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lundi 8 avril 2013

LIGUE ARABE : UNE INSTITUTION FAIBLE OBSOLÈTE



LIGUE ARABE : UNE INSTITUTION FAIBLE OBSOLÈTE

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps


             
Ligue arabe à Doha
     La Ligue Arabe s’est volontairement affaiblie au point de devenir une institution obsolète. Au lieu de rassembler, comme à l’époque où les pays arabes étaient monolithiques, elle est devenue le champ clos d’affrontements idéologiques et le lieu où se révèlent les divergences entre clans. Elle souffre de l’absence à sa tête d’un leader charismatique capable de s’imposer et d’imposer ses idées comme naguère le président d’Égypte. 





Trois pays pour un siège




Aujourd’hui trois pays se combattent à fleuret moucheté pour occuper le siège de leader : l’Arabie, le Qatar et la Turquie bien que ce dernier ne soit pas membre à part entière mais seulement observateur depuis 2011. Il est probable aussi que les déviations de la Ligue ont été mal acceptées, en particulier la décision d’intégrer en son sein des pays non arabes, le Brésil en 2002, le Venezuela en 2006 et l’Inde en 2007. La Ligue s’éloignait ainsi de ses principes fondateurs qui visaient à affirmer l'unité de la «nation» arabe et l'indépendance de chacun de ses membres. 
À trop vouloir rassembler, elle a perdu de sa spécificité car elle s’est transformée peu à peu en une organisation regroupant tous les pays hostiles à Israël. Dans sa dernière interview à une télévision turque Ulusal, le 4 avril 2013, Bachar al-Assad a d’ailleurs enfoncé le clou en estimant que : «La Ligue arabe manque de légitimité. C'est une Ligue qui représente les États arabes et non pas les peuples arabes».

Les dirigeants israéliens cachent mal leur satisfaction de voir que les participants aux différents sommets de la Ligue Arabe se séparent souvent sans consensus sur la politique à suivre face à Israël. Le 24e sommet de la Ligue arabe s'est terminé une journée plus tôt que prévu, le mardi 26 mars 2013 à Doha, face aux problèmes rencontrés et non résolus. Israël s’attendait certes à ce résultat car ces réunions ont toujours été stériles parce qu’elles privilégient le verbe et non les projets. Les pays arabes eux-mêmes n’y croient plus puisque de moins en moins de pays envoient  des délégués de haut niveau. Ils sont la plupart du temps représentés par leurs ambassadeurs.



Malédiction du pétrole

Morsi et Abbas à Doha


             Ces réunions ont tendance à révéler au grand jour les intérêts contradictoires de membres qui n’hésitent plus d’ailleurs à fustiger cette situation. On se souvient de la mise en garde du colonel Kadhafi, qui s’était élevé contre les délégués : «les sommets arabes ne prennent pas de décisions. Arrêtons de parler et passons à l’acte». L’émir du Qatar avait aussi abondé dans son sens : «ne cherchons pas à faire endosser la responsabilité aux autres, ne cherchons pas dans l’existence d’Israël les raisons de nos inerties». Il est vrai que les actions concrètes de la Ligue, leitmotiv des dirigeants arabes, n’ont pas vu le début d’une réalisation. La Ligue Arabe est face à un miroir qui reflète une réalité dramatique devant l’absence de solutions pour régler les problèmes communs économiques, sociaux et politiques.
L'émir du Qatar et le roi d'Arabie

            Les causes essentielles proviennent de la malédiction de la profusion des ressources naturelles des pays arabes dont le paysage épouse parfaitement celui de régimes généralement dictatoriaux, souvent féodaux et parfois sanguinaires. Cet aréopage de potentats cultive l’appropriation du pouvoir par la force et la contrainte pour rejeter toute forme de démocratie. La Ligue Arabe accentue la volonté hégémonique des propriétaires pétroliers de faire le jeu des occidentaux, qui se garderaient bien de changer la donne. Certains membres sont conscients que cette puissance financière, doublée d’une puissance démographique, n’a rien fait pour concrétiser des projets ambitieux dans la technologie, dans le développement économique et dans le bien-être social. Le seul lien qui les unit, bien maigre, est le passeport anti israélien qui passe par le déni d’existence de l’État juif.

            Les occidentaux ne sont pas exonérés de responsabilité. Ils manquent de volonté pour faire changer les choses car les régimes dictatoriaux ne sont pas en contradiction avec leurs intérêts fondamentaux. Ils leur confèrent le droit à une exploitation tranquille des ressources naturelles puisque seuls les pays forts, donc stables, peuvent s’opposer à toute sorte de revendication révolutionnaire. Les révolutions arabes ont mis en évidence les lacunes d'une gouvernance faible.



Manque de leadership


Morsi à Doha


            La Ligue Arabe souffre d’un manque de leadership. Jusqu’alors la tâche incombait à  l’Egypte qui aurait été la seule capable d’élaborer une stratégie commune pour faire de cette organisation une puissance régionale en mesure d’imposer ses vues sur les dossiers brûlants du Proche-Orient. Mohamed Morsi, en difficulté dans son propre pays, mène une politique se voulant équilibrée vis-à-vis d’Israël et des États-Unis qui rapportent plus à son pays que la zone de libre échange arabe. D’ailleurs, le président égyptien n’a jamais envisagé de rompre ses relations diplomatiques avec Israël, geste qui risquerait de ne jamais favoriser des décisions concrètes sur le problème de Jérusalem et des palestiniens.

            Il est difficile pour les membres de la Ligue de ne pas être profondément perturbés par l’atteinte aux principes fondateurs de la ligue qui s’adressait uniquement aux pays arabes. Ses dogmes ont été dévoyés au profit d’une politique à courte vue. Certains n’ont pas compris le strapontin offert au vénézuélien Hugo Chavez dont les seuls liens tangibles avec les pays arabes sont le pétrole et sa haine viscérale pour l’État juif. 
          Ils n’avaient pas compris l’intérêt de l'ancien secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Moussa, qui avait alors exhorté les États membres à renforcer leurs liens avec l’Iran dont la capacité de nuisance inquiète ses voisins et dont le programme nucléaire soulève des inquiétudes. Inviter l’Iran, qui n’est pas arabe, à intégrer la ligue a perturbé la conscience de nombreux dirigeants qui ont toujours évalué le rôle des Perses avec beaucoup de méfiance. Amr Moussa n’avait pas éludé en son temps ces réticences qui restent encore d'actualité mais qui n'ont pas été suivies d'effet : « je me rends compte que certains sont inquiets sur l’Iran et c’est exactement pour cela que le dialogue est nécessaire ».



Nouveau venu vainqueur


Erdogan devant la Ligue arabe au Caire


            Enfin un nouveau venu dans le cercle arabe, le premier ministre turc Tayyip Erdogan, a compris qu’il avait une carte personnelle à jouer devant le vide de leadership en se portant candidat pour diriger le monde arabe alors que la Turquie, pays musulman certes, a toujours été éloignée idéologiquement des pays de la région. Mais cela n’a pas été du goût de l’Arabie car, invité par la Ligue arabe à la rejoindre, il a fait preuve d’un activisme exacerbé dans sa vision de faire renaitre un jour l’empire ottoman. Plus royaliste que le roi, il avait pris la parole à la tribune de la Ligue pour prendre fait et cause sur un sujet qui n’a jamais fait l’objet de ses préoccupations : « nous ne laisserons pas mourir El Quods, la prunelle de nos yeux ». Il s’est installé en leader putatif des arabes, capable de contrebalancer la présence d’un Iran conquérant. Son statut de rare dirigeant démocratiquement élu lui donne une aura  que ne lui contestent pas les vieux émirs. Mais sa présence inquiète plus qu’elle ne rassure puisque certains le considèrent comme un intrus capable de modifier les règles internes instituant des alliances solides avec les puissances mondiales occidentales.

            Les perdants sont incontestablement les palestiniens. Rien n’a été fait en leur faveur et rien n’a été dit pour faire avancer leurs thèses. Cette constante générale de ce genre de réunions prouve qu’aucune solidarité effective n’émerge jamais à leur profit. Ils restent des trublions car ils représentaient l’un des rares peuples démocratiques de la région bien que le mandat du président et du parlement ait expiré il y a plusieurs années et qu'ils n'aient aucune légitimité démocratique aujourd'hui. Cependant ils représentent un danger de contamination pour les potentats voisins. 
          Alors, on continue de verser des larmes de crocodile sur le sort réservé à ces malheureux qui permettent cependant de maintenir l’abcès de fixation contre Israël. Il n’est pas question de mettre la main à la poche alors que le premier ministre Salam Fayyad, qui a réussi à booster l’économie palestinienne, se débat dans ses difficultés à boucler son budget en déficit de quelques 200 millions de dollars alors que les revenus annuels pétroliers de la seule Arabie saoudite avoisinent les 800 milliards.

            Les dirigeants arabes n’ont jamais montré, avec autant d’insistance, leur impuissance à se rassembler pour contrer, tel est leur objectif initial, la politique israélienne dans la région. Israël sort totalement rassuré de ces réunions stériles de la Ligue Arabe. À Doha, le problème syrien les a séparés tandis que la résolution, jésuite dans son principe, laisse à chaque pays le choix de l’aide à la Syrie ou aux rebelles. L'Irak, l'Algérie et le Liban ont émis des réserves et se sont distanciés de cette résolution prouvant ainsi que la Ligue arabe restera un monde à part sans créativité.

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