LA RÉVOLTE DES BÉDOUINS D’ISRAËL
Par
Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
La révolte des Bédouins du Néguev a surpris parce qu’il s’agit de tribus arabes nomades pastorales, d’une part pacifiques et d’autre part très impliquées dans la vie israélienne et dans l’histoire du pays. Depuis la fin de l'empire ottoman, les Bédouins, partiellement sédentarisés vivent de l'élevage du bétail dans les zones désertiques du Néguev qui fait partie d'Israël depuis 1948.
Des tribus nomades
Les tribus
bédouines du Néguev se subdivisent en trois catégories : les descendants
des nomades arabes originaires principalement de l'Arabie saoudite, les descendants
des tribus bédouines du Sinaï et les paysans palestiniens venus des zones
cultivées. Depuis la création de l’État d’Israël en 1948, une partie s’est
installée dans les pays voisins tandis qu’un processus de sédentarisation a été
imposé à ceux qui étaient restés en Israël.
Village d'Umm Al-Hiran non reconnu |
La population
bédouine du Néguev est évaluée à 210.000 personnes. Entre 1968 et 1989 Israël a
construit sept villages pour la population bédouine mais plus de la moitié des Bédouins s’y est
installée. Les autres, évalués à 90.000, sont restés dans 46 villages, dont le
village d’Umm Al-Hiran, non reconnus par le gouvernement sous le prétexte qu’ils
ont été construits sans planification avec aucun raccord à l’électricité ni à
l’eau courante. Israël a donc été contraint de prendre des mesures pour les
Bédouins du Néguev de façon à ce qu’ils puissent bénéficier de services publics,
de services de santé, de transports publics, d’accès à l’eau et à l’électricité
et de services éducatifs. Il menace de détruire ces villages illégaux pour installer les habitants dans des cités nouvelles dotées d'une solide infrastructure.
Ville bédouine de Rahat |
Cette évolution dans le nomadisme pastoral a poussé les Bédouins à
se qualifier «d’Arabes du Néguev» puisqu’ils sont en majorité
sédentarisés dans une région qui représente 60% de la surface de l’État
d’Israël mais qui n’abrite que 8% de la population. Les Bédouins, du Néguev,
qui disposent de la nationalité israélienne, sont actuellement en situation
conflictuelle avec le gouvernement car une grande partie d’entre eux refuse de
se sédentariser et d’abandonner leur structure en tribus disposant chacune de
son propre territoire dans le désert.
Proches des Israéliens
Quoique Arabes,
les Bédouins forment une société distincte du monde arabe et ont toujours été
très proches des Israéliens au point d’ailleurs de les avoir aidés lors des
combats de la guerre d’indépendance de 1947. En 1946, le chef de la tribu Abu
Yusuf al-Heib a envoyé plus de 60 de ses hommes pour combattre aux côtés des
forces israéliennes contre leurs voisins arabes en Galilée.
Les troupes égyptiennes avaient poussés les Bédouins dans les bras des Israéliens après avoir commis l’erreur en 1947 de mener une politique répressive contre ceux qui campaient près de Beersheba parce qu’ils les soupçonnaient de fournir un soutien militaire aux Israéliens. Ils les avaient enfermés dans des camps qui n’ont été libérés par Tsahal qu’en octobre 1948. Ce fut ainsi le cas du Sheikh de la tribu d’El Abu Agheila. Par reconnaissance des jeunes bédouins s’étaient alors engagés dans les forces de défense israélienne dès 1949. Depuis, ils ont participé à toutes les fêtes de l’indépendance israélienne juchés sur leurs chameaux.
Libération du Sheikh de la tribu d’El Abu Agheila |
Les troupes égyptiennes avaient poussés les Bédouins dans les bras des Israéliens après avoir commis l’erreur en 1947 de mener une politique répressive contre ceux qui campaient près de Beersheba parce qu’ils les soupçonnaient de fournir un soutien militaire aux Israéliens. Ils les avaient enfermés dans des camps qui n’ont été libérés par Tsahal qu’en octobre 1948. Ce fut ainsi le cas du Sheikh de la tribu d’El Abu Agheila. Par reconnaissance des jeunes bédouins s’étaient alors engagés dans les forces de défense israélienne dès 1949. Depuis, ils ont participé à toutes les fêtes de l’indépendance israélienne juchés sur leurs chameaux.
Soldats bédouins |
Bien que le
service militaire ne soit pas obligatoire pour les Arabes israéliens, de
nombreux Bédouins ont fait le choix de servir en tant que volontaires dans
l’armée régulière ou dans le service civil. Certains ont d’ailleurs reçu la
plus haute médaille de Tsahal, l’Ordre de la Distinction, à l’instar du lieutenant-colonel bédouin Abd El-Amin Hajer (connu sous le
pseudonyme Amos Yarkoni). De nombreux soldats ont également reçu des
distinctions pour leur participation à l’opération «Plomb durci» à Gaza.
Bédouin pisteur |
Les Bédouins servent
dans l’armée en tant que traqueurs le long des frontières ou au sein d’une
unité spéciale, la Brigade de Reconnaissance du Désert. Au moins 180 Bédouins sont
tombés au champ d’honneur dans les différentes guerres israéliennes. Par leur
connaissance de l’arabe, les Bédouins participent à des missions spéciales et en
tant que pisteurs, à la fois dans le sud du pays mais aussi en Cisjordanie. Le
capitaine bédouin Said a affirmé récemment : «Je me suis porté
volontaire car je veux protéger mon pays».
C’est dire la volonté des Bédouins de marquer leur appartenance à la
nation israélienne.
Leur motivation de servir dans l’armée est certes nationaliste mais aussi sociale car l’accomplissement du service militaire leur donne accès à tous les emplois en Israël, en particulier dans les industries liées à la sécurité du pays pour lesquelles le service militaire est un préalable. Pour cet officier, l'intégration des Bédouins dans l'armée et la société israélienne est la preuve de la possibilité d'une coexistence judéo- musulmane, qui «pourrait servir d'exemple de la façon de résoudre l'ensemble du conflit judéo-arabe».
Leur motivation de servir dans l’armée est certes nationaliste mais aussi sociale car l’accomplissement du service militaire leur donne accès à tous les emplois en Israël, en particulier dans les industries liées à la sécurité du pays pour lesquelles le service militaire est un préalable. Pour cet officier, l'intégration des Bédouins dans l'armée et la société israélienne est la preuve de la possibilité d'une coexistence judéo- musulmane, qui «pourrait servir d'exemple de la façon de résoudre l'ensemble du conflit judéo-arabe».
Nouvelle
stratégie gouvernementale
Mais ce conflit
qui vient d’exploser tient à la nouvelle
volonté du gouvernement de peupler le Néguev. C’était le rêve du fondateur de
l’État, Ben Gourion, qui avait d’ailleurs décidé de s’installer au
Kibboutz Sde Boker pour donner
l’exemple. Certains y voient aussi les prémisses d’une éventuelle
réinstallation d’habitants de certaines implantations évacuées de Cisjordanie,
si un accord négocié intervenait avec les Palestiniens.
Tsahal a décidé
de bouleverser le Néguev en construisant une ligne de chemin de fer, en créant
une nouvelle ville, Ir Habahadim, avec
l’arrivée de milliers de soldats. La ville sera
verte, conçue dans un environnement exploitant uniquement
l’énergie solaire avec tri des ordures, mise en valeur des toitures, protection
des nappes phréatiques et recyclage sans oublier les supermarchés, les centres
commerciaux, une gare de train et d’autobus, un centre culturel et même une
piste cyclable depuis Beersheba.
Un nouveau campus académique accueillera toutes les écoles militaires du pays. À partir de 2014, les principales bases et centres névralgiques de l’armée, actuellement dans la région de Tel-Aviv, s’installeront sur les dunes. Cela libèrera ainsi 4 millions de m2 de terrains au centre d’Israël qui seront ainsi dédiés à des logements pour compenser la pénurie et faire baisser les prix de l’immobilier qui explosent.
Nouveau complexe au Néguev |
Un nouveau campus académique accueillera toutes les écoles militaires du pays. À partir de 2014, les principales bases et centres névralgiques de l’armée, actuellement dans la région de Tel-Aviv, s’installeront sur les dunes. Cela libèrera ainsi 4 millions de m2 de terrains au centre d’Israël qui seront ainsi dédiés à des logements pour compenser la pénurie et faire baisser les prix de l’immobilier qui explosent.
Ce projet
presque pharaonique entraine une nouvelle perception du Néguev jusqu’alors
abandonné aux Bédouins et aux nomades. C’est ainsi que le Plan Prawer, discuté
à la Knesset en janvier 2013, a mis le feu aux poudres. Il a été conçu pour
résoudre le problème de villages bédouins non reconnus dans le Néguev et pour
mettre fin aux revendications territoriales, en échange d'une compensation. L’occupant
de la propriété devait accepter le compromis offert, faute de quoi la terre
serait enregistrée comme appartenant à l’État d’Israël. Dans les circonstances actuelles, le gouvernement
argue en effet qu’il ne peut pas fournir de services gouvernementaux, depuis
les infrastructures jusqu’à l’éducation nationale.
Mais cette
petite minorité silencieuse a décidé de faire parler d’elle. Des milliers de
manifestants bédouins se sont alors élevés contre la nouvelle règlementation
qui devait leur être appliquée et limiter leurs revendications territoriales
dans le Néguev. Des Bédouins ont été arrêtés, des policiers ont été blessés
après des heurts violents. Pour le nationaliste Avigdor Lieberman : «Nous
ne parlons ni d’un problème de société, ni de pénurie de logements. Il
s'agit d'une lutte pour la terre. Nous nous battons sur les terres nationales
du peuple juif et il y a ceux qui tentent délibérément de voler et de s'en
emparer par la force. Nous ne pouvons pas fermer les yeux ni fuir cette réalité».
Les hommes
politiques arabes ont pris le train en marche et en particulier les députés du
parti Hadash et l’ancien député arabe Taleb El-Sana, leader des Bédouins du
Néguev qui a adressé des menaces violentes contre le gouvernement : «les
manifestations sont un avertissement à un gouvernement qui continue avec une
politique de déracinement et de nettoyage ethnique. Je tiens à mettre en garde
contre une troisième intifada si le gouvernement ne se ressaisit pas et n’entretient
pas le dialogue plutôt que d'utiliser la menace de la force.»
Mais les autorités israéliennes s’inquiètent car durant les manifestations, dans les villes mixtes arabo-juives de Haïfa et de Jaffa, et dans les villes arabes d’Israël Taybé, Tira et Qalansawe, de nombreux jeunes bédouins, jusqu’alors fidèles à Israël, ont brandi des drapeaux palestiniens. Le risque de voir les Bédouins rejoindre les Palestiniens est donc grand.
Bédouins avec drapeau palestinien |
Mais les autorités israéliennes s’inquiètent car durant les manifestations, dans les villes mixtes arabo-juives de Haïfa et de Jaffa, et dans les villes arabes d’Israël Taybé, Tira et Qalansawe, de nombreux jeunes bédouins, jusqu’alors fidèles à Israël, ont brandi des drapeaux palestiniens. Le risque de voir les Bédouins rejoindre les Palestiniens est donc grand.
Face à ces manifestions d’une ampleur imprévue, relayées par les
Arabes palestiniens, le gouvernement
israélien a décidé de calmer le jeu et de geler le plan controversé de
réinstaller 30.000 Bédouins. Ce n’était pas le moment de se mettre à dos une
communauté jusqu’alors silencieuse qui collabore avec l’État d’Israël et qui
risque de faire jonction avec les Bédouins du Sinaï entièrement aux ordres
d’Al-Qaeda. Mais il n’a pas précisé s’il s’agissait d’une décision temporaire
ou définitive. Certains l’accusent déjà de vouloir calmer la situation et de présenter
le projet sous une autre forme juridique, après lui avoir fait subir de grands
changements.
Et si on les laissait vivre comme ils l'entendent ?
RépondreSupprimerRéponse à Jean Aymar:
RépondreSupprimerIls n'ont aucun titre de propriété sur ces terres. Soit ils sont nomades et ils bougent, soit ils sont sédentaires et ne doivent pas être autorisés à rester sur des terres qui ne leur appartiennent pas.
Bonsoir Jacques,
RépondreSupprimerConnaissez vous la part de Bédouins dans les manifestants ? Il me semble que ce litige a été instrumentalisé par la gauche israélienne et les partis arabes.
De plus, je pense que vous êtes très (trop)optimistes quant à la loyauté des Bédouins d'Israël au début de votre article. Certes il existe une minorité patriote qui occupe de très bonnes place dans l'armée, mais elle n'a toujours été qu'une simple minorité.