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lundi 30 janvier 2023

Israéliennes, un taxi pour Téhéran ? Par Jean CORCOS

 


ISRAÉLIENNES, UN TAXI POUR TÉHÉRAN ?


Par Jean CORCOS

Netanyahou entouré des orthodoxes

          Trois jours après l’élection du 1er novembre, Jacques Benillouche titrait son analyse à chaud des résultats «Israël en route vers une théocratie» (1) Un titre qu’on pouvait juger réducteur et provoquant, comme celui choisi pour le mien. Mais sur le fond, alors que le nouveau gouvernement, entré en fonction début janvier, n’a pas encore fait voter de lois impactant fortement le quotidien de la population, force est de constater que cette crainte est largement partagée et cela pour des raisons tout à fait objectives.


Netanyahou et ses alliés


Les seuls alliés de Benjamin Netanyahou pour assurer sa survie politique sont cinq partis religieux : deux partis ultra-orthodoxes ashkénazes ; un parti orthodoxe séfarade – le Shass d’Arie Dehry, délinquant multirécidiviste et dont la nomination comme ministre a fait l’objet d’un arrêt négatif de la Cour Suprême ; le parti kahaniste et suprémaciste d’Itamar Ben Gvir, et le parti «messianiste» de Bezalel Smotrich – dont le chef spirituel soutient l’établissement d’une théocratie (2) -, associés dans une même liste pour l’élection. Électron libre élu avec ces derniers, l’homophobe Avi Maoz et son micro-parti Noam, dont Haaretz vient de publier un portrait inquiétant (3), qui a été nommé par Netanyahou vice-ministre «chargé de l’identité nationale juive d’Israël».

Quelle vision des femmes ont en commun ces différentes «nuances de noir» ? Comme dans toutes les religions monothéistes, l’idéal féminin n’est pas associé à un quelconque pouvoir dans le Judaïsme. Certes, le patriarcat n’est pas une invention religieuse. Mais la loi divine a longtemps accompagné une domination masculine. Les religions ont longtemps freiné toute évolution ; et la libération du corps féminin a été le fruit d’une longue lutte, avec par exemple le droit à l’avortement qui remonte seulement à une cinquantaine d’années en France ; ou la révolte des Iraniennes, qui au bout de 40 ans descendent dans la rue en refusant de sortir voilées.

Femmes du gouvernement 2021


Cette domination s’affirme dans l’exercice du culte, avec toute la symbolique associée : la religion catholique s’articule hiérarchiquement sur un Pape et des clergés tous masculins ; l’islam réserve la portion congrue aux femmes, en termes de statut personnel ou d’exercice du culte ; et le judaïsme orthodoxe – celui des origines, et avant la naissance des courants libéraux au 19ème siècle – a sévèrement codifié les droits des femmes, alors même que le récit biblique mentionne des héroïnes ayant joué un rôle déterminant dans l’Histoire juive, de Débora qui fut Juge et Prophétesse à la Reine Esther. Deux exemples marginaux mais frappants de discriminations : les autorités rabbiniques ont décrété le chant de la femme impur (la voix exprimant la nudité, la halakha stipule qu’une femme ne doit pas chanter en présence d’hommes, de peur de les détourner de la prière) ; avec la même notion d’impureté et de tentation, les médias ultra-orthodoxes refusent de publier des photographies féminines, et cela a été particulièrement abject quand ils ont mentionné récemment des victimes du Covid.

Une analyse de la nouvelle Knesset (4) révélait un recul indéniable de la proportion de femmes parmi les députés : elles étaient 35 dans l’Assemblée sortante, elles ne sont plus que 29 dans la nouvelle. Si on rapporte ces chiffres au total de sièges (120), elles représentent aujourd’hui moins d’un quart des élus, alors que par comparaison en France le pourcentage d’élues est de 37% - et ce n’est pas du tout un record dans l’Union Européenne. Mais si on examine plus en détails l’affiliation des députées israéliennes, le constat est encore plus accablant : elles sont seulement 9 appartenant à la nouvelle majorité, et 20 à l’opposition. Pour rappel aussi, ce qui doit être vécu comme une gifle dans une bonne partie de l’électorat féminin : deux dirigeantes de partis – Ayelet Shaked pour le parti de droite Yamina et Zehava Gal-On pour le parti de gauche Meretz – ont disparu des bancs de la Knesset : la faute au mode de scrutin qui, du fait d’un seuil à 3,25% des voix, a éliminé de l’Assemblée leurs formations. Faut-il rappeler, aussi, que les alliés orthodoxes de Netanyahou interdisent toutes candidatures féminines dans leurs listes ?

Cinq femmes au gouvernement 2023


Ceci ne pouvait que se refléter dans la composition du nouveau gouvernement, par comparaison au précédent. Voici la liste des ministres femmes du cabinet Netanyahou (on relèvera au passage certains intitulés loufoques) : cinq du Likoud, Miri Regev aux transports, Galia Gamliel au «renseignement», Idit Silman à l’environnement, Gadit Distel Atbaryan à la «diplomatie publique» et May Golan «rattachée au Premier Ministre». Et deux ministres du parti de Smotrich, dont Orit Struck chargée des «missions nationales»  et qui a tout de suite frappé très fort en suggérant que des médecins refusent de soigner des patients «à l’encontre de leurs convictions religieuses». Soit 5 sur 37 au total, alors qu’elles étaient 8 sur 26 dans le précédent cabinet. À noter, enfin, que le pourcentage actuel est tout à fait indigne au regard des normes actuelles dans les pays démocratiques.

Des femmes donc qui peuvent légitimement se sentir marginalisées dans la représentation politique, alors même qu’elles sont montées en responsabilités dans tous les secteurs de la société civile, de l’économie et aussi dans l’armée, institution vitale pour un pays dont la sécurité est toujours menacée. Faut-il rappeler aussi que cette ascension ne date pas d’hier ? Israël a été un des premiers États dirigés par une femme Premier Ministre, Golda Meïr. Longtemps avant que les personnels des armées se féminisent à travers le monde, Tsahal était fier de faire défiler ses soldates, soumises au service militaire obligatoire comme les jeunes appelés de 18 ans. Mais aujourd’hui, elles sont en plus admises dans quasiment toutes les unités combattantes et sont de plus en plus nombreuses dans les différentes unités de la police. Comment beaucoup d’entre elles ne seraient pas révoltées en pensant aux dirigeants du judaïsme ultra-orthodoxe, obtenant par leur chantage que Netanyahou dispense les élèves des Yeshivas de faire leur service militaire alors qu’elles risquent leur vie pour assurer la sécurité de grossiers personnages les stigmatisant comme «impures» ?

Soldates dans un hélicoptère de recherche


Par une amère ironie, alors que Yariv Levin, ministre de la Justice du nouveau gouvernement, veut faire voter dans les plus brefs délais une série de lois destinées à détruire l’indépendance de la Justice et tout recours possible auprès de la Cour Suprême. J’y reviendrai dans un autre article. Se dressent contre lui deux femmes qui ont encore les plus hautes responsabilités : Esther Hayut, présidente de la Cour, et Gali Baharav-Miara, procureure générale de l’État.

D’une manière plus concrète pour le statut des femmes et leur défense contre les discriminations, on peut noter déjà une information révoltante si elle se concrétisait : «Israël devrait ne pas adhérer à la Convention d’Istanbul sur la lutte contre les violences envers les femmes. C’est en effet une demande du parti de Bezalel Smotrich, à laquelle Benyamin Netanyahou a décidé d’accéder et qui figure dans l’accord de coalition. Le ministre sortant de la Justice, Gideon Saar, avait fait pression pour qu’Israël adhère au traité international de 2011 signé par 45 pays et l’Union européenne, qui oblige les gouvernements à adopter une législation permettant de poursuivre les violences domestiques et les abus similaires ainsi que le viol conjugal et les mutilations génitales féminines». (5)

Susan Weiss


Susan Weiss a écrit un long et très documenté article sur son blog du Times of Israël (6), intitulé «Quatre raisons pour lesquelles la clause dérogatoire devrait terrifier les femmes». Elle a fondé l’ONG «Justice pour les femmes», et suit de près ce qu’ont été les actions – et les limites - de la Cour Suprême pour leur défense. Extrait du début : « La clause dérogatoire proposée, un mécanisme qui permettrait à la Knesset d’Israël d’annuler une décision de la Cour suprême jugeant une loi inconstitutionnelle, est mauvaise pour nous, Israéliens – hommes, femmes, minorités, personnes de quelque orientation sexuelle que ce soit. C’est particulièrement mauvais pour les femmes juives lorsque leurs droits sont contestés au nom de la religion, de Dieu et du peuple juif».

Susan Weiss donne des exemples précis pour quatre domaines. 1/ La ségrégation sexuelle. En 2011, la Cour a jugé que la ségrégation coercitive dans les bus publics était une violation de l’égalité et de la dignité. Cela a pris quatre longues années ; 2/ La discrimination au travail. La Cour Suprême a accepté la plupart des requêtes réclamant l’égalité des chances en matière d’emploi, elle est parvenue aussi à ouvrir aux femmes la voie pour siéger dans les conseils religieux municipaux, ou soumettre leur candidature à des postes administratifs clés au tribunal rabbinique d’État ; 3/ Les services religieux. Normalement ils devraient pouvoir être proposés à tous les citoyens sans discrimination, alors que le rabbinat maintient son refus d’admettre dans les mikvés – bains rituels – des femmes célibataires ; 4/ Les droits de propriété des femmes mariées. Pour rappel, la Halakha (loi juive) considère qu’il n’y a pas de propriété commune dans un mariage, tous les biens et revenus appartenant exclusivement à son mari. La Cour Suprême a pu faire pression pour que la loi civile s’applique exclusivement, mais demain un retour en arrière n’est pas du tout exclu.



Un hasard de calendrier a fait que je fasse une lecture détaillée d’une note récente de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) - «Maghreb : l’impact de l’islam sur l’évolution sociale et politique» -, en vue de l’interview de son auteur, Madame Razika Adnani. Elle relève un impressionnant recul des libertés, surtout en Tunisie où la nouvelle constitution de juillet 2022 supprime toute référence aux droits de l’homme, et en Algérie où la liberté de conscience n’est même plus reconnue. Elle relève en parallèle le retour en force de l’islam, dans les constitutions mais aussi dans le cadre juridique. Elle note que «le renforcement du discours religieux a fait reculer le droit. Des individus de plus en plus nombreux prétendent imposer les lois de la religion et l’autorité des traditions, même quand elles vont à l’encontre de la loi, convaincus qu’elles sont plus légitimes, qu’il est de leur devoir de croyant d’ordonner le convenable et interdire le blâmable». Bien entendu, tout ceci s’accompagne d’un recul des combats féministes, et de la prolifération de signes ostentatoires comme le voile islamique. Et si ce cauchemar se transposait en Israël, et plus rapidement qu’on ne l’imagine ?

(1)   https://benillouche.blogspot.com/2022/11/israel-en-route-vers-une-theocratie.html

(2)   https://fr.timesofisrael.com/le-chef-spirituel-de-bezalel-smotrich-soutient-linstauration-dune-theocratie/

(3)   https://www.haaretz.com/israel-news/2023-01-19/ty-article-magazine/.highlight/jewish-law-above-all-recordings-reveal-far-right-mks-plan-to-turn-israel-into-theocracy/00000185-cae1-da66-a1bf-fbfb32560000

(4)   https://fr.timesofisrael.com/a-quoi-va-ressembler-la-25e-knesset/

(5)   https://www.nouvelobs.com/monde/20221229.OBS67703/10-choses-a-savoir-sur-le-gouvernement-le-plus-a-droite-de-l-histoire-israelienne.html

(6)   https://blogs.timesofisrael.com/four-reasons-the-override-clause-should-terrify-women/

 

3 commentaires:

  1. Véronique ALLOUCHE23 janvier 2023 à 15:58


    
    Merci monsieur Corcos pour cet article. Il met en perspective la dimension féminine qui se réduit en Israël comme elle se réduit dans bien des pays. La religion ne fait pas bon ménage avec les femmes, elle les contraint, les soumet au diktat des hommes.
    Lors d’un interview le Grand Rabbin Ernest Gugenheim eut une réponse étonnante :
    - Toutes les professions sont-elles ouvertes aux femmes, et à tous les niveaux?
    « -….Il n'apparaît pas souhaitable qu'une femme occupe un poste supérieur à celui de son mari car c'est une situation susceptible d'engendrer des conflits dans la vie du couple. Le judaïsme n'aime pas beaucoup les princes consorts... »
    Je termine avec cette citation de Simone de Beauvoir qui devrait rester à l’esprit de chacune de nous en ces temps perturbés:
    "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant."
    Bien cordialement

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  2. Si les reformes du systeme judiciaire sont adoptees, et il n'y a aucun obstacle a ce qu'elles ne le soient pas, une pluie d'annulation de lois apparaitra. Entre autre, l'interdiction de la conscription des femmes, mais aussi la presence d'enseignants ultra-orthodoxes dans les ecoles laiques, avant la disparition de ces ecoles, l'annulation de 2 Lois fondamentales, celle instituant les droits civiques et celle instituant la liberte de l'emploi.
    Tout cela pour que Bibi soit reconnu innocent et blanc comme neige et ca, les religieux feront tarder les choses afin d'obtenir leurs revendications.
    Bref, l'Etat d'Israel est a 2 pas de sa desintegration a la grande joie de tous nos voisins.
    Cette desintration a toujours le plus vif souhait des ultra-orthodoxes, mais ces derniers seront egorges de la meme facon que les laics ou forces a se convertir a l'Islam.
    Entre temps, je profite de la joie de vivre de mes petits-enfants.

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  3. On parle ici du droit des femmes. Tout ce qui va à l’encontre d’une société ouverte fait régresser cette société. Les rivaux de P Aghion, professeur au Collège de France, sont implacables : les états avec des universités ouvertes et libres, et une égalité homme-femme, accèdent à plus de richesses, de liberté, de découvertes que les autres.
    Pourvu que les Israéliens se réveillent.

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