LA RELATIVITÉ DES CHOSES
Par
Jacques BENILLOUCHE
Il y a bien une chose que le commun des mortels ne peut planifier, c’est l’entrée à l’hôpital. Le veille je me trouvais en reportage à la frontière de Gaza avec le major Yanir K., adjoint au commandant de la base d'Urim, pour nous entretenir de la situation de Gaza et nous approcher d’une frontière sensible à travers laquelle nous pouvions voir les villas luxueuses de certains dirigeants et les immeubles modernes à plusieurs étages. Puis le lendemain j’étais pris en urgence en ambulance à l’hôpital Yéhilov de Tel-Aviv. La frontière était alors calme avant qu’elle n’explose quelques jours plus tard, ce qui était fortement prévisible car, selon le major, l’instabilité règne sans que l’on puisse anticiper une quelconque réaction du Hamas.
Futilités
Une dizaine de
jours de repos et l’on apprend à philosopher sur la relativité des choses. Tout
parait alors futile devant les malheurs qui nous entourent. Futilité les problèmes de Copé et
de Taubira, futilité le conflit entre Obama et Netanyahou, futilité le
croisement des fers entre Hollande et Sarkozy ; quant au problème
ukrainien il nous passe bien au-dessus de nos têtes. On ne rêve alors qu’a des
choses élémentaires et basiques, d’une bonne promenade à pied dans un centre commercial,
d’un bon steak ou bien sûr d’un bon sandwich tunisien. Ces choses minimes
prennent alors des proportions irréalisables lorsqu’on est accroché à toutes sortes
de perfusions.
Pendant
quelques jours j’ai vécu dans une bulle où l’important pour les protagonistes résidait dans la volonté de se battre pour la vie. Mon petit bobo de calculs devient négligeable
face aux maux plus graves et plus dangereux alors que certains sont rongés par
le crabe, cette bête immonde qui ne recule devant rien. Et pourtant les
patients restent optimistes, avec acharnement et courage, prenant leur mal en
patience. Le comble fut qu’ils furent les premiers à me soutenir car il règne
une fraternité à toute épreuve dans la maladie.
Cela m’a permis de constater que la médecine israélienne n’a rien à
envier à la française, soi-disant la plus réputée, que j’ai pu expérimentée
quelques années auparavant. Des deux côtés la qualité des médecins est
indéniable mais une grande différence réside dans «l’hôtellerie» et le
service «après-vente». En France j’ai expérimenté un hôtel trois étoiles
tandis qu’à Tel-Aviv un cinq étoiles : chambre à quatre et toilettes sur
le palier en France contre une chambre double grand luxe avec toilettes
personnelles à Tel-Aviv. Là où il y avait peu de moyens humains, Yéhilov
alignait une brigade de professeurs, de médecins, d’internes et d’infirmiers
dont le dévouement remarquable nous fait réagir sur la modicité des salaires, parfois
en dessous de ceux d’un marchand de légumes du souk. Leur attention était telle
qu’il était difficile de ne pas se sentir gêné par tant de délicatesse et de
sacerdoce. C’est la relativité des choses. Ceux qui nous permettent de ne pas
repartir en poussière, à tout instant, sont ceux qui nous aident à combattre
avec force le mal pour garantir la vie, la chose la plus chère durant ces
instants de souffrances.
Apartheid
Et puis l’on se
remet à songer à l’apartheid dont est accusé Israël par certaines organisations
internationales. Yéhilov est ce qui se fait de mieux dans ce domaine pour
démentir des accusations infondées. Des médecins et des infirmiers arabes
donnent leurs soins de manière naturelle. Une infirmière se charge des
transfusions sans que son voile nous ait de manière quelconque gêné puisque ce
sont ses convictions et que son travail est parfaitement réalisé. Il n’y a pas
de diabolisation du voile en Israël. Dans des chambres voisines des patients
arabes sont soignés avec la même rigueur sans qu’ils aient besoin de cacher leur religion car il ne s’agit pas d’un combat politique mais d’un combat pour
la vie. Des arabes soignent des Juifs et des Juifs soignent des Arabes pour que la lutte contre la maladie prime.
Le vrai
apartheid a eu lieu avec mes anciens compatriotes qui ont interdit aux
passagers israéliens d’une croisière de fouler le sol tunisien et qui se
comportent de manière plus royaliste que le roi en matière de conflit
palestinien. La réaction du président de la compagnie norvégienne a été courageuse
et digne car il n’a pas craint la foudre des pays arabes. Ses navires éviteront
dorénavant les escales tunisiennes. Il faudra à présent souhaiter que les juifs
de toutes nationalités ne se rendent pas au pèlerinage de Djerba, en mai, pour
laisser le coq tunisien décharné et déplumé chanter au vent en solitaire. Les
passagers n’auront plus à se déverser dans les souks pour aider à la
réanimation d’une économie en pleine torpeur.
Et pourtant quelques semaines
auparavant à Paris, à l’occasion d’une rencontre privée avec un dirigeant de
Nidaa Tounès, il m’avait rassuré sur les intentions plus ouvertes du nouveau gouvernement.
Vœu pieux d’un nouveau régime gangréné par les islamistes.
La
vie et l’espoir
Alors je
souhaiterais inviter quelques fonctionnaires internationaux zélés pour une
visite guidée où ils pourront se rendre compte par eux-mêmes de la symbiose qui
existe entre les deux communautés juive et arabe, avec au final un concert
gratuit. En effet l’originalité de Yéhilov consiste à organiser tous les jours
dans le grand hall d’entrée un concert de 17heures à 20 heures durant lequel des
pianistes de talent, tous bénévoles, donnent un peu d’humanité à une tour
moderne. Alors les patients attendent cet instant avec plaisir pour se rendre
en pyjama soit sur leur jambes, soit sur une chaise roulante en étant poussés
par moins malheureux qu’eux. La musique diverse et variée redonne alors du baume au
cœur et permet de faire oublier, l’instant d’un concerto ou d’une musique
populaire, l’injustice de la vie.
On sent que le
peuple entier est mobilisé pour une même cause noble. Le jour de Pourim, jour
de ma sortie d’hôpital, fêtant la légende de la reine Esther et du méchant Aman,
de nombreux jeunes déguisés se sont répartis dans les chambres avec leurs cadeaux et leurs chants de joie pour montrer que les malades ne sont pas
oubliés et qu’ils font partie à part entière de la communauté des vivants.
Enfin, un point d’honneur pour la communauté des orthodoxes que
j’ai souvent malmenés dans mes articles. Ils apportaient presque tous les jours
un peu de réconfort moral aux malades en donnant de leur personne pour calmer les
appréhensions et les inquiétudes de ceux dont le sort est incertain, aux mains
d’une puissance invisible. Le vendredi ils distribuent un petit sac individuel comportant
une bouteille de vin de prière avec deux petits pains, se proposant même de
faire eux-mêmes le kiddouch, la prière du shabbat, pour ceux qui sont fâchés
avec la religion. Et ils ne demandent rien en échange car le patient est le
seul, en ce moment, en droit de recevoir sans avoir besoin de donner.
Quelques jours miraculeux pour démontrer la fatuité de nos certitudes, la hiérarchie des problèmes mais surtout la fragilité de notre vie trop axée sur les biens matériels dans un monde où rôde le malheur. Mais une chose est certaine cependant, la médecine israélienne n'a pas à avoir de complexes. Elle souffre, comme le gouvernement, d'une lacune de Hasbara, de communication. Mais elle est certes convaincue qu'elle est au top pour le plus grand bien de ses citoyens.
Refouah chelema Jacques , dans toute mauvaise chose, il ressort du bon paraîtrait il, vous venez de le prouver avec cet article
RépondreSupprimerMerci pour ton témoignage, Jacques ... je m'inquiétais justement de ce "silence" d'une dizaine de jours ! Meilleure santé, et merci pour ce reportage bien émouvant.
RépondreSupprimerJe suis heureux mon cher Jacques de vous voir rétabli.
RépondreSupprimerEn temps que médecin je suis peut-être plus sensible que d'autres à la profondeur humaine .de votre billet
Oui, comme sont derisoires toutes nos petites querelles, nos jalousies, nos haines alors que notre vrai propblème est la souffrance, la vie et la mort..
Merci pour cette belle leçon de vie
Affectuieusement*
André
bravo pour ce message de fraternité très émouvant.bon rétablissement
RépondreSupprimercher Jacques, après un bref séjour à Ihilov, je peux témoigner comme vous, de cette fraternité qui s'exprime dans les urgences israéliennes... un peuple habitué aux situations d'urgence... Cet article nous révèle la profondeur d'âme qui se cache derrière une pensée bien faite. j'aime encore plus cette âme que sa pensée, je vous souhaite une parfaite guérison... Evelyne
RépondreSupprimerMerci Jacques pour ce témoignage, qui remet bien les choses en place. Une de mes filles est chirurgien dans un hôpital d'Israël, pas du tout aussi prestigieux qu'Ichilov, mais je peux confirmer ton témoignage sur tous les points. Remets toi vite, nous avons tous besoin de toi. Norbert
RépondreSupprimerBonjour Jacques B. Ici à Jérusalem, nous sommes en plein Pourim.
RépondreSupprimerBravo pour votre bel article, comme à l'accoutumée.
Et bon rétablissement !
Vous voyez qu'à force de sonder l'avenir dans l'inquiétude et de le calculer,
on finit par s'en faire (des calculs) qui finissent par se chiffrer en coliques
(néphrétiques) ! L'équation est complexe.
La seule solution de ce problème mathématico-hospitalo-diplomatico-politique
est de se contenter, comme le Zadig de Voltaire, de cultiver son jardin.
Je vois venir la question! (Les Juifs sont des gens compliqués)...
Et si on n'a pas de jardin ?
Ma réponse sera aussi simple que trigonométrique.
Et même halakhique (Tout le monde n'est pas anticlérical, Monsieur de Voltaire)
On peut se contenter d'un pot !
Mais non, pas un pot de fleurs ! Et encore moins de chambre !
Non! Tout simplement un pot avec un ami !
Un ami qui vous veut du bien. (Sans anonymat)
Comme tous vos lecteurs.
Amicalement Dr Claude Salama
Que c'est bon à lire,bon rétablissement !
RépondreSupprimerCordialement
Jean-Claude
Excellent témoignage comme on voudrait en lire plus souvent , à la fois humain et nous montrant la relativité des problèmes de la vie et pourtant ....Bon rétablissement .
RépondreSupprimerMon cher Jacques,
RépondreSupprimerJe viens d'avoir, au travers de ton article de ce matin, l'explication de ton trop long silence.
J'espère qu'à présent tu as retrouvé ton tonus de jeune homme.
J'ai moi-même été hospitalisé il y a quelques mois à Barzilaï, et tu as exprimé bien mieux que je ne l'aurais fait, l'ambiance de nos hôpitaux, sans omettre de décrire le savoir faire et les diagnostics hyper pointus de nos médecins. Je m'en suis même fait des amis après les 13 jours passés auprès d'eux.
Je te souhaite une excellente santé mon cher Jacques, et un grand merci de revenir parmi nous,
Je t'embrasse,
amitiés constantes,
Claude
Cher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerJe redoutais que quelque chose de grave ne soit en train de se passer pour vous aussi.
Je suis heureuse que les choses finissent bien pour vous et je vous souhaite un très prompt rétablissement complet.
Votre article foisonnant était intéressént à plus d'un titre.
Le principal étant qu'il est très difficile pour les personnes qui n'ont pas vécu cette situation de comprendre que même les moments très difficiles peuvent être vécus dans une grande sérénité et le sentiment de faire exactement ce qu'il faut faire au moment où il faut le faire.
Avec mes sentiments les plus amicaux.
Bon rétablissement Jacques bonne santé.On a hâte de recevoir vos articles que nous apprécions énormément.
RépondreSupprimerOutre nos voeux de lecteur pour votre prompt rétablissement, nous avons été sensible à l'humanité des hôpitaux d'Israël. Un très grand nombre d'hôpitaux dans le monde font preuve de la même volonté de soigner les malades. Il est dommage de se justifier car nous juifs croyons encore que nous ne sommes pas considérés à notre juste poids d'humanité. Mais bon sang, nous appartenons à la même espèce !
RépondreSupprimerDe Yossi Taieb
RépondreSupprimerCher Jacques,
Nous te souhaitons un prompt retablissement.
Amities
Mon cher Jacques, l'espère que tu te rétabliras rapidement. Mais j'admire ton art de transformer du négatif en positif. Ta maladie nous a valu un bel article sur les hopitaux israéliens
RépondreSupprimerAvec toute mon amitié
Très cher Jacques ,
RépondreSupprimerNous sommes très heureux de te savoir sorti de ce calvaire ; et même après ces pénibles moments ta verve demeure inchangée . Merci pour cet article aux multiples facettes , humaines , philosophiques , politiques etc … qui évoquent en nous tant d'émotions , de réflexions et de considérations variées . Merci pour tout cela . Tous nos souhaits affectueux de bonne santé . Valli - Hector