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lundi 26 avril 2021

Gauche et gauchisme



GAUCHE ET GAUCHISME


Par Jacques BENILLOUCHE

copyright © Temps et Contretemps 

            


          La volonté de rendre péjoratif un terme politique historique est poussée actuellement à son paroxysme. Le premier ministre et ses amis ont été contaminés par la nouvelle maladie consistant à mettre dans le même sac les gens de gauche et les gauchistes : «En raison d’une ambition incontrôlable de devenir Premier ministre à tout prix, Bennett – avec seulement 7 sièges – est prêt à couronner un gouvernement de gauchistes», sous-entendu Lapid, Gantz, Bennet, Saar et Lieberman sont des gauchistes dangereux. En utilisant ces termes à mauvais escient, Netanyahou fait preuve soit de mauvaise foi, soit d’ignorance en montrant qu'il n'a jamais côtoyé les vrais extrémistes.


         

A présent tous ceux qui ne se prosternent pas devant les nationalistes juifs ou devant les militants du Likoud sont systématiquement traités de gauchistes, dans une sorte d’insulte suprême et dans un déni d’arguments sérieux. Sous l’impulsion de gourous messianiques, la communauté de droite vire à l’extrême dans une sorte de folie raciste contre ceux qui ne sont pas des leurs. Les nouveaux venus à la religion, par méconnaissance des textes et pour en faire plus qu’il n’est requis, appliquent les préceptes au petit doigt mouillé tant leurs connaissances talmudiques ou halakhiques sont primaires. 
On critiquait l’éducation fasciste qui formatait les esprits pour générer une uniformité lamentable en broyant les cerveaux d'une jeunesse naïve et crédule. Or nombreux sont ceux qui acceptent de se dessaisir de leur libre arbitre pour appliquer à la lettre les préceptes imposés par leur maître qui devient leur Dieu. Ils perdent leur réflexion personnelle et renoncent à toute pensée innovante. Tout est déjà écrit et il faut se borner à suivre la masse, de manière uniforme, pour ne pas se distinguer, dans une sorte d’asservissement moral librement consenti.
Alors ils ânonnent ce qu’ils ont entendu, à savoir que le malheur en Israël vient des gauchistes. Il faut bien trouver des boucs émissaires et des cibles faciles pour camoufler une doctrine politique qui mène droit dans le mur. Ils utilisent des termes sans en connaître le véritable sens, sans en mesurer la portée et surtout sans se référer à l’histoire.

Le véritable gauchisme a été défini et dénoncé en 1920 par Lénine dans la «Maladie infantile du communisme» comme une déviation de gauche du marxisme ; le terme gauchisme a connu une nouvelle jeunesse en France après les événements de mai 1968. Le communiste Georges Marchais avait dénoncé en 1968 «les faux révolutionnaires à démasquer, les groupuscules gauchistes particulièrement actifs parmi les étudiants» faisant alors allusion aux Maoïstes, aux Jeunesses communistes révolutionnaires et aux Trotskistes.  Le substantif de gauchiste, dépréciatif à l'origine, sert depuis lors à désigner un certain nombre de formations d'extrême gauche.  La voix du gauchisme en France avait été relayée par Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir qui ont donné leur caution intellectuelle, au nom de la liberté d'expression.

Gal On leader de Meretz

            Le contresens des nationalistes juifs est donc total et volontaire. En Israël la gauche est sioniste, que ce soit le parti travailliste qui dévie de plus en plus au centre ce qui lui fait perdre ses militants historiques ou bien le Meretz, qui se considère comme la vraie gauche historique mais qui peine à convaincre. A la rigueur le parti communiste Hadash et ses trois députés peuvent être qualifiés de gauchistes à l’image en France des Écologistes, du Front de Gauche et des Communistes qui eux sont les tenants d’une position véritablement antisioniste, pour ne pas dire antisémite. Cette terminologie peut donc difficilement s’appliquer aux Juifs d’Israël qui n'ont rien de commun avec les gauchistes de France.

Les gauchistes de France

            La Gauche et la Droite en Israël se rejoignent sans hésitation sur le plan sécuritaire, dans un consensus accepté ; d’ailleurs dans ce domaine, les discours des uns et des autres ne montrent aucun clivage. La défense d’Israël n’est pas négociable et la sécurité des soldats prime sur toute autre préoccupation politique. D'ailleurs, avant d’enterrer un soldat tombé au combat, on ne cherche pas à connaître sa couleur politique parce qu'il a défendu son pays au nom de la seule couleur bleu et blancOr Israël est toujours en danger, aujourd’hui plus que de coutume, et ces querelles de clochers deviennent obsolètes. 
          En revanche, la Gauche et la Droite se distinguent sur trois plans bien déterminés : l’économie, la solution du conflit israélo-palestinien et la laïcité. Le peuple juif est divers et sa diversité fait sa force et garantit son avenir. Il faut admettre en Israël toutes les sensibilités sans vouer systématiquement aux gémonies ceux qui pensent autrement. Etre de gauche de doit pas être assimilé à une tare. 

Caissière de supermarché au salaire minimum

Sur le plan économique, la Gauche est pour un partage équitable des richesses du pays. Il ne s’agit pas d’uniformisation de la société mais de la rémunération décente de ceux qui participent à l’élévation du niveau de vie de la société. On peut être riche et de gauche, ce n’est pas incompatible. Mais une politique de gauche dans un gouvernement ne doit jamais laisser sur le bas-côté des pans entiers d’une population défavorisée, près de deux millions de personnes en Israël. Et pourtant la misère est visible, pas loin de nous, dans les grandes villes et pas seulement dans les ghettos des zones de développement. 

          Les enfants sont les principales victimes de cet égoïsme ambiant qui fait que les associations d’entraide vivent de mendicité à défaut d’aides gouvernementales. Et c’est là que la Gauche cherche à agir. Le grand prix d’Israël et père des drones, David Harari, qui consacre sa retraite à cette jeunesse défavorisée, aurait bien voulu qu’elle entre dans les préoccupations du gouvernement et non pas des rabbins ou des donateurs internationaux.
Un homme de gauche vise à lutter principalement contre l'oppression économique, cherche généralement à donner un pouvoir fort  à l'État au niveau économique, au détriment du secteur privé. Le but final étant la recherche d'égalité, il est donc généralement opposé à l’ultra-libéralisme actuellement en cours au sein du gouvernement Netanyahou qui empêche les jeunes couples d’avoir un logement décent, qui limite l’accès à l’Université par manque de budget et qui impose une vie de misère à ceux qui touchent des salaires bas. Et pourtant Israël est riche. C'est pourquoi, contrairement aux apparences, on trouve des partisans de la gauche dans toutes les classes sociales dès lors que l’on analyse les chiffres et que l’on réfléchit un peu.


Le deuxième point de friction fondamental entre la Droite et la Gauche est la façon de résoudre le conflit palestinien. La Gauche veut la séparation, milite pour un État palestinien indépendant qui permettra de garder l’identité juive d’Israël, qui diminuera les frictions entre Juifs et Arabes et qui rehaussera le prestige d’Israël auprès des instances internationales et de nos alliés. Un État binational, selon les préceptes de la droite nationaliste, est un déni du sionisme tel que l’avaient conçu les dirigeants juifs historiques. Les dernières statistiques montrent que la population juive en Israël diminue au profit de la population arabe.
       L’avenir des Palestiniens ne se trouve pas au sein d’un État juif en tant que minorité aux droits bafoués tandis que les Juifs n’ont pas vocation à coloniser un autre peuple. La volonté des nationalistes de donner à la terre un sens religieux est une interprétation douteuse des textes. Il existe encore beaucoup de terres en Galilée, au Néguev et même au centre du pays qui attendent d’être occupées, au moins pour modifier l’équilibre de la majorité arabe de ces régions. Ce n’est pas un crime de choisir la paix ou le divorce plutôt que les vieilles pierres qui, par entêtement, ne serviront au final qu’à recouvrir de nouvelles tombes juives.
          D'ailleurs des archives révèlent que Ben Gourion avait déclaré en 1968 : «à choisir entre les territoires et la paix, je préfère la paix»Alors les incultes politiques en Israël pensent intimider ou culpabiliser ceux qui ne choisissent pas la voie du messianisme et qui prônent la laïcité. Ils devraient au préalable mettre à jour leur tablettes avant d’utiliser bêtement une dialectique erronée. Ils mettent en danger la stabilité du pays en traitant de gauchistes le responsable du Mossad et celui du Shabak, les deux organismes sur lesquels se fonde toute la sécurité du pays.
     Le sionisme n’entre pas dans les seules prérogatives d’un clan. Les citoyens de gauche sont des sionistes, par définition, puisqu’ils ont choisi de venir vivre en Israël alors que la terre est plus grasse à l'étranger. Ils s’inspirent des dirigeants historiques comme Ben Gourion ou Golda Meir, qui ont créé le pays alors que, historiquement, les Orthodoxes les condamnaient et les combattaient. Chacun doit pouvoir pratiquer ou non la religion sans être mis à l'index car nul ne détient la vérité. Le Livre sacré doit être l’apanage des fidèles de la synagogue, et non pas des députés de la Knesset, et ne doit pas être un justificatif anachronique aux déviations imposées par les gourous.
Les attaques contre les «gauchistes» sur les réseaux sociaux sont tristes pour ne pas dire inefficaces mais elles ne pourront pas influer sur les choix personnels de ceux qui refusent le chemin vers l’anachronisme. Les nationalistes doivent changer de logiciel et de vocabulaire s’ils veulent à la rigueur être entendus. La vulgarité, l’insulte, la mise en accusation et le vocabulaire ordurier à l’égard de ceux qui pensent différemment dénotent une argumentation pauvre, une inculture politique totale et une prétention de détenir seuls la vérité. À force de marteler des poncifs, ils ne diffusent plus un argumentaire politique mais une haine qui se transforme souvent en racisme.


La guerre des Juifs a toujours mené au drame et il faut remonter dans le temps, dans celui de la destruction du Temple de Jérusalem. La guerre civile avait fait rage entre les différentes factions, les Pharisiens et les membres du Sanhédrin, partisans d'un compromis avec les Romains et les Zélotes eux-mêmes divisés entre Jean de Gischala et Simon bar Giora. Ces batailles intestines ont affaibli considérablement les Juifs qui n’ont pu présenter un front uni contre les Romains. C’est ainsi qu’après un siège meurtrier, le Temple puis toute la ville de Jérusalem ont été détruits par les Romains. Il ne s’agit pas de faire un cours d’Histoire mais de rappeler qu’Israël doit rester au-dessus de tout cela sinon le pays ne sera pas détruit par les Arabes mais par les Juifs eux-mêmes.

6 commentaires:

  1. Tout le débat est pollué par le franglais.
    Leftist ne se traduit pas par gauchiste.
    Comme on ne peut assimiler un brave conservateur avec un utra réactionnaire.

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  2. Sur ce sujet, j'adore Raymond Aron.
    Qu'on soit de droite ou qu'on soit de gauche, on est toujours hémiplégique.

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  3. Enfin, un article clair, précis et libre. Un pas vers un retour à la pensée libérée de la dictature de la pensée idéologique du likoud. Vers du neuf en Israël ? Du calme et surtout des logements décents pour les jeunes. Des aides pour les plus démunis ! Une baisse de la tension intérieure entre Israëliens et les juifs. J'ose espérer un petit pas vers le mieux.... Ca passe par le départ de Netanyahu !

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  4. Très bon exposé ,comme d'habitude .Conclusion ? Lorsque les juifs se détestent entre eux ,ce sont leurs ennemis qui en profitent .!! On y est

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  5. Nathanyaou est coutumier du dénigrement d ailleurs même de ses proches en politique
    G.Saar en sait quelque chose
    N est ce pas Nathanyaou qui avait affirmé que Rabbin était l allié objectif des palestiniens
    On connaît la suite
    Malgré un côté brillant habile en diplomatie
    Nathanyaou pratique une politique dangereuse pour Israël par la désunion et la destruction du consensus politique et social au profit d une cohésion partisane excluant tous les autres partis
    Cela est contraire à une gouvernance démocratique et ne génère pas un bonheur de vivre en nation réunie

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  6. Il y a ceux qui souhaitent la gauche et ceux qui souhaitent la droite , mais, il n’y a pas de peuple de gauche ou de peuple de droite , il n’y a qu’Un PEUPLE ! Israël doit choisir entre la poursuite du CHAOS actuel ou le bien-être social et la stabilité politique, cela passe par une transformation radicale du Système actuel et la création d’une démocratie intelligente et opérationnelle ! Une cinquième élection est inévitable dans un proche avenir ! Ces futures coalitions obscures seront ÉPHÉMÈRES c’est une certitude !

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