ajoute que ces procédés sont
d'autant plus révoltants qu'ils émanent le plus souvent de milieux, en Israël
ou dans la diaspora, dont les fils et filles ont fort peu de chances de porter
un jour l'uniforme des cadets de l'école des officiers ou de toute autre unité
de Tsahal».
Faut-il rappeler que le Temple de Jerusalem fut detruit grace aux guerres intestines opposant les factions juives, quand la plus meurtriere d'entre elles, les Sicaires, reussirent a s'enfuir en Egypte?
RépondreSupprimerJe ne sais pas si Tsahal est fragilise. Ce qui est sur, c'est que la composition de ses unites d'elite, la plupart des officiers intermediaires et quelques generaux sont issus du milieu sioniste religieux, ultra-nationaliste, souvent raciste et qu'ils remplacent les kibboutznikkim disparus avec la privatisation des kibboutz.
Bref, il y a un changement de ton, un changement de personnel, tout comme cela s'est fait dans d'autres secteurs de la societe israelienne.
Ce qui est sur aussi, c'est que le code ethique concocte par un penseur laic sera tres vite supprime et remplace par des versets extraits des Ecritures Saintes.
"L'affaire aurait pu se régler simplement dans le secret des prétoires....", comme la Grande Muette?
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