Nagi Gergi Zeïdan |
Juifs du Liban : D'Abraham à nos jours, histoire d'une communauté disparue de Nagi Gergi Zeïdan |
Franco-libanais, il a recueilli une documentation considérable sur la
généalogie des familles juives libanaises. Pour la presse internationale, il
est l’un des tout premiers spécialistes de l’histoire des Juifs du Liban. Nagi Zeidan, «l’ami des Juifs»
« L’ancien coiffeur, coloriste pour dames, reconverti en chercheur
spécialisé sur la communauté juive libanaise, pratiquait le mélange des genres.
Au détour d’un e-mail ou d’un post Facebook, il partageait l’actualité de ses
travaux. Ici, une synagogue sortie des décombres. Là, un cimetière rénové. À
qui voulait l’entendre, il racontait sa passion pour l’histoire juive, livrait
son analyse sur la psychologie d’une communauté, partageait son combat pour la
réhabilitation des lieux. De ce flux de paroles, il ressortait une passion sans
limite pour son objet d’étude. C’est en amoureux fasciné que Nagi Gergi Zeidan
poursuivait depuis 1995 ses travaux sur «l’une des plus anciennes communautés
du pays… À travers ses recherches, c’était aussi une certaine conception du
pluralisme à la libanaise qu’il mettait en avant. Le sexagénaire était fier de
la volte-face qu’il avait opérée à travers les décennies. Remettant en question
son milieu d’origine et son éducation – propalestinienne et antisioniste –, il
était devenu l’un des principaux interlocuteurs pour quiconque s’intéresse de
près ou de loin à la communauté juive du Liban. Dans sa jeunesse, il avait
méprisé cette communauté, honnie par nombre de Libanais pour ses liens, le plus
souvent fantasmés, avec l’État hébreu. Mais en se penchant sur son histoire et
en rencontrant ses familles, il dit avoir découvert une autre réalité, aux
antipodes des clichés qui circulent au sein de la société libanaise. Au fil des
ans, Nagi Zeidan était devenu, de son propre aveu, «l’ami des juifs». [1]
D'Abraham à nos jours
Ce livre est une patiente collecte d’informations historiques sur une
communauté libanaise qui a été très importante dans le développement du Liban
et qui a malheureusement pratiquement disparu au 21e siècle. Le but de ce livre
est de sauvegarder les archives perdues, oubliées et ignorées relatives à leur
présence historique au Liban. Le titre du livre fait référence à Abraham, en
voici la raison : dans la Genèse au chapitre 14 : 14 de la Bible, Abraham a
sauvé son parent à Dan. Cet endroit se trouvait historiquement dans la province
de Marjayoun au Sud du Liban. Dans les Évangiles, on lit que Jésus est passé
avec sa mère à Sidon où il y avait un quartier juif avec sa synagogue et son
cimetière, ce qui conforte, s’il était nécessaire, l’ancienneté de la présence
des Juifs au Liban.
Histoire des Juifs du Liban
Pour mener ce travail de recherche sur l’histoire de
la communauté juive libanaise, Zeïdan a «décortiqué les archives de
l’Institut des études palestiniennes à Beyrouth, celles de la bibliothèque
nationale de France et a puisé dans les sources historiques». Il révèle
qu’en 1799, il n’y avait que cinq Juifs installés à Beyrouth. Tous étaient de
la famille Levy. En 1832, leur nombre a atteint les 200. En 1936, il a augmenté
à 5.000. Puis le chiffre a chuté de 7.000 en 1967 à 1.800 en 1974 puis à 35 en
2006. «Ils ont quitté progressivement vers Israël, le Brésil, l’Europe ou
les États-Unis, mais l’exode s’est accéléré en 1967 après la défaite arab ».
Les Juifs ont déserté leur quartier d’origine de Wadi Abu Jamil, où la
communauté avait été établie depuis la fin du 19ème siècle et a déménagé dans
des zones chrétiennes à partir de 1975.
Une vue aérienne du quartier de Wadi Abu Jamil dans les années 1950. (Crédit: Archives Nagi Zeidan) |
Sa compagne depuis de
nombreuses années, Françoise Fahri, explique depuis Bruxelles que de nombreux
articles de Nagi ont été publié sur le site «farhi.org» qui est fort bien documenté avec par
exemple :
The Jews
of Lebanon, by Alain Farhi, Presentation at the 32nd IAJGS
International Conference on Jewish Genealogy (15 -18 July 2012) in Paris, July
2012
Les noms de
familles juives dans les Etats Civils Libanais par Nagi George
Zeidan. (in French), December 2008
Histoire
du Cimetière Juif à Beyrouth, par Nagi George Zeidan, Histoire du Cimetière Juif à
Beyrouth. (in French), Avril 2008
Histoire
de la Synagogue de Bhamdoun, par Nagi George Zeidan. (in French), January 2011
Histoire
de la Synagogue Magen Abraham, par Nagi George Zeidan. (in French), September 2014
Cimetière de Saïda pour que les Juifs
libanais reposent en paix…
cimetière juif de Saïda |
Sous la houlette de
Nagi Zeidan, opération nettoyage du cimetière juif de Saïda.
«Honorer les sépultures de la communauté
juive de Saïda et laisser les morts reposer dans le respect, tel est l’objectif
de l’opération commanditée par un expatrié libanais juif, Isaac Diwan. Les travaux,
qui ont été supervisés par Nagi Gergi Zeïdan, chercheur et historien, rédigeant
actuellement un ouvrage sur les Juifs du Liban, n’ont pas rencontré
d’opposition de la part des autorités locales. «Nous n’avons eu aucun problème,
mais nous avons également été très discrets. Cela a été notre façon de
travailler», souligne-t-il. Situé à la périphérie de la ville côtière,
le cimetière abrite 313 tombes dispersées sur 20.000 mètres carrés. En 1982,
lors de l’invasion du Liban, l’armée israélienne a érigé une clôture, construit
un portail et asphalté les allées. L’espace est resté fonctionnel jusqu’en
février 1985. Depuis, il a vieilli, abandonné au milieu d’une végétation galopante,
d’un amas d’ordures, d’une couche de saleté ressemblant à un tapis de mousse
d’une épaisseur de 15 centimètres. Selon Zeïdan, la présence des Juifs au
Liban-Sud remonterait très loin dans le temps. S’appuyant sur des récits
historiques, M. Zeidan affirme que l’antique cimetière était localisé à Aïn
el-Héloué et qu’il daterait d’avant 47 de l’ère chrétienne. L’actuel cimetière
serait de l’année 922 après J.-C. Il était situé en bordure de mer. Un terrain
acheté le 31 août 1868 par Simha Farhi, fille de Youssef Farhi, et offert au
Wakf juif, lui fut rattaché. À Saïda, où des propriétés sont encore au nom des
Nigri, des Hadid et des Balanciano, la communauté comptait près de 1 100
personnes en 1956 ; depuis 1985, il ne reste plus personne. La synagogue,
construite en 1850, est aujourd’hui squattée et dans un état de délabrement
avancé. Depuis plus de deux décennies, elle est occupé par des familles de
réfugiés. Sur les murs, le drapeau de l’opposition syrienne et les sourates du
Coran ont recouvert les vieilles peintures. Seuls les habitants savent qu’il
s’agit du hay al yahoud (quartier juif). [2]
L’ancienne synagogue de la vieille ville de Saïda |
Cimetière de Beyrouth
L’opération de nettoyage s’est étendue au cimetière de
Ras el-Nabeh, à Beyrouth, où 3.707 tombes ont été recensées. Construites en
pierre, en marbre ou encore en béton, elles ont été endommagées par les
roquettes durant la guerre libanaise de 1975-1990, «mais elles n’ont jamais
été profanées», affirme Nagi Gergi Zeidan. Il indique que les inscriptions
gravées sur la pierre tombale sont souvent trilingues, en hébreu, français et
arabe. Quant aux dates de naissance et de décès, elles sont parfois rapportées
selon le calendrier hébraïque. La reproduction de l’étoile de David est présente
sur la majorité des tombes. La plus ancienne est datée de 1829 : elle est celle
du rabbin Moïse Yedid.
Cimetière de Beyrouth |
Tripoli
Ses dernières recherches portaient sur la ville de Tripoli, où «la
présence de Juifs remonte à 1241, à l’époque les premiers Juifs chassés de la
région du Hejaz vinrent s’y installer en faisant construire un quartier ainsi
qu’une synagogue et un cimetière», expliquait-il dans un e-mail daté du 13
février 2022, accompagné de photographies de l’ancienne
synagogue.
Photographie de l’ancienne synagogue de Tripoli 1 |
Les derniers Juifs du Liban, une vie dans le culte du secret
Photographie de l’ancienne synagogue de Tripoli 2 |
Dans
la série spéciale «Histoires juives libanaises» publiée en juin 2022, Stéphanie
Khouri conclut : «Ceux qui sont restés en dépit de la guerre, du climat
ambiant et de la crise ont tout perdu, ou presque, de ce qui faisait la vie
d’antan. Avec la disparition des lieux de culte, la communauté juive a perdu ce
qui lui permettait d’exister en tant que groupe. Le dernier rabbin a quitté le
Liban en 1977. Un pays où être juif, ou même à moitié
juif comme dans son cas, doit être condamné au silence –. Année après
année, la peur de créer des ennuis a pris le pas sur tout le reste. Elle a
grandi dans un autre pays, ces dernières années, les portes de la communauté se
sont fermées une à une. Les rares personnes qui acceptent encore de s’exprimer
le font anonymement, après avoir obtenu toutes les garanties nécessaires.« Ils
sont morts de peur », dit Zeïdan ».
l’Alliance Israélite Universelle à Beyrouth |
«Entre deux gorgées de café, depuis son salon avec vue sur les montagnes
libanaises, Diana [3] se souvient du bon vieux temps. Née à
Beyrouth en 1952, elle a connu la vie à Wadi Abu Jamil, les cours d’hébreu à l’Alliance
Israélite Universelle à Beyrouth et les fêtes religieuses avec sa famille dans
la synagogue Maghen Abraham, (inaugurée en 1926, réhabilitée en 2014 grâce à
des fonds privés, puis à nouveau à la suite des dégâts causés par l’explosion
du port de Beyrouth en 2020, mais qui n’est plus en activité).
la synagogue Maghen Abraham |
La
vie était alors plus douce, mais elle n’était pas parfaite. Son enfance, elle
aussi, est marquée par des anecdotes amères qui reflètent le sentiment
anti-juif qui sommeille depuis longtemps dans la société libanaise. Les enfants
chrétiens m’ont dit que j’avais crucifié le petit Jésus. Je me demandais ce que
j’avais fait pour qu’on me dise cela», se souvient Diana». [4]
[1] Stéphanie KHOURI, OLJ 19 novembre 2022
[2] Tribune Juive15 septembre 2015
[3] Diana, nom d’emprunt
[4] OLJ / Par Stéphanie KHOURI, le 16 juin 2022
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