RIVALITÉS ENTRE POUVOIRS POLITIQUE ET MILITAIRE
Par Jacques BENILLOUCHE
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En ces
temps d’incertitude et de tension liés au nucléaire iranien, l’attitude du
pouvoir politique face au pouvoir militaire fait débat en Israël. Il pose le problème
de la politisation de l’armée qui est une nouvelle donnée en Israël. Dans tous
les pays démocratiques, les questions de défense appartiennent au pouvoir
politique qui régit l’influence de l’armée. L’armée ne s’immisce pas dans la
politique à condition que le gouvernement lui laisse la conduite des affaires
militaires tout en la contrôlant par le vote du budget de la défense.
Bar Lev, Levi Eshkol, Rabil et Tal |
Expertise
militaire
Les
premiers ministres israéliens, à quelques exceptions près, n’avaient pas
d’expertise militaire pointue et s’en remettaient aux chefs militaires pour les
décisions stratégiques. Certains, à l’instar de Lévi Eshkol, étaient totalement
incompétents en matière militaire. Ils n’en étaient pas moins efficaces dans
leurs décisions. Ils appliquaient les principes de Clausewitz, théoricien militaire prussien, auteur
d'un traité de stratégie militaire :
«c’est au gouvernement d’élaborer les grandes lignes d’une guerre, car lui
seul détient une connaissance interne de la situation politique que le chef
militaire, simple spécialiste, ne peut posséder».
La
logique voudrait donc que les premiers ministres s’occupent des problèmes
politiques et financiers mais non militaires. S’ils veulent imposer les règles
d’obéissance et de subordination du pouvoir militaire, ils doivent abandonner
leurs prérogatives sur les questions de défense. Mais cela est devenu difficile
depuis que les militaires ont envahi les postes politiques à la place des
civils. À l’étranger, les ministres de la défense sont des civils qui apportent
une vision politique contrastée dans le débat militaire. En Israël, les anciens
généraux promus à la défense ont tendance à se comporter en super chef d’État-major,
créant souvent des conflits qui peuvent discréditer le pouvoir civil.
Beny Gantz et le ministre Yaalon anciens chefs d'Etat-Major |
Benjamin
Netanyahou avait empiété sur le domaine voué à l’armée et a donné l’impression
de négliger l’avis des chefs militaires relégués au rang d’auxiliaires. Il
exprime ainsi sa volonté d’exercer le pouvoir sur les questions militaires parce
qu’il détient le bouton du nucléaire. C’est pourquoi on n’a jamais vu autant de
généraux prestigieux donner leur avis en public, contrer le gouvernement et insister
pour juger certaines options irréalisables au point qu’ils sont accusés de
manipuler l’information.
Expérience
militaire
Fini le
temps où les premiers ministres écoutaient avec respect les thèses de leur État-major.
Ils veulent à présent étudier eux-mêmes les dossiers comme des experts militaires,
sans hésiter de contredire ou de contester le bien-fondé de la stratégie choisie.
Par la pression politique qu’ils insufflent, le chef d’État-major perd sa
sacralité ce qui fait se poser la question de l’existence réelle d’un pouvoir
militaire en Israël. Les officiers de Tsahal savent que leurs décisions en
matière de défense ne sont pas inspirées par des calculs de politique
politicienne et ils contestent donc au gouvernement l’expertise en matière
militaire, a fortiori lorsqu’il s’agit
de stratégie nucléaire.
Yossi Cohen, chef du Mossad |
Le
premier ministre est certes bien informé. Il reçoit les renseignements de haut
niveau, les télégrammes des attachés militaires en poste à l’étranger, ceux du
Mossad (Services de renseignements à l’étranger) et d’Aman (Direction du
renseignement militaire). Il est le destinataire des notes et dossiers préparés
par l’État-major des armées et par son ministre de la Défense nationale. Mais son
pouvoir semble absolu puisqu’il est seul à décider, avec son Cabinet de
Sécurité des principaux ministres, de toute opération militaire extérieure.
Eshkenazi et Barak |
Le
ministre de la défense, Ehud Barak, ancien chef des armées, avait expérimenté sa
mauvaise position en raison de son passé, pour négocier le soutien des chefs
militaires jaloux de leurs prérogatives. Il a perdu la vision innée à un homme
politique et a empiété sur le pouvoir de l’armée en devenant le porte-parole
des volontés du premier ministre.
Mais le pouvoir civil s’est affranchi de la
politisation de l’armée. Elle n’est plus l’armée populaire, une et indivisible,
comme du temps de Ben Gourion. Elle s’est éclatée en clans, ayant chacun une
ambition politique, dont les membres préparent déjà leur retour à la vie civile
en intégrant le parti qui leur fera la meilleure proposition. Le cas actuel de
Gabi Eskenazi est éloquent en la matière puisqu’il semble hésiter entre le parti
travailliste d’Yitzhak Herzog et Yesh Atid de Yaïr Lapid. Ses relations
exécrables avec Benjamin Netanyahou l’éloignent totalement du Likoud.
Guerre
moderne technique
La
guerre moderne est complexe et il est difficile à un civil d’assimiler toutes
les finesses des nouvelles tactiques. Il lui faut une expertise technique très
étendue et suffisamment de vision militaire pour faire la synthèse entre les contraintes
politiques et économiques, diplomatiques et militaires, industrielles et
technologiques. Il doit être capable d’arbitrer entre le possible et le
souhaitable, entre le risque politique et l’avantage stratégique. Il doit dominer
les caractéristiques générales des matériels militaires pour équilibrer ses
choix politico-stratégiques avec les ressources financières du pays.
La
prééminence du chef du gouvernement n’est pas remise en cause mais les
militaires s’autorisent une certaine résistance feutrée et indirecte face au
pouvoir politique. D’ailleurs certains n’ont pas hésité à se rebiffer quand ils
étaient en opposition avec le gouvernement. Moshé Yaalon, avait préféré quitter
son poste plutôt que de couvrir le désengagement de Gaza. Plus près de nous,
tous les chefs sécuritaires en poste s’étaient opposés en 2009 à toute action
militaire contre l’Iran parce qu’ils n’avaient pas en main toutes les
assurances politiques.
Mais une
certaine évolution se fait sentir au sein des militaires en tenue. Les généraux,
qui ont intégré le principe d’un interventionnisme politique, acceptent qu’on
empiète sur leur périmètre afin de favoriser une coopération satisfaisante
entre politiques et militaires. Mais les débordements sont tenaces et les
limites souvent franchies. Montesquieu affirmait l’importance du principe
d’équilibre des pouvoirs car, sans cet équilibre, il n’y a plus aucune liberté, ni aucune protection,
contre l’abus de pouvoir.
Cabinet sécurité |
Ce
principe de la séparation des pouvoirs semble avoir été rogné après la décision
de Benjamin Netanyahou de se passer du consentement de son Cabinet pour
trancher sur les dossiers les plus importants. Il semble qu’il ait du mal avec
ses chefs militaires qu’il a d’ailleurs souvent nommés et qui prennent des
positions publiques sur les questions sécuritaires.
Mise en garde du chef de Tsahal
Le chef
d’État-major Gadi Eizenkot a mis en garde ses soldats contre l’usage excessif
de la force face à la vague d’attaques terroristes. Il a estimé que les règles de
l’armée étaient suffisantes pour traiter les menaces terroristes et que
les soldats devaient faire preuve de plus de discernement sans céder à la
panique : «Quand une fille de 13 ans brandit des ciseaux ou un couteau
et qu’il y a une distance entre elle et les soldats, je ne veux pas voir un
soldat ouvrir le feu et vider son chargeur sur une fille même si elle commet un
acte très grave. Il devrait plutôt utiliser la force nécessaire pour atteindre
son objectif. L’armée ne peut pas
utiliser de slogans comme tuer ou être tué».
La majorité des hommes politiques et des députés de
droite se sont élevés comme un seul homme contre les déclarations du chef des
armées qui a cependant eu droit à un soutien officiel du gouvernement, du bout des lèvres. Cela est
devenu courant qu’une question sécuritaire se transforme en problème politique.
Le chef de l’opposition Yitzhak Herzog est monté au filet
pour le défendre en accusant Netanyahou : «d’avoir laissé les
ministres dégrader l'homme qui est en charge de notre sécurité et d’avoir abandonné
le chef d'État-major pour les messies de l'extrême droite». Le leader de Yesh
Atid, Yaïr Lapid, a soulevé lui-aussi cette question : «Durant ces dernières
heures, j’ai constaté que les politiciens attaquent continuellement le chef d'État-major.
Nous devons soutenir pleinement les forces de sécurité, leurs opérations et les
règles d'engagement. Une attaque sur le chef d'État-major est une attaque
contre l'armée israélienne».
En ces
moments de troubles qui agitent la région et qui menacent Israël, la cohésion
doit être totale entre le gouvernement et l’opposition en ce qui concerne Tsahal
qui tient entre ses mains la sécurité du peuple juif.
Article publié dans Times of Israël :
http://frblogs.timesofisrael.com/rivalites-entre-pouvoirs-politique-et-militaire/
Article publié dans Times of Israël :
http://frblogs.timesofisrael.com/rivalites-entre-pouvoirs-politique-et-militaire/
La mise sur la touche de tous les généraux pendant 3 ans avant de briguer un quelconque poste politique n'a-t-elle pas favorisé les politiciens souvent incompétents, comme Bibi ou Bennett, ou pire comme Herzog et Lapid?
RépondreSupprimerIl est quand même curieux qu'une période d'attente de 3 ans a été imposée aux seuls militaires, alors que les haut-fonctionnaires ne sont pas soumis à cela et en profitent pour envahir la direction économique du pays!
Quant a la remarque de Gadi Eizenkott (Azenkott pour remettre cet homme dans son milieu d'origine), elle m'a troublee. Pourquoi n'emploie-t-on pas des pistolets électriques au lieu de vider des chargeurs à droite et à gauche? Dans cette perspective, les remarques "antisémites" de la Ministre suédoise des Affaires Etrangères prennent de nouvelles dimensions!
Bon article, encore faut-il être un Oracle pour discerner les bonnes décisions
RépondreSupprimerTant que vos militaires ne seront pas obligés d'aider leur Premier ministre à mettre une gerbe devant une banderole affichant : "Je suis Palestinien", ils auront moins à se plaindre que les nôtres.
RépondreSupprimerLa tension liée au nucléaire iranien est totalement artificielle ,pure propagande de l'extrême droite pour hystériser les citoyens alors que le vrai danger est en Cisjordanie où la jeunesse devient de plus en plus incontrôlable
RépondreSupprimerL'Iran des ayatollah ne lancera pas de bombes nucléaires contre Israel . Mais la tension n'est pas du tout artificilelle comme le prétend Nival Bernard, dans la mesure où dotée de cette arme dissuasive contre toute intervention chez elle ,lIran munie de son idéologie islamiste agressive et de sa puissante armee bientot bien financée provoquera des troubles dramatiques dans la région et jusqu'aux frontières si ce n'est à l'intérieur d'Israel . L'Occident déjà lache osera encore moins bouger de peur d'une forte menace terroriste laquelle pourrait etre nucléaire sur place sans avoir besoin de tirer un missile.
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