C’est Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie et Moyen-Orient qui modérait le débat. J’ai apprécié depuis longtemps la qualité de son travail, à l’occasion de plusieurs interviews dans le cadre de l’émission que j’animais. Voici le résumé de ce que j’ai entendu, et qui – par moments – m’a révélé l’écart entre la réalité et la vision souvent caricaturale du public juif pour les médias, chercheurs et diplomates français.
Anne Gueguen
Elle est directrice Afrique du Nord Moyen-Orient
au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Commençant son exposé par
une rétrospective de l’année 2022, elle a bien sûr souligné le tournant capital
de la guerre provoquée par l’invasion russe de l’Ukraine. Elle s’est félicitée
d’une cohésion européenne renforcée et d’une relation transatlantique affirmée,
mais en ajoutant aussi qu’il ne fallait pas «désinvestir le Sud». La
conséquence du conflit a été partout la crise énergétique, dont les États
pétroliers et gaziers ont profité, mais aussi une crise alimentaire.
Sans reprendre à son compte un disque rayé
de la propagande pro-Poutine - présentant le conflit comme opposant «les
méchants occidentaux» et une nébuleuse d’amis de la Russie qui seraient les
ex-pays du Tiers-Monde, les puissances émergentes comme l’Inde et bien sûr la
Chine, elle a quand même rappelé que les pays arabes et du Golfe en particulier
ont refusé les sanctions et les pressions diplomatiques contre Moscou. On
notera que cela a été aussi le cas d’Israël, même s’il a – comme la plupart de
ses voisins du Moyen-Orient – condamné l’invasion russe. Pour Anne Gueguen, le
monde arabe ne comprend pas le narratif européen sur l’Ukraine, y voyant un «deux
poids deux mesures» surtout par rapport au problème palestinien. Il s’est
développé ainsi une «autonomisation» des diplomaties du Golfe par
rapport aux pays occidentaux, avec en plus la sourde inquiétude d’un
désinvestissement stratégique américain au profit de l’Asie ; mais cela,
avec aussi la conscience que les États-Unis sont «le gardien de dernier
recours» en cas de menace existentielle.
Elle a aussi cité plusieurs développements
qui ont déjà commencé, et qui vont à son avis se poursuivre : une ouverture
de plus en plus assumée avec la Chine, sous forme d’accords signés en tous
genres ; le processus des Accords d’Abraham qui va se poursuivre d’après
elle. Ouvrons une parenthèse rapide à ce sujet : l’horloge des
politologues du café du commerce dans notre communauté s’est arrêtée à la
période post-gaulliste des années Pompidou et Giscard, la diplomatie française
ne cherchant, pour eux, qu’à saboter tout ce qui serait à la fois favorable à
Israël et soutenu par les États-Unis ; eh bien, ce n’est pas ce que j’ai
entendu. Même réalisme – qu’on peut par ailleurs juger détestable – sur le fait
que le monde arabe est maintenant d’accord pour réintégrer la Syrie de Bachar el-Assad
après l’avoir isolée.
Anne Gueguen a enfin listé les zones de
conflits qui persistent ou risquent de s’aggraver. Faut-il se scandaliser de ce
qu’elle a dit du conflit israélo-palestinien et qui n’est que factuel ?
Radicalisation politique des nouveaux gouvernants en Israël ;
affaiblissement de l’Autorité Palestinienne ; perspectives de la solution
à deux États qui s’éloignent ; et craintes d’une remise en cause du
statu quo sur les lieux saints. Concernant le Liban, elle a mentionné le «pourrissement
de la situation», avec un effondrement économique total et un blocage
politique complet ; aucun président n’ayant pu être élu en succession de
Michel Aoun. «Le Liban risque de devenir un État failli». Mais ce
qu’elle a dit ensuite était vraiment étonnant et surtout jamais énoncé
clairement et en public par des diplomates français : «Si le Liban
s’effondre, cela ne peut que profiter au Hezbollah» qui est par ailleurs
devenu «un des grands acteurs du trafic de drogue». «Notre meilleur
allié est la classe moyenne libanaise éduquée», dit autrement : le «Hezb»
est notre adversaire là-bas. Autre pays qui inquiète beaucoup la France, la
Tunisie : la crise s’est accentuée en 2022, «fragilités économiques et
sociales», «affaiblissement de l’édifice démocratique», «pas
d’accord avec le FMI» : une barque bien chargée pour le pays du
jasmin, tant vanté il y a peu.
Même absence de langue de bois, enfin, concernant
cette fois l’Iran. Elle a clairement posé les limites d’une intervention
française en disant «nous avons sept otages là-bas», chose qu’on n’entend
jamais dans nos J.T de 20 heures. Ne pronostiquant pas un effondrement du
régime à court terme, elle a dit son inquiétude au-delà du dossier
nucléaire : la République islamique est maintenant à la fois ouvertement
alliée à la Russie, acteur principal de la déstabilisation régionale, et un régime
redoutable pouvant utiliser la «violence d’Etat» : dit entre les
lignes, faire des attentats chez nous. Cela étant, elle juge condamné le régime
iranien sur le long terme, car le divorce avec la jeunesse et avec les femmes
est consommé.
Clément Therme
Par contraste, j’ai trouvé moins
intéressant l’exposé de ce chercheur associé à l’Institut universitaire
européen de Florence et à l’École des hautes études en sciences sociales
(EHESS). Il a pourtant parlé uniquement de l’Iran, sujet passionnant, mais sans
donner un pronostic personnel sur la révolte en cours depuis le mois de
septembre. Il reconnait que le mouvement s’élargit, et que la population ne
tolère plus certaines choses comme une inflation entre 30 et 50% et des coupures
de gaz dans un pays producteur en hydrocarbures. Le régime consacre 18% de son
budget aux dépenses de sécurité, en baissant les investissements et les projets
de développement. Il essaie aussi de cibler les minorités (Kurdes, Baloutches),
mais malgré les sanctions, il arrive malgré tout à exporter un million de
barils par jour. Le rapprochement net avec la Russie risque de créer «une
coalition des sanctionnés», le régime ayant maintenant une bonne expertise
des contournements d’embargos.
Il a enfin dit que l’Occident craignait un
chaos à la chute du régime, car on n’appréhende pas d’alternative ; mais en
rappelant aussi qu’on n’identifiait pas non plus d’alternative au Shah au
moment de sa chute en 1979 : il faut donc rester modestes sur les
prédictions.
Jean-Marc Four
M.Corcos, tres interessant compte-rendu. Si je comprend bien la France commence a rectifier le tir. Il etait temps depuis De Gaulle.
RépondreSupprimerNon Georges,
RépondreSupprimeren off ils savent que l'AP est corrompue, qu'ils ne veulent pas la paix...
Mais tant que pour la paix intérieure que pour les relations internationales, ils continueront officiellement à vouer aux gémonies Israël, à la condamner à l'ONU...