QATAR ET ARABIE S’AFFRONTENT SUR LE TERRAIN SYRIEN
Par
Jacques BENILLOUCHE
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L'émir du Qatar et le roi d'Arabie |
La concurrence bat son plein en Syrie où les djihadistes, soutenus par l’Arabie saoudite, et les Frères musulmans épaulés par le Qatar s’affrontent par idéologie interposée. Elle entraine un conflit d’intérêt au sein même de la rébellion contre le régime de Bassar Al-Assad. Ces deux pays affichent ouvertement leurs rivalités car ils entendent garder la main sur les clans qui pourraient prendre un jour le pouvoir à la chute du régime syrien et garantir leur influence dans un pays charnière au Moyen-Orient.
Ainsi le Qatar a réussi à évincer le président de la coalition
nationale, Moaz Alkhatib, connu pour avoir des vues islamiques modérées, élu le
11 novembre 2012 et ancien iman de la mosquée des Omeyyades à Damas. Cette
crise illustre les différences de stratégies entre le Qatar et les Frères, opposés à
tout compromis avec le régime, et l'Arabie saoudite et les États-Unis qui
souhaitent une solution pour mettre fin à la guerre. Alkhatib, dont la
démission a été refusée par la coalition, s’était plaint qu’il ne supportait
plus les pressions du Qatar sur la branche militaire de l’opposition.
ASL |
Il contestait ouvertement la mainmise des Frères sur l’ASL (armée
syrienne libre) et leurs interventions politiques pour sélectionner les membres
du futur gouvernement. En effet, les Frères s’étaient opposés à l’arrivée en
Syrie du général Idriss de l’État-Major de l’ASL, actuellement en exil en
Turquie. Alors, su un diktat du Qatar, les Frères ont remplacé Alkhatib par
Ghassan Hitto en créant un malaise qui s’est exprimé par la déclaration du
coordonnateur politique Louaï Mouqdad : «Nous, l’ASL, ne reconnaissons
pas Ghassan Hitto comme premier ministre car la Coalition nationale ne l’a pas
choisi par consensus».
Ghassan Hitto |
Les États-Unis étaient partagés entre les deux dirigeants. L'un kurde, Ghassan Hitto, vierge de tout passé politique syrien et disposant
aussi de la nationalité américaine, qui s’est attribué le siège de la Syrie au
sommet de la Ligue arabe à Doha. Mais ils avaient aussi apprécié l'activisme d'Alkhatib qui avait proposé une
négociation avec certains membres du clan Assad qui «n’ont pas de sang sur
les mains» pour débloquer la situation. La France misait aussi beaucoup sur
ce personnage capable de garantir l’usage des livraisons d’armes à la rébellion.
Il avait assuré Paris et Londres qu’il interdirait que ces armes parviennent
aux djihadistes de plus en plus présents parmi l’opposition.
Destination des armes
Les européens réunis à Dublin les 22 et 23 mars ont affiché leur
scepticisme sur les capacités d’Alkhatib à maitriser la destination des armes. La
situation risquait de s’envenimer car cela pouvait inciter Bassar Al-Assad à
utiliser les armes chimiques contre une rébellion surarmée. Ils craignaient
surtout que ces armes, parvenues aux mains des djihadistes, leur donneraient tous
les moyens pour créer, selon leurs voeux, un émirat
islamique à Damas à la chute du régime.
Tunnel à Damas |
Le Qatar a compris le risque de la présence croissante des
djihadistes au sein de la rébellion. Il a donc convaincu les brigades Azzedine Al-Qassam de Gaza d’apporter
une aide concrète à l’Armée Syrienne Libre dans l’est de Damas en leur
proposant leur expertise dans la construction de tunnels en centre-ville pour
contrer l’aide fournie à Bassar Al-Assad par le Hezbollah libanais et l’Iran et
pour préparer une attaque de grande envergure. Cela confirme ainsi le
revirement du Hamas, autrefois allié fidèle de la Syrie qui l’hébergeait et le
finançait. Il a définitivement changé de camp.
Implication du Hamas
Des sources de renseignements révèlent que les brigades Azzedine
Al-Qassam ont formé des unités dans les quartiers tenus par les rebelles de
Yalda, Jaramana et Babbila. Cette implication confirme ainsi que le Hamas a
complètement coupé le cordon avec le régime syrien et fait allégeance à son
nouveau maitre, le Qatar. Les rebelles apprécient ces combattants bien formés venus de Gaza, dont
certains ont acquis de l’expérience pour s’être mesurés aux israéliens. Ces
sources confirment que des centaines de membres du Hamas se battent aux côtés
de l’ASL dans les camps palestiniens de Yarmouk à Damas et Neirab à Alep.
Rebelles à Yarmouk |
Cependant le Hamas ne tient pas à insulter l’avenir et il nie ces
évidences : «Nous n'avons pas à interférer dans les problèmes internes
de la Syrie. Nos membres sont des civils, des palestiniens vivants en Syrie,
qui vivent avec leur famille. Depuis le début de ce qui s'est passé en Syrie,
nous avons rejeté en tant que mouvement toute implication de tout palestinien
dans les événements actuels en Syrie.» Par réaction à cette aide, le gouvernement
syrien a décidé d’envoyer des milices irrégulières s’entrainer au combat de
guérilla dans une base secrète en Iran, afin de compenser les défections de ses
combattants.
Mais l’Arabie saoudite n’est pas en
reste. Elle a décidé d’apporter elle aussi une aide matérielle, acheminé via la
Jordanie, aux djihadistes de l’opposition syrienne qui combattent le régime de
Bachar el-Assad. Elle affronte ainsi de
manière indirecte le Qatar qui prend de plus en plus d’importance dans la région.
La Syrie est devenue le champ clos d’affrontement entre les deux monarchies
pétrolières qui n’hésitent plus à créer des troubles, parfois sanglants Le combat
entre Frères et djihadistes, qui a été initié dans la bande de Gaza, est à
présent soutenu par des pays riches en pétrodollars qui disposent de moyens
illimités pour un affrontement entre peuples arabes.
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