LA SOLITUDE DES KURDES QUI RÊVENT
D’UN ÉTAT
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Combattants kurdes |
L’Occident doit favoriser
l’émergence d’un État indépendant kurde s’il veut promouvoir et consolider la
défaite de Daesh et s’il veut mettre fin au désordre dans la région. Depuis
le début des hostilités, alors que les combats font rage, les Kurdes ont été
les seuls combattants à freiner et à s’opposer à la marche conquérante de l’État
islamique en lui occasionnant de fortes pertes. Malgré cela, ils ont été toujours été isolés
dans leur combat pour des raisons de haute politique opportuniste. Seuls les Israéliens ont
cru en eux en leur fournissant une aide militaire, des moyens financiers, du matériel de guerre et une formation d’officiers par Tsahal.
Combattantes kurdes |
Les Kurdes irakiens disposent déjà d’un territoire autonome au nord du pays, avec un embryon de structure
étatique et une armée de peshmergas bien entraînés. Ces courageux combattants, qui intègrent à parité des femmes, ont réussi avec leurs armes légères à s’opposer
aux forces de Daesh en 2014 alors que l’armée régulière irakienne fuyait les
combats non sans avoir évacué Mossoul, la deuxième ville du pays.
Aujourd’hui Daesh recule face aux
Kurdes et cède du terrain. C’est la seule opposition qu’il rencontre dans son
avancée victorieuse. Mais ce n’est pas du goût du pouvoir central de Bagdad,
jaloux de ses prérogatives en Irak et en conflit ouvert avec les peshmergas.
Les Kurdes, qui n’ont jamais cessé le combat, ont repris les hostilités le 14
août pour reprendre Mossoul, la deuxième ville du pays et capitale
autoproclamée de l’État islamique en Irak. Plusieurs villages autour de la
ville ont été repris confirmant ainsi un succès à mettre au crédit de la région
autonome du Kurdistan irakien. L’objectif kurde consistait à libérer ces
villages stratégiques pour éradiquer tout sanctuaire de guérilla de Daesh. Certains observateurs avaient jugé hésitante la réaction initiale
kurde mais c’était sans compter sur la tactique éprouvée des généraux prudents,
formés à l’école de Tsahal, qui ont préféré prendre le temps de bien préparer
leur offensive afin de sécuriser le front pour repousser toute contre-attaque.
Les Kurdes à Mossoul |
L’armée régulière irakienne a
lancé de son côté sa propre offensive sans coordination avec les Kurdes, mettant
ainsi en évidence la division entre les différents clans, sur fond de vraie
rupture religieuse. Au nord et à l’est, le front est tenu par les peshmergas soutenus
par les tribus locales sunnites, tandis qu’au sud l’armée irakienne se bat en
s’appuyant sur les milices chiites. Les luttes intestines reproduisent le microcosme
irakien.
De nombreux groupes terroristes ont surgi en exploitant la situation
d’un Irak morcelé. Il est fort probable qu’une victoire sur Daesh à Mossoul
entraînerait une guerre intercommunautaire, sous le regard intéressé des pays
voisins. Le premier d’entre eux, la Turquie, lorgne sur la ville sunnite de
Mossoul. Erdogan a d’ailleurs envoyé son armée sur le territoire kurde irakien
pour aider les tribus arabes sunnites locales. De son côté, l’Iran tire les
ficelles des milices chiites pour influencer la politique du gouvernement
national irakien.
Les forces kurdes d’Irak et de
Syrie souffrent cependant de leur hétérogénéité car elles sont culturellement
et politiquement très différentes. En Syrie, Daesh s’oppose au FDS (Forces
démocratiques syriennes), coalition arabo-kurde dominée par le PYD (parti de
l’union démocratique), principal parti kurde de Syrie. Progressivement, les
Kurdes de Syrie ont instauré plusieurs zones d’autonomie au nord du pays et
leur victoire sur Daesh leur permet d’étendre leur territoire avec l’intention
de les unifier, au grand dam de la Turquie.
Réunion des Kurdes à Rmeilane |
Les Kurdes de Syrie avaient déjà
annoncé le jeudi 17 mars 2016 la création d’une zone autonome à Rojava, dans le
Kurdistan syrien sous leur contrôle. La décision avait été annoncée par le PYD
lors d’une réunion à Rmeilane, dans le nord-est. Bien sûr, Bachar el-Assad et l'opposition
syrienne ont rejeté le projet parce qu’ils l’interprétaient comme une
fédéralisation de fait de la Syrie.
Cette nouvelle structure, à base
d’«autogestion démocratique», s’appliquait aux trois cantons kurdes du
territoire syrien (Afrine, Kobané et Jaziré), auxquels étaient annexées les
régions nouvellement conquises aux djihadistes. Les Kurdes ont toujours refusé
de qualifier leur combat de guerre religieuse. Ils ont tenu à préciser que leur
projet était fondé sur une base territoriale et non ethnique avec «une
administration basée sur des références ni nationalistes, ni confessionnelles».
Le régime de Damas a réagi en mettant en garde «toute partie ayant
l'intention de porter atteinte à l'unité du territoire et du peuple syrien sous
n'importe quel slogan, y compris ceux réunis à Rmeilane. Toute annonce en ce
sens n'a aucune valeur juridique et n'aura aucun impact légal, politique,
social ou économique tant qu'elle ne tient pas compte de la volonté de
l'ensemble du peuple syrien dans toutes ses tendances politiques».
Les États-Unis ont démontré à
nouveau leur erreur de stratégie au Moyen-Orient, en se montrant comme
d’habitude frileux parce qu'il s'agit pour eux de toujours ménager toutes les parties. Ils ont annoncé,
en même temps que la Turquie, qu’ils ne reconnaîtraient pas la création d'une
région unifiée et autonome kurde en Syrie. Les Kurdes répartis dans quatre pays
de la région : Syrie, Turquie, Iran et Irak attendront donc le bon vouloir des
Occidentaux pour disposer de leur propre État. L’Occident ne leur doit aucune
reconnaissance pour l’avoir sauvé contre une mainmise djihadiste.
Barack Obama confirme sa
politique passive alors que le feu couve au Moyen-Orient. Il n’a pas compris
que les frontières actuelles étaient artificielles et que la création d’un État
kurde, à cheval sur quatre pays, était la condition pour ramener le calme dans
la région et éradiquer le terrorisme. Mais il ne veut pas entrer en conflit
avec son allié turc donc il préfère une solution bâtarde. En effet, Erdogan
redoute l’existence à ses frontières d’une région kurde autonome en Syrie qui rejaillirait
sur le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Mais en revanche, il ne s’opposerait pas à un État en Irak, loin de ses frontières.
Les Turcs considèrent les Kurdes
comme leurs ennemis et pour cela, ils s’opposent à toute solution raisonnable
même si les combats ont lieu à leur frontière syrienne. Les Forces démocratiques
syriennes (FDS), alliance arabo-kurde, encerclent Manbij, la principale ville
de la zone frontalière turco-syrienne encore dans les mains de Daesh en juin
2016. Elles
comptent pousser leur avantage jusqu'à Al-Bâb, le plus ancien bastion de Daesh
qui ne dispose plus que de deux grandes villes dans la province d’Alep,
Jarablus et Al-Bâb. Mais la Turquie s’opposera militairement à l’offensive
kurde contre Jarablus car elle craint que les Kurdes du Nord-Ouest et ceux du
Nord-Est fassent leur jonction et se proclament indépendants.
FDS en opération |
Les Kurdes sont les oubliés de la
stratégie occidentale, un peu comme l’étaient les Juifs avant la création de l’État d’Israël. Il est difficile de comprendre leur isolement
alors que ce sont les meilleurs guerriers qui ont affronté courageusement les
sanguinaires de Daesh. Ainsi le ministre français de la défense Jean-Yves le
Drian avait fait, le 11 avril 2016, une visite impromptue à Bagdad. Il avait
évoqué la campagne anti-Daesh avec le président irakien Fouad Massoum et le
chef du parlement Selim al-Joubouri, dans le cadre de la participation de la
France à la coalition internationale dirigée par les États-Unis qui mènent des
frappes aériennes contre Daesh et forment les forces irakiennes et syriennes.
Or les Kurdes ont été mis
à l’écart de ces discussions. On peut
donc douter de la volonté des Occidentaux, et de la France en particulier, à
aider ceux qui luttent depuis des décennies pour leur indépendance. La
politique politicienne est cruelle car elle impose de ne pas indisposer les
Turcs d’Erdogan qui font partie de l’Otan et qui participent de ce fait au
dispositif de défense de l’Europe, même si Erdogan se comporte en dictateur et
même s’il bâillonne les médias et emprisonne les récalcitrants politiques.
Les Kurdes, isolés sur la
scène internationale, sont abandonnés bien qu’ils continuent d’infliger de
lourdes pertes aux miliciens de Daesh. Ils prouvent tous les jours leur courage
et une expertise nettement supérieurs à ceux des soldats irakiens qui manquent
de moral, de cohésion et d’idéologie pour le combat. On traite les peshmergas
de milice alors qu’ils constituent une véritable armée en mouvement. Les
autorités irakiennes ne sont pas tendres avec eux parce qu’elles craignent leur
expansion tout en les accusant à tort de ne pas être totalement intégrés au
pays. Au lieu de les aider dans un combat commun contre les djihadistes, ils
bloquent leur ravitaillement et s’acharnent à empêcher leurs convois d’armes de
parvenir à destination. Le régime de Bachar Al-Assad les combat aussi sans ménagement puisque le 18 août 2016 il a lancé ses premiers raids sur les positions kurdes de Hassaké.
S’ils disposent d’armes
légères en quantité suffisante, les Kurdes manquent de missiles antichars
Milan, de matériel lourd, de véhicules Ambush capables de résister aux mines,
d’artillerie, et de véhicules blindés. Cela les rend, sur le terrain, totalement
dépendants de la protection aérienne des Occidentaux. Or l’expérience a montré
qu’ils étaient indispensables à la poursuite des combats sur terre. On ne pourra venir à
bout de Daesh qu’avec les fantassins kurdes qui peuvent changer le cours de la
guerre face à des djihadistes qui subissent actuellement de nombreux revers
grâce aux frappes de l’aviation et surtout face au courage kurde.
Dans le cadre d’une
politique qui ne s’explique pas, les Occidentaux hésitent à fournir des armes
lourdes arguant de raisons strictement politiques. D’une part ils regrettent
que différents clans se déchirent et d’autre part ils craignent qu’elles
n’arrivent entre de mauvaises mains, celles des Kurdes de Turquie qui
combattent Erdogan. La concurrence est rude entre les factions qui refusent
l’unification de tous les mouvements. Ainsi le PDK (parti démocratique du
Kurdistan) dirigé par l'actuel président du Kurdistan, Massoud Barzani, et
l’UPK (union patriotique du Kurdistan) dirigée par M. Jalal Talabani, ont
d’abord été unis contre le PKK (Kurdes de Turquie) avant que l’UPK ne change de
camp pour se ranger dans celui du PKK qui accusait le PDK d’avoir livré
certains de ses combattants à la Turquie.
Entre les divisions
internes et la crise économique, de nombreux hauts responsables kurdes n’ont
plus aucun espoir de déclarer rapidement l'indépendance ni même d’organiser un
projet de référendum sur l'indépendance. Les Kurdes sont seuls. Le paradoxe est
que le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter avait, lors d'une
réunion avec ses homologues de cette région, plaidé pour que les monarchies
sunnites du Golfe s’'impliquent davantage économiquement et politiquement en
Irak. Mais rien n’est dit au profit des Kurdes.
Cher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerComment lisant votre article ne pas être étonné par l'absence des Russes qui pourtant, depuis la prise de distance des États-Unis, sont devenus incontournables dans la région ?
Comment ne pas se rendre compte que les accords de Sykes-Picot redessinant les frontières de cette région sont morts ? Que Daesh a profité de la faiblesse de la Syrie et de l'Irak, états dirigés par des anciens supplétifs des puissances coloniales, qui n'ont jamais réussi à créer un vrai sentiment national ?
Il n'est pas impossible, dans ces conditions que le rêve des Kurdes de posséder leur propre état ne devienne réalité. Ce ne serait que la juste récompense de leur courage au combat.
Très cordialement.