LA
FRUSTRATION DES AGENTS DU MOSSAD
Par
Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Cohen, Netanyaou et Pardo |
Jusqu’à
il y a quelques années, l’identité du chef du Mossad était tenue secrète pour
des raisons évidentes de sécurité car dans ses fonctions il voyage beaucoup.
Yossi Cohen est en poste depuis un an et l’on sait que c’est un familier des
alcôves des palais des Émirs et des souverains arabes, une sorte de ministre
des affaires étrangères bis. Il fut un espion de terrain, toujours en
mouvement, au point de devenir le spécialiste des cas difficiles. Ses activités
à l’étranger consistaient à recruter de nombreux agents pour le Moyen-Orient,
l’Europe, l’Afrique et l’Asie du Sud, en appliquant la devise du Mossad : «Par
la tromperie, la guerre mèneras». Dans cette fonction il
a été chargé du recrutement des Katsas, les quelques dizaines
d’officiers affectés à des opérations spéciales et aux techniques de
recrutement d’espions envoyés dans un pays arabe ou musulman, avec une
couverture solide, pour recueillir des informations synthétiques.
Mohamed Zouari à Sfax |
Il
dispose d’un pouvoir de vie et de mort sur tous ceux qui, à l’étranger, mettent
en danger l’existence du pays ou la vie de ses citoyens. Mais Israël est un
pays de droit et, même dans les décisions relevant d’actes de guerre, le Mossad
doit se soumettre au pouvoir civil. Il
ne peut procéder à aucune opération d’élimination sans l’accord explicite du
gouvernement qui s’appuie sur une commission où les chefs sécuritaires et un
représentant du ministère de la justice, jouant le rôle d’avocat de la victime,
doivent approuver le choix de la cible. Il s’agit de l’illustration de la vivacité
de la démocratie en Israël.
L’assassinat
mystérieux en Tunisie d’un ingénieur spécialiste des engins téléguidés, avions
et torpilles, Mohamed Zouari, remet au-devant de l’actualité cette organisation
qui ne communique jamais. Pas de confirmation ni de démenti car ce n’est pas
l’habitude de la maison. Mais le modus operandi reste souvent le même à chaque
opération. Un groupe d’une dizaine d’agents s’auto-protègent, agissent comme
l’éclair et disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus sur la scène du meurtre.
Une arme puissante avec silencieux, trois coups portés à bout portant avec la
froideur d’un professionnel qui n’a pas d’état d’âme parce qu’il est en mission
pour son pays. Il a été sélectionné au cours de multiples étapes pour tester ses nerfs solides. Selon la règle, aucun candidat ne pose de candidature; il est repéré en Israël ou à l'étranger par des spécialistes qui le recrutent après avoir détecté ses dispositions. Mais la plupart ne sortent pas indemnes d'une vie d'aventures qui généralement a détruit leur vie de famille.
Deux d'entre eux ont du mal à émerger et à revenir à la "vie civile" après avoir occupé les sommets de la hiérarchie. Ils ont vécu la totalité de leurs missions dans des pays arabes sous une couverture solide qui leur a permis d'échapper aux autorités locales; l'algérois vit aujourd'hui dans une modeste maison de retraite du nord de Tel-Aviv, certes cossue, mais nul ne sait à part les proches qu'il a été parmi les plus hauts gradés du Mossad. L'autre, tunisois, s'était transformé en citoyen arabe dans les pires régions ennemies. Mais il n'a pas pu se réadapter en Israël et il a préféré vivre dans l'anonymat d'un appartement de banlieue de Paris.
Deux d'entre eux ont du mal à émerger et à revenir à la "vie civile" après avoir occupé les sommets de la hiérarchie. Ils ont vécu la totalité de leurs missions dans des pays arabes sous une couverture solide qui leur a permis d'échapper aux autorités locales; l'algérois vit aujourd'hui dans une modeste maison de retraite du nord de Tel-Aviv, certes cossue, mais nul ne sait à part les proches qu'il a été parmi les plus hauts gradés du Mossad. L'autre, tunisois, s'était transformé en citoyen arabe dans les pires régions ennemies. Mais il n'a pas pu se réadapter en Israël et il a préféré vivre dans l'anonymat d'un appartement de banlieue de Paris.
Dans
l’affaire de Sfax, on ne connaît pas le tueur, on ne connaît pas les
commanditaires ; on suppute qu’il s’agit du Mossad car qui d’autre qu’Israël
pourrait en vouloir à cet ingénieur du Hamas. La seule certitude est que cette
cible était sous surveillance israélienne depuis plusieurs semaines car Zouari était impliqué dans des projets avec le Hamas.
Khaled Mechaal avec Djabari qui a été éliminé |
Le
Mossad met du temps à accepter sa responsabilité sauf quand il est pris en
flagrant délit. Ce fut le cas à l’occasion de la tentative d’empoisonnement de
Khaled Mechaal à Aman en 1997 ou de l’élimination de Abou Jihad en Tunisie en
1988. Il n’a toujours pas reconnu sa participation dans l’assassinat de Mahmoud
El-Mabhouh à Dubaï, le 19 janvier 2010.
Puisqu’il
n’y a pas de revendication de la part d'Israël, on peut se poser la question
des motivations qui auraient pu conduire le Mossad à décider de l’élimination de
Zouari, s’il en est l’auteur. Les raisons ne manquent pas. L’Institut pour les
renseignements et les affaires spéciales, dont l'acronyme est mossad, n’est pas réputé pour procéder à des
crimes gratuits. La construction de drones téléguidés n’est pas la seule raison
majeure pour neutraliser Mohamed Zouari bien que ces drones aient réussi à passer à
travers de la détection du «Dôme de fer». Mais les progrès effectués par
Zouari dans la mise au point d’une torpille téléguidée inquiétaient Tsahal car
les navires marchands et militaires ainsi que les puits d’exploitation du gaz israélien
en Méditerranée devenaient la cible de ces engins. Israël ne peut pas prendre
le risque de laisser le danger s’installer.
Yossi Cohen |
La
personnalité de Yossi Cohen a pu jouer dans une éventuelle décision. C’est la
personnalité la plus experte des affaires arabes dans le cabinet de Benjamin
Netanyahou. Il sait jusqu’où le danger peut être toléré sans intervenir. Il a
une expertise à la fois sur le plan sécuritaire mais aussi sur le plan
diplomatique. Ce n’est pas un va-t-en-guerre et le gouvernement l’écoute parce
qu’il participe à toutes les réunions avec le ministre de la défense, le chef
des renseignements militaires et celui du CNS (Conseil national de sécurité). Il sait donc jauger le moment propice pour
intervenir sans que des remous soient constatés qui puissent gêner la
diplomatie israélienne.
Chaque
patron du Mossad insuffle sa propre touche. Meir Dagan avait axé ses
préoccupations sur le nucléaire iranien pour conclure au final qu’une
intervention militaire était inconcevable. Son successeur Tamir Pardo avait
réorganisé la structure du Mossad sans marquer sa présence par une action
d’éclat. Yossi Cohen est un homme
d’action qui travaille beaucoup et qui est en contact permanent avec ses hommes
qui aiment bien ses idées jeunes et ses méthodes révolutionnaires. C’est un
homme qui a toujours été sur le terrain miné de l’espionnage, contrairement à tous
les officiers du Mossad issus des unités combattantes de l’armée qu’il a
remplacés par des hommes du renseignement militaire. Il préférait la finesse
de réflexion de ces hommes plutôt que la brutalité des baroudeurs Il axe sa
tâche sur les opérations contre le terrorisme. Par essence même de sa fonction,
il est insensible à la gloire et il fera tout pour qu’aucune opération du
Mossad ne parvienne jusqu’au public.
El-Mabhouh visé par la vidéo de l'hôtel |
Le
Mossad a affiné ses méthodes pour garantir la réussite de ses opérations. Il a
tiré les conclusions de certains échecs comme celui de la tentative d’assassinat de Khaled Mechaal en 1997,
opérée en plein jour en présence de ses gardes du corps qui ont réussi à
intercepter les deux agents du Mossad en opération. Il met donc les moyens en
mobilisant une vingtaine d’hommes et de femmes pour une seule cible. Le Hamas
reste l’objectif prioritaire des Israéliens.
Sous les yeux des caméras qui ont filmé les déplacements des agents du
Mossad, Mahmoud al-Mabhouh avait été liquidé dans sa chambre d’hôtel à Dubaï.
Cette expérience a conduit le commando de Sfax à neutraliser les vidéos de
surveillance proches du domicile de Zouari, laissant la sûreté nationale
tunisienne dans le brouillard le plus complet.
Imad Moughnieh |
Comme
on ne prête qu’aux riches, toutes les actions violentes sont attribuées au
Mossad. Le général syrien Mohamed Suleyman, qui supervisait les programmes
secrets de recherche d’armement, a été assassiné dans sa villa de Rimal
al-Zahabiyeh, station balnéaire au nord de Tartous. Il était soupçonné de fournir
des armes sophistiquées au Hezbollah. Imad Moughnieh, chef de la branche armée
du Hezbollah, avait été éliminé dans l’explosion de son véhicule au centre de
Damas en février 2008. Le combat du Mossad n’a pas de frontière. Il peut agir
loin de ses bases. Ainsi des cargos chargés d’armes avaient été coulés dans un port
soudanais au cours de l’opération «plomb durci».
Hassan Al-Laquis |
La méthode d’exécution de Zouari ressemble à l’opération
contre le dirigeant de l’unité aérienne du Hezbollah, Hassan Laqis, exécuté en décembre
2013 dans la banlieue sud de Beyrouth. Le Hezbollah avait annoncé sa mort :
«Vers minuit, l'un des commandants de la résistance, Hassan Al Laqis, a été
assassiné devant sa maison dans le district Sainte Thérèse de Hadath, alors
qu'il rentrait du travail». Toucher une cible lorsqu’elle rejoint son
domicile, alors qu’elle se croit en sécurité, est une marque de fabrique. Mais
d’autres procédures innovantes seront utilisées dans le futur.
Pour le Mossad il s’agit d’agir sans trace d’effraction
et avec une violence qui ne doit pas faire de dégâts collatéraux. Mais parfois l’absence
de revendication gêne sa communication ; il a besoin de mettre en garde
ses ennemis pour prouver qu’il a le bras long et qu’aucun d’entre eux n’est à
l’abri même à l’étranger. C’est pourquoi il lui arrive de distiller quelques
bribes d’informations auprès des media internationaux, à charge pour eux de les
diffuser sous leur responsabilité auprès de l’opinion israélienne, sans
craindre la censure militaire.
Pas trop en dire me parait essentiel ! passez de bonnes fêtes.
RépondreSupprimerpourquoi ce titre de "frustration" ; au contraires, satisfactions du superbe travail accompli, même si c'est anonyme
RépondreSupprimerUn article qui devoile en quelque sorte la verite. Mais, attention, c'est une braise et on peut se bruler les doigts...
RépondreSupprimerC'edt un tabou...
Doués pour l'espionnage, les Israéliens ? C'est peut-être aussi et surtout un don du Créateur.
RépondreSupprimerDéjà dans la Thora on voit comment Yaakov envoie des "malakhim" pour surveiller les activités de Essav qui s'approche de lui, accompagné de 400 hommes, avec de très mauvaises intentions. Plus tard, c'est Moché qui, à la veille d'entrer en Terre sainte, envoie 12 "méraglim" pour en savoir plus sur le pays que D.ieu leur a octroyé. Il faudrait aussi citer Yéhochoua qui envoya deux hommes en mission de reconnaissance à Jéricho. Autant d'indices pour affirmer que l'aptitude aux missions secrètes et dangereuses fait partie de l'ADN du peuple d'Israël, qui ne doit jamais oublier qu'au final, c'est le Tout Puissant qui accorde la victoire.
@yaakov Neeman
RépondreSupprimerQuant à moi je pense que l'ADN dont vous gratifiez Israël n'est pas exactement un don divin mais plutôt le danger permanent de l'existence de cet état, et que pour y parvenir il faille jour après jour rechercher les moyens les plus audacieux, les plus périlleux pour défendre les citoyens de ce pays ? Des hommes qui luttent au péril de leur vie.
Des hommes monsieur, rien d'autre que des hommes!
Cordialement
Véronique Allouche
@yaakov Neeman
RépondreSupprimerQuant à moi je pense que l'ADN dont vous gratifiez Israël n'est pas exactement un don divin mais plutôt le danger permanent de l'existence de cet état, et que pour y parvenir il faille jour après jour rechercher les moyens les plus audacieux, les plus périlleux pour défendre les citoyens de ce pays ? Des hommes qui luttent au péril de leur vie.
Des hommes monsieur, rien d'autre que des hommes!
Cordialement
Véronique Allouche