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dimanche 22 décembre 2013

ISRAEL SOUTIENT ACTIVEMENT LE SOUDAN DU SUD



ISRAEL SOUTIENT ACTIVEMENT LE SOUDAN DU SUD

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps


La tension a toujours régné entre le Soudan et le Soudan du Sud qui a obtenu son indépendance le 9 juillet 2011. Tous les observateurs avaient prédit qu’une guerre pourrait éclater entre ces deux pays. Le président Omar Hassan Al-Bachir avait été clair à la télévision : «Le Soudan veut la paix mais nous irons à la guerre si nous y sommes contraints.» Les troubles qui agitent aujourd’hui le Soudan du sud risquent d’impliquer Israël dans ce conflit, de manière directe. 


Un consul ancien réfugié


Bith Thiyang

Bith Thiyang avait traversé la frontière en clandestin venant du sud-Soudan, et s’était réfugié près d’Eilat au kibboutz Eilot. Avec une double casquette, il était chargé le matin du nettoyage des chambres de l’hôtel du kibboutz et ensuite, dans une petite chambre au mobilier  modeste, il revêtait les habits de consul de son pays en guerre, pour aider ses compatriotes  à organiser leur vie. Il a depuis troqué sa tenue de nettoyage contre un costume dans son bureau de Tel-Aviv, sous le portait du leader du Sud-Soudan, John Garang, mort dans un accident d’hélicoptère en 2005.
Dans sa fonction de consul, il est chargé de veiller sur les milliers de réfugiés, installés au sud de Tel-Aviv dans le ghetto d’immigrés près de l’ancienne gare centrale et qui pour certains ont rejoint leur pays. Son bureau austère est devenu la représentation officielle du Sud-Soudan et il a été l’artisan de la reconnaissance de son pays par Israël. Le premier ministre Benjamin Netanyahou avait reconnu officiellement le Sud-Soudan.
Le ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman, boudé par l’Europe, avait décidé de réactiver les relations avec le continent noir où sa présence ne posait pas de problème. Il voulait créer une sorte de ceinture de sécurité amie autour des pays arabes, «l’alliance de la périphérie» prônée par David Ben Gourion.  À l’occasion de ses visites au Kenya, au Ghana, au Nigeria puis en Ouganda, il avait signé de nouveaux contrats. Mais son objectif principal consistait à mettre en garde ses interlocuteurs africains sur le danger d’une nucléarisation de l’Iran qui risquait d’avoir des répercussions dans leur propre région. Il a prôné une alliance entre l’Éthiopie, le Kenya, la Tanzanie et le Sud-Soudan pour freiner la propagation de l’islam fondamentaliste dans les nations africaines, peuplées de 138 millions d’habitants, où vit une majorité de chrétiens.

Un front chrétien


Haïm Koren ambassadeur israélien au Soudan-Sud

Israël souhaitait nouer des relations officielles avec le Sud-Soudan disposant de la manne pétrolière avec ses 375.000 barils produits chaque jour bien qu’aujourd’hui la situation pétrolière ait changée en Israël avec la découverte des gisements de Léviathan. Le pays est entièrement à reconstruire et les entreprises israéliennes sont sur les rangs pour équiper de haute technologie une démocratie qui s’ouvre au monde moderne et dont la majeure partie de la population vit encore dans des huttes. 
Mais à peine créée, la guerre rodait en raison des ambitions et des prétentions de ses voisins. Le nord musulman dominé par les Arabes se distingue du sud peuplé en majorité de Chrétiens, longtemps martyrisés et en communauté de destin avec les Juifs. Israël avait donc décidé d’aider militairement le nouvel État soumis à la convoitise de ceux qui ont accepté l’indépendance du Sud-Soudan du bout des lèvres. Mais en l’aidant, il s’implique directement.
Salva Kiir
 Immédiatement après avoir noué des relations diplomatiques à l’occasion de l’indépendance du Soudan du Sud, son président Salva Kiir avait effectué, le 20 décembre 2011, une visite officielle de 24 heures en Israël. Cette première visite du chef du nouvel État avait été qualifiée d'«historique» par le président israélien Shimon Pérès. En accueillant en grande pompe le représentant du Sud, les Israéliens ont cherché à lancer un avertissement clair aux nordistes qui avaient affiché ouvertement leur soutien au  Hamas.

Des relations historiques

Les relations entre Israël et le Soudan du Sud ne datent pas d’hier. Les Chrétiens du Soudan avaient déjà aidé Israël durant la Guerre des Six Jours de 1967 en s’opposant à l’armée régulière soudanaise qui voulait prendre part à la guerre. Les Israéliens avaient ensuite renvoyé l’ascenseur en soutenant les rebelles contre Khartoum, en les finançant et en les armant avec du matériel militaire récupéré auprès de l’armée égyptienne vaincue. 
Deng Alor
Les Soudanais du Sud n’ont jamais oublié ce soutien et leur président l’avait rappelé à Jérusalem : «Sans vous, nous n’existerions pas». À l’ONU, son ministre des Affaires étrangères de l'époque, Deng Alor Koul, avait manifesté son «soutien à Israël dans son approche de la déclaration palestinienne de septembre à l’ONU». Il avait ensuite promis de «voter contre la résolution de l’Assemblée Générale concernant la reconnaissance d’un État indépendant appelé Palestine». Puis il avait ajouté : «Notre pays a l’intention d’établir une ambassade dans la capitale d’Israël, à Jérusalem et non à Tel-Aviv comme le font la plupart des pays».
Les relations conflictuelles entre Israël et Omar al-Bachir résultent de l’appui donné par son régime au Hamas et à l’installation de bases islamistes au Soudan. En cas de guerre entre le nord et le sud, Israël savait qu’il serait contraint d’intervenir car il ne peut abandonner son nouvel allié désarmé à la vindicte du nord. L’État Juif avait fourni au Kenya et à l’Ouganda, des drones, des vedettes navales rapides, des véhicules pour les patrouilles aux frontières et des équipements pour la surveillance maritime afin de les aider à «les débarrasser des éléments islamistes terroristes» et à contrer l'expansion iranienne. Israël ne pouvait moins faire pour le Soudan du Sud qui avait besoin d’une aide technique à l’égale de celle octroyée aux Kurdes : formation des officiers, présence de conseillers de Tsahal sur place et fourniture de renseignements satellitaires. En s’impliquant directement, il poursuit l’objectif de retrouver la période idyllique des années 1960 avec l’Afrique.

Zone stratégique

            Le Sud-Soudan est une zone stratégique pour les Israéliens qui souhaitent disposer d’un point d’ancrage face à l’allié de l’Iran, Omar Al-Bachir. Ben Gourion avait déjà défini les bases politiques visant à aider les dirigeants des minorités des différentes communautés d’Irak, du Soudan, d’Éthiopie, de l’Ouganda, du Kenya et du Congo. En transformant des rebelles en armée régulière, entrainée et équipée par Israël, l’influence israélienne restera présente face à Khartoum.
Par ailleurs, Israël songe à sa propre défense. Les armes qui parviennent au Hamas transitent toutes par le Soudan avant de traverser le Sinaï. Jusqu’alors la force aérienne israélienne frappait les convois d’armes sur le territoire soudanais, comme en novembre et décembre 2011, dans la région de Wadi Al-Allaqi. Israël avait alors complètement détruit les missiles et autres armes de fabrication iranienne, russe et chinoise destinés au Hamas de Gaza. Une alliance confirmée avec le Sud-Soudain permet aux Israéliens de disposer localement d’un point d’appui et d’escales techniques pour leurs chasseurs-bombardiers avec le risque cependant d’être entrainés dans une guerre loin de leurs frontières.
Riek Machar
Mais la guerre, qui était prévisible avec le Nord, vient plutôt d’éclater entre les factions rivales du Sud. Riek Machar, ancien vice-président soutenu par sept anciens ministres hostiles au président actuel, estime que : «Salva Kiir doit partir». La guerre civile, qui se précise après la prise de la localité de Bor, au nord de Juba, par des rebelles présentés comme partisans de Riek Machar, risque de devenir une guerre tribale entre Dinka et Nuer. Riek Machar est originaire du deuxième plus grand groupe ethnique, les Nuer, tandis que Salva Kiir fait partie du clan Dinka plus important.

Guerre civile


Salva Kiir en tenue militaire

Le président Salva Kiir a pris la parole à la télévision le 16 décembre 2013 après avoir troqué son costume et son chapeau de cow-boy noirs pour un uniforme militaire en raison des combats acharnés à Juba, la capitale, entre factions de l’armée. Il a déclaré que le pays avait été l’objet d’une tentative avortée de coup d’État dirigé par son vice-président limogé. Plusieurs centaines de personnes ont été tuées et l’ONU a été contrainte d’accepter dans ses bases d’Akobo, dans l’Etat de Jonglei, plus de 20.000 réfugiés. Le couvre-feu a été institué et l’aéroport fermé.
Réfugies devant l'entrée de la base de l'ONU à Bor
Les tensions ont éclaté en juillet lorsque le président a renvoyé tout son gouvernement face à la volonté affichée ouvertement par Rick Machar de briguer la présidence lors des élections de 2015. Mais les combats avaient réellement commencé le 14 décembre puis se sont étendus à Pibor à 340 kms au nord-est de Juba faisant près de 500 tués. 
Seuls les donateurs occidentaux et l'ONU peuvent utiliser l'influence de leurs milliards de dollars d'aide pour imposer un règlement. C’est ainsi que des officiers américains et israéliens sont sur place pour éviter cette guerre civile en tentant une médiation. Par ailleurs, les États-Unis ont envoyé une cinquantaine de militaires pour protéger les citoyens et les biens américains. Des sources de renseignements rapportent que des réservistes de Tsahal, qui avaient collaboré durant plusieurs années avec le président Kiir et son adjoint Machar, sont sur place pour séparer les adversaires. Leurs relations personnelles étroites avec les deux adversaires pourraient sauver ce qui peut l’être encore pour éviter que le Soudan sud ne tombe entre des mains hostiles. Ils connaissent tous les militaires pour les avoir formés et armés à l’aube de l’indépendance.
A Juba dans la base de la Minuss
Médiation

Les États-Unis comprennent le danger et ils ont immédiatement transféré 25 millions de dollars pour amadouer les deux clans. Il semble que les dollars aient commencé à faire de l’effet puisque le président Kiir a déclaré: «Je suis prêt pour le dialogue avec quiconque» tandis qu’en écho Marchar a répondu : «Il n'y a pas eu de coup d’État. Ce qui s'est passé à Juba était un malentendu entre les gardes présidentielles». Personne ne voudrait de tels malentendus à 500 morts. 
Les Américains paient en fait l’importance stratégique du sud qui représente un obstacle au développement d’Al-Qaeda à partir de Khartoum. Ils disposent d’une base d’observation de la rive occidentale de la Mer Rouge pour surveiller la route du pétrole qui transite depuis le Golfe persique vers le Canal de Suez. Par ailleurs le Sud-Soudan contrôle la majorité des réserves de pétrole du pays et, surtout dans le cadre de la guerre de l’eau, le Nil qui le traverse.

Israël de son côté surveille les côtes iraniennes et surtout la construction d’une base navale iranienne sur la mer Rouge, dans une partie de Port-Soudan. Téhéran veut y mettre à l’abri un complexe industriel de fabrication d’armes, d'artillerie et de missiles pour approvisionner le Hezbollah libanais, le Djihad islamique au Sinaï et le Hamas à Gaza. Cette base est louée par Téhéran à Omar al Bachir, le président du Soudan. Des Gardiens de la Révolution en tenue civile coordonnent les centaines d’ouvriers qui construisent cette deuxième base iranienne sur la mer Rouge après celle d’Assab dans le sud de l’Erythrée.
C’est dire l’importance de cet État croupion pour les Occidentaux.

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