LA REVANCHE DES SÉFARADES EN
ISRAËL
Par Jacques BENILLOUCHE
Noce dans la communauté juive du Maroc, par Eugène Delacroix. |
La disparité géographique explique les différences
entre Ashkénazes et Séfarades. Par leur éloignement, ces deux communautés ont développé
des particularités qui ont fini par faire partie intégrante de leur identité.
Originellement, les Séfarades sont les Juifs qui ont dû quitter l’Espagne et le
Portugal à la fin du XVe siècle après la décision des autorités chrétiennes de Grenade de les expulser. L’Espagne a longtemps été le théâtre d’une lutte
entre musulmans et chrétiens. La prise de Grenade correspond notamment à la fin
de la Reconquista chrétienne face aux musulmans, qui quittent alors le
territoire européen. Les Séfarades ont donc élaboré une culture qui emprunte à
ces deux régimes dominants.
Rabbin et enfants ashkénazes |
Les Ashkénazes se situent davantage en Europe de
l’Est, notamment en Allemagne, Pologne et Russie. Le nom même de cette
communauté provient de la région vers laquelle une partie des Juifs migre peu à
peu à partir du Ier siècle. En effet, ils s’établissent dans le nord-est de la France
nommée Tsarfat, et en Rhénanie appelée Ashkenaz. Cette dernière dénomination
finit par s’appliquer à l’ensemble des Juifs de la Rhénanie et régions
voisines.
Avec une liturgie différente, l’étude des Talmuds
occupe une place majeure dans l’érudition juive. Les Séfarades se
concentrent clairement sur le Talmud de Babylone, tandis que les Ashkénazes
suivent aussi le Talmud de Jérusalem et les commandements des sages de
Tibériade, notamment au niveau culturel. Les chants et prières employés dans la
liturgie sont donc différents d’une communauté à l’autre. Cependant, ces
variations, bien que présentes, ne sont pas considérées comme majeures.
Rabbins séfarades déguisés en Askénazes |
L’éloignement géographique et le voisinage de
peuples différents ont conduit Ashkénazes et Séfarades à se distinguer d’une
part par leur langue mais de plus en plus par leur culture plus que par leur
liturgie. Les Ashkénazes parlent en majorité le yiddish, qui prend pour base le
haut allemand médiéval et y ajoute de l’hébreu, du polonais et du russe. Quant
aux Séfarades, ils parlent le judéo-espagnol, langue logiquement empruntée à
l’espagnol et à laquelle viennent se greffer des mots hébreux.
Les chants, les arts et la nourriture ont des
différences culturelles importantes. Les Ashkénazes et Séfarades ont évolué dans
des milieux de vie différents ce qui les a conduits à développer des
spécificités culturelles fortes. Chez les Séfarades, les plats sont ainsi
largement liés à la mer tandis que les Ashkénazes ont des plats plus roboratifs.
Les différences se retrouvent également au niveau de l’art musical. Dans les
chants, la langue rend les disparités frappantes, mais le style musical est
également très influencé par l’Espagne chez les Séfarades, et par le
Moyen-Orient chez les Ashkénazes, où on pratique le klezmer. Les Séfarades mettent
le chant en avant, tandis que c’est l’instrument qui prime chez les Ashkénazes.
Blacks Panthers 1971 |
La révolution séfarade en Israël avait commencé en
1971 avec le mouvement israélien des Black Panthers
qui avaient protesté contre le statut inférieur des Juifs orientaux. Les
Panthères noires ont été fondées par des figures de la deuxième génération des
immigrants originaires du Maroc comme Saadia Marciano et Réouven Abergel. Cette
révolte débuta en 1971 à Mosrara, à Jérusalem, en réaction aux discriminations
pratiquées par les gouvernements israéliens de gauche. Le gouvernement
travailliste n’a pas été tendre avec les dirigeants du mouvement alors que des
dizaines de milliers de personnes descendirent dans les rues en mai 1971 pour
réagir contre la répression policière ; 170 militants furent alors arrêtés et
les affrontements firent 35 blessés parmi les manifestants. La contestation a été matée durement.
Les injustices dont étaient victimes les Juifs
orientaux étaient flagrantes. Les fondateurs du mouvement des Black Panthers protestaient
contre le refus de l'establishment de reconnaître le caractère ethnique de
certaines formes d'inégalité sociale. Au sujet des discriminations à l'égard
des Juifs orientaux, en matière d’attribution d’emplois, de logement, de lieux
d’installation des nouveaux immigrants envoyés souvent dans le désert du
Néguev, de salaire, de représentation politique, dans le domaine culturel,
l'attitude de l'establishment ashkénaze était bien plus favorable vis-à-vis des
immigrants (olim) originaires des pays européens. Une seule exception, Tsahal
avait donné toutes les chances aux séfarades avec la preuve de la nomination de
Gadi Eizenkot, d’origine marocaine, au poste de chef d’État-major.
David Levy |
Menahem Begin avait compris qu’il devait s’appuyer
sur les Orientaux pour remplacer les Travaillistes et prendre le pouvoir. Il a
certes offert quelques postes importants à une poignée de Séfarades dans une
sorte d’alibi, par exemple le poste de ministre des Affaires étrangères au maçon David Levy. Mais leur influence restait faible en dehors du parti Likoud.
Après les résultats des élections du 1er novembre 2022, la victoire
est surtout celle des Séfarades sur l’intelligentsia ashkénaze.
D’abord le parti Shass des religieux orthodoxes
séfarades dépasse largement ceux des ashkénazes avec 11 sièges contre 7. Shass
a longtemps émargé à la limite du seuil électoral. Itamar Ben Gvir, d’origine
irakienne, s’est imposé face aux religieux sionistes de Bezalel Smotrich. Il
atteste de la victoire séfarade à l’extrême-droite. Les Séfarades ont investi
le Likoud, faisant de lui le parti des Marocains avec la volonté d’investir
tous les hauts postes. Quelques noms en tête de la liste des députés attestent de
l’émancipation séfarade : Elie Cohen, David Amsalem, Amir Ohana, Miri
Regev, Miki Zohar, David Bitan, Eliahou Revivo, les originaires de Tunisie
Amichai Chikli et Boaz Bismuth. Bref la liste est longue pour constater le «grand
remplacement».
Cour Suprême 2021 |
Dans certains domaines, les Séfarades sont très en
minorité et ils ont beaucoup à rattraper leur retard. D’abord dans les médias où
les grands noms sont ashkénazes, à l’exception peut-être de la nouvelle chaine
de télévision 14. Dans les entreprises privées et d’État, les dirigeants
séfarades sont exception. Enfin dans la Justice où l’écart est important. Il a fallu attendre 2022 pour qu'une juive séfarade soit nommée à la Cour suprême. Cela explique peut-être que Dodi Amsalem se
voit pousser des ailes en exigeant un des plus hauts postes régaliens : «Si
je ne suis pas ministre de la Justice, je m'en prends au leadership de Netanyahou».
À ce jour, aucun militant marocain n’aurait osé cette exigence sans être
renvoyé à ses chères études. Bref la constitution du nouveau gouvernement attestera de l'avancée séfarade ou non dans les institutions politiques de l'Etat.
Le mot "midrashim" (oriental) contient beaucoup mieux que le mot "séfarade" (espagnol) pour nous désigner. On peut aussi nous désigner comme des "judéo-arabes".
RépondreSupprimerLes Ashkés ont appartenu 20 siècle durant à la civilisation chrétienne, ce qui a déterminé largement leur culture. Les mizrahims ont été baignés treize siècles dans la civilisation arabe-musulmane. Nous appartenions à deux mondes complètement étrangers l'un à l'autre et souvent ennemis.
Avant les invasions arabes du 7e Siècle, nous parlions latin, grec, berbère, hébreu. Puis nous avons été arabisés comme les autres populations orientales. Nous avons résisté à l'islamisation ce qui a forgé notre particularité. Les "séfarades" de langue ladino vivaient plutôt dans le monde turcophone. 95% des "safarades" sont issus de la civilisation arabo-muuslmane. On pourrait dire que sauf la religion, ils étaient des Arabes comme les autres.
Jusque très tard, nous avons été très peu sionistes. Entre 1900 et 1948, les Juifs syriens n'avaient qu'un pas à. faire pour accomplir leur alyah. Presqu'aucun ne l'a fait. La construction du Yichouv, d'Israël, est une histoire totalement ashkénaze.
Jusqu'au sionisme le yichouv était en très large majorité composé de sefaradim et ce sont ces séfaradim qui ont contribué à l'achat de terre pour les nouveaux venus d'Europe car ils étaient sjets turcs seuls autorisés à achter des terres
RépondreSupprimerM.Toledano, ce n'est pas exact. La majorite des Terres jusqu'en 1948 furent achetees par les Ashkenazes par l'intermediaire de la "peite boite bleue".
RépondreSupprimerAujourd'jui, les Arabes vont dans le sens inverse, achetent des Terres juives. s'y installent et esperent refaire 1948 mais cette fois ci a leur profit.
Jacques, je ne vois aucune difference entre la politique de la droite et de la gauche israelienne. Elles sont toutes deux largement dominees par les ashkenazes. La "gauche" israelienne, avec le Meretz en tete, a "disparu". C'est normal. ils sont tous des nantis, par la complicite active des Ashkenazes du Likoud. Pourquoi les Terres d'Etat appartiennent-elles aux kibboutzim (pas au mochavim. largement sefarades) et non pas aux citadins qui paient des somme faramineuses pour ces memes terres a batir?
RépondreSupprimerBen Gvir et Smotritch seraient ainsi la revanche des Séfarades ?
RépondreSupprimerLa revanche de quoi, d’ailleurs? Sur la réussite des frères Edri numéros un de la production et de la distribution des films en Israël (Cinema City), de Rami Levi, numéro un de la grande distribution, d’Yitzhak Teshuva, leader dans le domaine des carburants (Delek) et tant d’autres dont je me félicite du succès ?
Je suis à proprement parler révolté par une telle présentation des choses qui va dans le sens de la pire propagande populiste du Likoud qui attise les haines depuis tant d’années.
Ariem je suis complement d'accord avec toi. Hier, je rardais une emission de commentaires politiques sur la chaine 13. Il y avait 7 ou 8 commentateurs, pas un seul sefarade!
RépondreSupprimerC'est indigne. La chaine 12 a fait un effort et a place un sefarade (Ibgui) dans son journal TV le vendredi soir. Elle a aussi ajoute un Arabe. Tous les autres sont ashkenazes pur sang.
Attention: je suis moi meme ashkenae, mais on epouse est sefarade et mes enfats sont maries a des conjoints sefaradim.