UNE ENFANCE JUIVE À CONSTANTINE
Benjamin STORA interrogé par
Jean CORCOS Judaïques FM
Jean CORCOS Judaïques FM
L’émission du 3 mai, a fait un retour à
une histoire contemporaine qui a durablement traumatisé notre pays. Cette
histoire, la Guerre d'Algérie, nous a été contée par un des meilleurs spécialistes
du sujet, Benjamin Stora. Historien et professeur d'Université, il est à la
tête de la Cité Nationale d'Histoire de l'immigration depuis quelques mois. Sa
bibliographie sur la guerre d'Algérie compte quelques 24 livres déjà publiés,
et cela sans compter les innombrables articles, documentaires, réalisés seul ou
en collaboration, et les autres livres consacrés au Maghreb.
Sa démarche récente soulève un point qui
a dû certainement parler au cœur de beaucoup de mes auditeurs : la dimension
juive n’apparaissait pas dans ses jeunes années ni pendant les premières
décennies de son travail. En 2006 il avait publié «Les trois exils. Juifs
d'Algérie». Il vient de publier aux éditions Stock, un livre court de 137
pages, mais extrêmement dense : «Les clés retrouvées», avec sous-titre
«Une enfance juive à Constantine». Il est lui-même le héros de l'histoire ;
une histoire qui rassemble les éléments dispersés d'une mémoire enfantine, une
mémoire qui se confond à la fois avec la guerre, mais aussi avec les dernières
années de la communauté juive qui sera amenée à quitter la ville en même temps
que sa famille, quand il avait tout juste 11 ans et demi.
Pour planter le décor historique de son
récit, Benjamin Stora nous raconte deux journées particulières où sa mémoire s'est
imprimée sur des événements historiques. La première journée du 20 août 1955,
des soldats français entrent dans le petit appartement familial à Constantine. Comme
devait le rappeler mon invité, Constantine est une ville bâtie sur un rocher,
un peu «nid d'aigles», dont l’accès s’effectuait par l’un des ponts, ou
en escaladant les gorges du Rummel qui faisaient face à leur immeuble. Ce
chemin avait été emprunté ce jour-là par
des maquisards du FLN, repérés par les soldats qui leur ont tiré dessus à la mitrailleuse. Effrayé par l'odeur de la poudre
et par le bruit, le petit Benjamin âgé de cinq ans et demi, a vécu en direct
l'entrée dans la guerre, en se demandant souvent s’il ne vivait pas le souvenir
d'une scène de film.
Le 12 juin 1962, il quitte
définitivement cet appartement avec ses parents et sa sœur aînée. Sa mère
nettoie longuement les lieux alors que clairement ils ne reviendront pas. Puis
ils partent, avec chacun deux valises et des manteaux, malgré la chaleur, pour
amener le maximum de vêtements.
Dans le chapitre intitulé «Une si
longue histoire», il évoque le riche passé de cette antique capitale
berbère, en citant les mots d'admiration de Guy de Maupassant qui écrivit «Salut
aux juives. Elles sont ici d'une beauté superbe». Où vivaient les Juifs, où
vivaient les Musulmans, où vivaient les Européens, comment se répartissaient
les quelques 100.000 habitants de la ville à l'époque ?
Quartier de l'ex Bardo |
Benjamin Stora a d'abord insisté sur le
fait que la ville même de Constantine est comme un personnage de son livre. Les
trois communautés vivaient séparées, chacune dans son quartier, les Juifs
vivant à proximité du quartier musulman du Bardo. La communauté juive de cette
ville, forte de 15 à 20.000 membres, vivait la religion de manière
traditionnelle et pratiquait la langue arabe contrairement aux Juifs d'Alger et
d'Oran. Elle avait une triple caractéristique ; elle avait conservé une
proximité avec les Musulmans, grâce à la langue et au mode de vie, a été fidèle
à sa religion, et était attachée à la République française qui l’avait émancipée.
Ses proches sont évoqués longuement dans
le livre. En bon historien, mon invité avait
rassemblé le maximum d'informations sur sa famille, sur celle de son
père, les Stora, et celle de sa mère, les Zaoui. Il insiste dans son livre sur
les différences entre les deux familles, qui me semblent un peu emblématiques
des transformations, à la fois sociales et culturelles, des Juifs d'Algérie
pendant les décennies qui ont suivi le Décret Crémieux. Sur l'origine de son
patronyme, il était convaincu pendant longtemps qu'il était d'ascendance
séfarade alors qu’il s’agissait d’un nom d'origine berbère. On trouve ainsi un lieu
nommé Stora, une plage où ils passaient leurs vacances les mois d'été. La
famille Zaoui descendait aussi d'une grande famille d'origine berbère, des artistes
renommés en bijouterie, des bijoux berbères souvent portés par des Musulmans.
Faute de temps, Benjamin Stora n'a pas eu le temps d'évoquer la figure de son
père, qui s'est marié tardivement après
avoir vécu en France avant la Guerre. Il a eu comme lui-même un engagement trotskiste
durant ses jeunes années, et je me suis demandé si ce père, par ses valeurs,
par sa vision du monde n'avait pas été inconsciemment un modèle pour lui.
Les relations avec les Musulmans sont
décrites dans les pages 33 à 39 de son livre. Il évoque une ville et une vie très
orientales, le voisinage direct des Algériens à qui on achetait la nourriture,
qui étaient au courant des fêtes juives comme les Juifs étaient au courant des
leurs, et avec lesquels ils avaient beaucoup de points communs comme la musique
ou les séances de Hammam. En même temps, les Juifs maintenaient une distance
assez méprisante face à leur misère. Fait appréciable, il a cité un historien
algérien, Mohamed Harbi. Les Musulmans avaient des préjugés purement antisémites
remontant à plusieurs siècles. J’ai donc
demandé à Benjamin Stora : «vous qui avez établi des relations confiantes
avec beaucoup d'intellectuels musulmans, est-ce que vous pensez que cette
réalité-là peut aussi leur être racontée ?». En réponse, mon invité a
rappelé que la convivialité dans l'espace public existait bien, en particulier
dans les orchestres ; en même temps, existaient de part et d'autre des
préjugés, d'ordre religieux ou social, avec côté musulman un vieux mépris porté
sur les dhimmis, et également une séparation sur un plan juridique. Mais nous
n'avons pas pu, faute de temps aussi, revenir sur le regard porté aujourd'hui
par les Algériens sur leurs anciens voisins juifs.
On peut reconstituer les souvenirs de la
guerre d'Algérie à la lecture de son livre. Au début, on a l'impression que la
vie continue. Les cafés sont pleins, les gens sortent, il y a de la gaieté et
puis, après les illusions du début, la guerre s'installe, se durcit. Dans les
deux dernières années, il ne sort plus de son appartement face aux plasticages
de l'OAS ; il ne va plus à l'école. Il énumère dans son livre, en arrière
plan historique, tous les attentats qui ont visé spécifiquement la communauté
juive, ses synagogues, ses lieux de rassemblement, ses personnalités. Il a
ainsi été tout près de l'endroit où a été assassiné le grand musicien Raymond
Leyris, le 22 juin 1961.
Raymond Leyris |
Mais parallèlement il y a eu des appels
du pied du FLN pour que les Juifs restent ; il y a même le souvenir des
deux amis musulmans qui rencontrent son père pour lui dire de rester. Pourtant,
sur 130.000 Juifs d'Algérie, seuls quelques milliers restent, et ceux-là finiront
même par partir. Ses parents quittent Constantine juste avant l'Indépendance ;
pourquoi ces hésitations ? Selon Benjamin Stora, ils n'avaient jamais eu le
sentiment qu'un jour ils devraient quitter le pays ; l'assassinat de Raymond
Leyris a précipité leur décision, mais ils hésiteront encore un an. Les amis
musulmans de son père n'étant pas parvenus à le rassurer sur ce que serait le
statut des Juifs dans une Algérie indépendante, seule la fuite du pays leur apparut
comme une solution.
Juifs d'Algérie |
Enfin nous avons
évoqué la relation avec Israël. La communauté d'Algérie a été l’une des moins
sionistes du bassin méditerranéen ; seuls 4.000 personnes sont allées y
vivre. Benjamin Stora souligne cependant, dans les deux dernières pages de son
livre, l'importance croissante d'Israël pour les enfants et petits-enfants des
rapatriés de 1962. Deux raisons à cela ; l’une négative concerne pour
certains le ressentiment ; l'autre positive décrit Israël comme un nouvel «Orient
rêvé» qui permet de renouer avec ses racines. Mon invité pense que les deux
aspects peuvent s’appliquer et qu'Israël peut être cet Orient rêvé, très proche
de l'Occident mais en même temps reliant les Juifs avec leurs origines. Israël
fait revivre un peu l'identité de leurs parents; cette histoire des Juifs
d'Algérie a bien existé et elle permet de construire des passerelles.
Cliquer sur le lien pour écouter l'émission sur Judaïques FM
http://www.judaiquesfm.com/animateurs/3/corcos-jean.html
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http://www.judaiquesfm.com/animateurs/3/corcos-jean.html
Article intéressant sur Benjamin Stora.
RépondreSupprimerLa n'était pas le sujet bien sur mais j'aurais aimé que vous l' interrogiez sur ses prises de positions quant à l'enseignement scolaire du Maghreb et de l'islam.
Paradoxal pour un homme de gauche.....
Cordialement
Véronique Allouche
Pourquoi nier l'appartenance au peuple juif en trouvant une ascendance berbère ou khazar, les tueurs antisémites n'y voient que des victimes potentielles.
RépondreSupprimerN'y voient que des juifs